Le Gala Agora des directeurs de l’expérience client 2025, dont le Sens du client est partenaire depuis la première édition, nous a proposé cette année un grand cru avec la présence de Bernard Werber, un écrivain français mondialement reconnu pour ses romans mêlant science-fiction, philosophie et spiritualité, un genre qu’il qualifie lui-même de « philosophie-fiction ». Son premier roman, Les Fourmis, publié en 1991, a rencontré un succès international, vendu à plus de 20 millions d’exemplaires et traduit dans plus de 30 langues. Bernard Werber est également l’auteur de nombreuses autres œuvres, dont L’empire des anges, La boîte de Pandore, les Thanatonautes et Demain les chats, dans lesquelles il explore des thématiques telles que la vie après la mort, l’évolution de l’humanité ou encore les relations entre les espèces. Avec plus de 30 millions de livres vendus dans 37 pays, Bernard Werber est l’un des auteurs français contemporains les plus lus au monde.
Cette année, le gala avait pour thème « Pour une nouvelle aventure client, les usages de l’expérience client de demain. » Jamais le Gala n’avait eu d’invité plus pertinent à mes yeux pour aborder avec recul, dans un langage simple, les enjeux auxquels nous faisons face.
Une parole comme la sienne me semble précieuse et utile pour les professionnels. J’ai eu l’occasion d’entendre de nombreux conférenciers et lire quelques livres, et pour moi, il rejoint mes favoris qui sont Vincent Cespedes (lire mon plus ancien article à son propos en 2013), Catherine Malabou (cité dans plusieurs billet dont celui-ci : Intelligence artificielle, digitalisation : entreprises et clients face à leurs contradictions), Charles Pépin (lire ma chronique de son livre sur la rencontre), Cynthia Fleury (que je cite dans mon billet de tendance « le client sera humilié »), Frédéric Lenoir ou encore le regretté Michel Serres.
Bernard Werber n’est pas un technophobe, un farouche opposant à l’IA rejoignant la cohorte de pessimistes. Bien au contraire, il avoue être dans l’émerveillement pour les révolutions technologiques, y compris celle que représente l’intelligence artificielle, le sujet largement traité dans son intervention. À ses yeux, comme le feu ou l’écriture, l’IA n’est qu’un nouvel outil fascinant et déroutant parfois, mais surtout un révélateur. Ce qu’elle challenge selon lui, ce n’est pas seulement notre travail ou notre confort, c’est notre humanité même. Qu’avons-nous encore à offrir que la machine ne peut pas reproduire ? Comment prouver que nous ne sommes pas remplaçable par l’IA dans notre travail ? Bernard Werber répond directement : l’humour, l’autodérision, l’imagination, la capacité à créer l’inattendu et l’imperfection. Ce petit supplément d’âme, ce côté « désespéré » dans l’humour qui nourrissent la créativité humaine, l’IA peine à l’imiter.
Dans cette prise de parole inspirante, joyeuse et optimiste comme je les aime, prononcée lors du Gala Agora des directeurs de l’expérience client 2025, Bernard Werber explore les ressorts de notre singularité en tant qu’êtres humains, face à des intelligences artificielles de plus en plus performantes. Il plaide pour une redécouverte de l’authenticité, un renforcement de l’esprit critique par une saine méfiance, une attention à ce qui est vrai et vivant et notre capacité à nous comporter comme des « artistes originaux ». Il nous invite à la réconciliation entre l’humain et la machine, à apprivoisement de l’IA, en la considérant non pas comme une menace mais comme un partenaire de réflexion, un assistant talentueux, mais à qui il manque encore – et peut-être pour longtemps – cette étincelle de folie douce qui rend les humains irremplaçables.
Bernard Werber défend l’idée selon laquelle nous sommes peut-être endormis, installés dans le confort de notre société, saturés d’informations douteuses, et que la révolution technologique que nous connaissons pourrait bien provoquer un rééquilibrage salutaire qu’il appelle de ses vœux : un retour à la nature. Il termine son intervention par la présentation de son prochain livre « La voix de l’arbre », un roman qui aborde l’intelligence des végétaux et nous fait découvrir le Wood Wide Web, un réseau ancestral de communication des arbres qui nous rappelle que notre richesse est dans la diversité des êtres vivants et la force des liens qui nous relient.
Intervention de Bernard Werber au Gala Agora des directeurs de l’expérience client
Que reste-t-il aux êtres humains ?
Bernard Werber : « J’adore les nouvelles technologies, j’adore ce qui se passe actuellement. Je sais que tout le monde a peur, mais ce sont juste de nouveaux outils. Un moment est apparu le feu, ça fait des incendies mais ça permet de cuire la nourriture et de ne pas avoir froid en hiver. Puis est apparu le marteau, puis l’écriture, les ordinateurs, les réseaux sociaux… Tout ça à un moment a fait peur et je comprends la peur que génère l’IA qui en gros est plus intelligent qu’un être humain.
A partir de là, qu’est-ce qui nous reste ? Justement je crois que ça va nous obliger à nous surpasser, c’est à dire à découvrir ce qui fait qu’on est incopiable. Je pense que ce qui nous reste comme domaine et qui peut être en lien avec le client, c’est l’humour. Pour l’instant l’humour IA n’est pas terrible ! Je teste pratiquement tous les jours, et je m’aperçois que même si ça s’améliore, l’humour vient d’un petit côté « désespérés » qu’ont les êtres humains et que n’arrivent pas encore à avoir les programmes informatiques. Ils font semblant d’avoir ça. Mais derrière l’humour, il y a « je préfère en rire qu’en pleurer » et ça c’est une notion que n’intègrent pas encore les logiciels. Il nous reste donc l’humour et notre capacité d’imagination. Mais ce sont vraiment les deux derniers bastions, mais ces bastions vont être attaqués. Donc c’est à nous de nous surpasser. A priori le nombre de connexions qu’on a dans le cerveau est tellement grand et tellement en croissance pour l’instant, qu’aucun ordinateur ne peut égaler un cerveau humain. Mais il y a une amélioration permanente des connexions et des logiciels, je sais pas où on va mais en tout cas je suis très content d’être né à cette époque parce qu’on assiste à ce changement de paradigme où l’être Humain n’est plus le top de ce qui existe comme intelligence ! Et ça franchement, on l’aurait dit il y a encore 30 ans, personne n’y aurait cru. Nous vivons une révolution et le mieux, c’est de l’accompagner et de ne pas la subir et puis de se tenir au courant de tout ce qui se fait. (..) »
Comment peut-on s’adapter ?
Bernard Werber : « Déjà se dire, ils n’ont pas l’humour… Tant qu’ils n’ont pas l’humour il nous reste un petit quelque chose. J’étais surpris récemment par une IA qui m’a parlé au téléphone. Elle m’a dit « Bon, je sais que vous avez envie de raccrocher et je sais qu’encore une fois je vous emmerde », ou un truc comme ça. (…) On voit qu’il y a une recherche de créer un rapport humain, ça veut dire dire des mots grossiers, surprendre, voire faire de l’auto-dérision. Ce qui se passe actuellement est à mon avis extraordinaire ; les gens qui vont comprendre ça et qui vont comprendre comment l’utiliser vont au bout d’un moment avoir une avance sur tous ceux qui le subissent.
La recherche de l’authenticité, nouvelle valeur refuge
Bernard Werber : « Est-ce que cette image est vraie ? Est-ce que ce film est vrai ? Est-ce que ce texte a été écrit par un être humain ? Cette suspicion va nous obliger à rechercher une chose merveilleuse qui s’appelle l’authenticité. C’est à dire qu’on va aimer ce qui n’est pas fait par l’IA, quelque chose dans lequel on sent de l’humanité, dans lequel on sent même peut-être des faiblesses, toutes ces choses-là… Ce qui va améliorer le nouveau rapport humain. C’est à dire tout ce qui n’est pas copiable. L’IA est une machine à plagiat, c’est à dire qu’elle copie tout ce qui existe déjà. Comment faire quelque chose qui n’existe pas déjà ? Le cerveau humain arrive à faire des choses qui n’existent pas !
On ne peut pas garantir l’authenticité. Donc c’est fini. Mais maintenant il faut vivre avec cette nouvelle donnée. Vous devez douter de tout, et de toute l’information qui nous arrive par l’ordinateur. Je rappelle que les interviews truquées existaient déjà avant. (…). Et donc ça fait longtemps qu’on trompe les gens dans les médias, mais maintenant il y a une défiance pour tous les médias. Donc tout le monde fait attention. Mais avant c’était plus facile pour ceux qui voulaient tromper les gens parce qu’il y avait l’idée « Si je vois l’image, c’est que c’est vrai ». Donc il y a quelque chose de bon qui va sortir de tout ça qui est la méfiance. Et cette méfiance n’est pas une chose mauvaise. Ca veut dire qu’on va faire attention à ce qu’on vous met dans la tête. Donc on va faire attention à qui nous met l’information dans la tête. Qu’est ce qu’ils veulent nous pousser à faire ? Ca peut être aussi – puisqu’on parle de relation client -, pour nous pousser à acheter quelque chose, mais à partir de là, nous-mêmes, nous devons être attentifs à ce qu’on attend de nous. Qui m’envoie l’info ? Qui manipule l’info ? Et qu’est ce que cette info va me faire faire ? Est ce que j’ai vraiment envie de le faire ? Donc il va apparaître une zone d’authenticité qui va être préservée. »
L’IA comme partenaire et assistant, mais pas créateur.
Bernard Werber : « On est dans l’émerveillement, il ne faut pas cacher sa joie ! Nous avons une machine qui est une partenaire de travail, de vie, de collaboration de bon conseil, et qui, quelque part fonctionne comme un bon ami, un bon assistant. Je fais des Masterclass d’écriture dans lesquelles je dis aux étudiants : « Soyez conscients que, parce que ça marche, vous ne devez pas l’utiliser. Parce que c’est un super bon conseil, prenez ça comme conseil mais surtout ne demandez pas à l’IA d’écrire le livre à votre place parce qu’à ce moment-là, vous êtes foutus. Ça veut dire que si l’IA écrit le livre à votre place, vous n’avez plus de raison d’écrire ». Donc il faut le prendre comme assistant. Il faut le prendre comme conseiller, voire comme éditeur, mais surtout pas comme créateur d’histoires !
Plus de la moitié des livres qui sortent en auto-édition sont faits par l’IA. Vous lui demandez par exemple, « Ecrivez-moi un livre à la matière d’Agatha Christie », il va vous faire un très bon Agatha Christie. (…) Nous devons nous situer, nous dire « la machine sait faire tout ça, comment faire quelque chose que la machine ne sait pas faire ? ». La réponse que j’apporte dans mes livres c’est l’idée, c’est à dire, « sur la forme je suis copiable mais sur l’idée par contre, je suis fort ». L’idée de mon premier livre, Les Fourmis, était de raconter une histoire vue par une fourmi. A priori l’IA n’y aurait jamais pensé. C’est là que vous allez être fort, il faut trouver des nouveaux thèmes. Tout ce qui ressemble à des choses qui existent déjà va être rapidement obsolète.
L’IA va obliger les gens à ne plus copier. Ne faites plus ce qui a déjà été fait dans le passé. Ne copiez plus les œuvres. Ne faites plus de plagiat, même déguisé parce que ça, si vous faites ça, vous êtes remplaçable. Et c’est pour ça que moi ça me fait très plaisir que l’IA arrive à mettre un pied dans le monde de l’édition parce que la seule manière d’exister, sera de trouver une bonne idée d’histoire qui n’a jamais été faite avant. »
« Je ne suis pas remplaçable par l’IA et je vais vous le prouver », la phrase clé
Bernard Werber : « Je ne suis pas remplaçable par l’IA et je vais vous le prouver » : il faut que vous puissiez commencer cette phrase une fois dans votre vie, parce que si vous faites juste qu’attendre qu’aucune IA n’arrive à copier votre boulot, l’IA va arriver à copier votre boulot à un moment ou à un autre, quel qu’il soit. Donc il faut développer la dimension humaine, l’humour, l’autodérision, notre capacité d’imagination et notre capacité à proposer des choses qui n’existaient pas avant. Donc, il faudrait que tout le monde devienne artiste, artiste original ! »
Le retour à la nature comme contrepoids technologique
Bernard Werber : « L’IA prend une telle énergie qu’à un moment, il va y avoir quand même un contrecoup. C’est à dire qu’il va y avoir un retour à la nature. On débranche son téléphone, on n’est plus devant l’ordinateur, on n’est plus devant la télé, et on est juste dans un retour à la nature. Etant donné qu’on va très loin dans les nouvelles technologies, il va y avoir un effet de balancier qui va ramener à un retour non seulement à l’authentique, à l’original, à l’humain, mais à la nature. Parce que là, on est en train aussi de se couper de la nature. Et cette chose-là crée une sorte de malaise général qu’on peut sentir si on est attentif à ça. Et c’est pour ça que j’ai fait ce spectacle « Voyage intérieur ». C’est pour amener des gens à fermer les yeux, se couper de toutes les machines, initialiser des choses avec leur imagination, se retrouver dans une île, retrouver des souvenirs d’enfance qui sont des choses qui ne sont pas copiables. Votre passé, votre enfance a priori, l’IA ne la connaît pas. Les émotions vous avez eu la 1ʳᵉ fois que vous avez mangé un plat merveilleux, l’IA ne peut pas le savoir. Donc vous avez votre coffre-fort dans lequel vous avez vos trésors. C’est ça qu’il faut développer et c’est ça qu’il faut faire fructifier. Sinon, pour le reste, c’est une course mondiale de l’IA de plus en plus performant, et l’une des manières de faire partie de cette course va être de ne pas y rester en permanence. Vous savez, il y a le principe de la jachère. La terre a besoin de respirer, il faut laisser tranquille la terre agricole pour qu’elle puisse se reconstituer. De la même manière, vous devez vous débrancher du monde des technologies pour pouvoir y revenir dans les meilleures conditions. Donc une journée où vous vous débranchez, ou une semaine dans le mois, ou des vacances, vous arrivez à éteindre votre appareil. Mais ça ça va être une bonne discipline d’éteindre son téléphone, comme une sorte de spiritualité et ça va nous demander des efforts.
A un moment nous allons être en concurrence avec l’intelligence artificielle et à ce moment là, nous avons intérêt à être bons, parce que si l’IA est plus forte que nous, nous serons en danger. Ca va nous obliger à nous surpasser. Peut-être qu’on s’était un peu endormis, on a une société d’un tel confort…On n’est pas en guerre, on mange tous les jours, on a une espérance de vie qui a doublé, on a une chance extraordinaire… On voyage partout, on a toutes les informations… On a maîtrisé le Covid… On a surmonté toutes nos peurs. Maintenant on s’est inventé un nouveau potentiellement méchant qui peut être l’IA, à nous d’être plus humain, plus intelligent que notre créature. »
Interrogé par Chloé Beauvallet, fan des analogies avec le vivant, à propos de l’existence d’autres écosystèmes où il y aurait des « relations clients fournisseurs », l’écrivain répondait :
La voix de l’arbre : quand la forêt nous parle
Bernard Werber : « C’est mon prochain livre qui sortira en octobre 2025 ! Je suis en train de travailler sur les arbres. C’est vrai que dès que je parle de la nature, en général ça m’intéresse un peu plus peut-être parce que précisément, nous avons la nostalgie de notre lien à la nature. Et donc il y a une chose qui s’appelle le réseau mycorhizien. Le réseau mycorhizien, c’est le réseau de filaments de champignons qui relie les racines de tous les arbres d’une forêt. Et c’est un système dans lequel il y a des êtres connectés. On appelle ça aussi le Wood Wide Web, la connexion de tous les végétaux dans une forêt. Ces connexions sont d’une subtilité énorme, et donc c’est le thème de mon livre. Mon livre va s’appeler « La voix de l’arbre », ou comment les végétaux qui sont là depuis 1,7 milliards d’années, ont établi un système de communication mais aussi de dépendance d’espèce à espèce qui fonctionne parfaitement. La seule chose qui ne marche pas, c’est lorsqu’on fait des champs agricoles ou quand on fait des plantations ou quand on essaie de créer, d’harmoniser la forêt. Mais la forêt elle-même est un système vivant très complexe, qui communique donc par les réseaux mycorhiziens qui pourraient correspondre au câbles Internet, mais aussi par l’air. Elle communique aussi par des phytoncides, des petits grains qui circulent dans l’air, pour permettre à plein d’arbres d’attaquer un herbivore. Les arbres envoient des messages en phytoncides et en réseau mycorhizien pour avertir les autres qui se mettent à produire du tanin pour rendre leurs feuilles non seulement incomestibles, mais pouvant aussi empoisonner l’animal qui va les manger. Toutes ces choses là ont été établies depuis très longtemps. Il me semble que l’observation du fonctionnement d’une forêt peut être une source de compréhension des rapports entre structures vivantes différentes, mais en même temps toutes connectées à la même chose. »
Pour poursuivre vos lectures à propos de l’IA et de l’expérience client, vous pourriez découvrir certains de mes billets récents :
- Le client sera omnimodal (Tendances client 2025)
- Faire des IA les alliées de votre expérience client, la conférence de All4Customer Meetings
- Submersion de Bruno Patino, un livre de ma sélection 2024
- When machines become customers, un livre de ma sélection 2024
- Et si la tech pouvait sauver le monde ? Un livre de ma sélection 2024
- Les 3 défis de l’expérience client 2024
- Le sens de la tech, un livre de ma sélection 2023
Et si vous êtes fan des analogies avec la nature, je vous recommande de lire :
1165ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, consultant et co-fondateur de KPAM Next, auteur du récent livre « Merci, petites et grandes histoires de l’expression de la gratitude » .
Mon livre blanc des tendances client 2025 est en téléchargement gratuit en suivant ce lien.