Dans la présentation de ce livre, vous noterez une formule qui m'enchante : "un débat apaisé et réfléchi". C'est tout ce dont nous avons besoin pour beaucoup de sujets, et sur celui de la technologie en particulier. J'aime les livres professionnels remplis de bons conseils et de retours d'expérience comme vous avez pu le voir dans mes précédents billets et ma sélection de livres, mais j'aime autant si ce n'est plus des points de vue qui me font réfléchir, me bousculent et me font prendre un peu de hauteur dans mon quotidien.
Un premier nom m'a convaincu de lire ce livre, celui de Catherine Malabou, une philosophe française que j'admire et qui m'avait donné l'idée d'une de mes tendances il y a quelques années ("le client sera reconcilié"). Dans le livre "Le sens de la tech", elle défend un point de vue que j'ai adopté depuis avec ces mots "raisonner en termes de combat homme-machine me semble absurde". Dans son dialogue avec Eric Labaye (Président de l'Ecole polytechnique), savamment orchestré par la coordinatrice de livre, Anne-Sophie Moreau, elle révèle son esprit iconoclaste et brillant. "En conclusion, il ne s'agit pas d'être optimiste ou pessimiste, mais de croire qu'il y a toujours de la surprise" dit-elle. Eric Labaye lui répond en ces termes : "Exactement, la machine ne fera pas tout". Elle a le délicieux dernier mot de cet échange : "Ou alors elle fera tout, mais sur un mode surprenant !".
Ma seconde motivation à lire ce livre : il est dirigé par une autre femme que j'admire et qui dirige un média auquel je suis fidèle. Anne-Sophie Moreau (directrice de Philonomist, le média de Philosophie magazine dédié au monde du travail, auquel nous avons la chance d'être abonnés chez KPAM), a un grand talent pour interroger des personnalités si diverses (avec l'aide d'Accenture) et une plume remarquable de clarté lorsqu'elle signe la préface. Mon Dieu qu'il est agréable de lire et de tout comprendre, d'avoir le sentiment de grandir et d'apprendre !
Alors évidement, tous les entretiens n'ont pas la même saveur ni la même profondeur. Certains se perdent dans des plaidoyers pro domo ou une forfanterie inutile et oublient un peu le lecteur. C'est ma seule réserve, mais elle est bien mince au regard de la qualité des échanges de ce livre.
Vous trouverez un débat passionnant entre Olivier Girard (président d'Accenture) et le paléontologue Pascal Picq. Je ne m'attendais pas à y lire, à propos des ruptures que nous vivons, que le patron d'Accenture considère que "La première époque du digital, c'est la révolution de l'expérience client : celle de l'accès à un produit ou à un service." Des propos en écho à ceux d'Eric Labaye qui répond à la question "A quoi faudrait-il former les travailleurs de demain ?" en ces termes : "Les métiers de demain vont être de deux types : soit des rôles à forte composante technologique - être capable de créer des logiciels, des ordinateurs, des machines ; soit des rôles à fort contenu d'interaction, d'expérience. Aujourd'hui le terme important, c'est l'expérience : expérience client, expérience patient, expérience étudiante. Dans l'expérience la composante humaine est essentielle. La somme de tout cela est plutôt positive. En revanche, cela suppose une transformation de compétences chez les gens qui, jusqu'à maintenant, processaient les données." Puis il ajoute : il faut que les gens se forment à nouveau "soit sur un métier technologique, soit sur la contribution à une expérience client."
Dans le chapitre intitulé "Travail connecté, travail désincarné ?", Christophe Catoir (Président d'Adecco) et Julia de Funès (docteure en philosophie, auteure et conférencière avec qui je suis d'accord sur de nombreux points et dont j'apprécie les positions iconoclastes) échangent au sujet du management des ressources humaines. Ils débattent de la fidélité des collaborateurs et elle défend le point de vue selon lequel "Pour attirer - sinon retenir - les collaborateurs, privilégier l'individu me semble le meilleur moyen. Ce qui crée un nouvel enjeu : comment avoir une ambition collective quand le sens s'individualise ?". En conclusion, Christophe Catoir défend l'autonomie et l'action : (...) "faire des collaborateurs des sujets, des personnes, des autonomies, et pas simplement des applicateurs de process, me semble l'enjeu central pour motiver, responsabiliser et humaniser les relations. C'est valorisant pour l'individu, mais c'est rentable pour l'entreprise, car rien n'est plus efficace, stimulant et motivant que de se sentir actif. Montaigne le dit expressément : "Nous sommes nés pour agir."
Vous trouverez dans cet excellent recueil de dialogues croisés entre penseurs et dirigeants de nombreux sujets traités dont celui de la souveraineté avec Patrice Caine et Jean-Gabriel Ganascia, la diversité avec Laurence Devillers et Angeles Garcia-Poveda, ou encore la créativité au temps des nouvelles technologies avec Patricia Barbizet Luc de Brabandere, et enfin la mobilité de demain avec Catherine Guillouard et Michel Lussault.
Bref, vous l'avez compris, je vous recommande cet excellent livre qui vous aidera à penser votre métier et prendre un peu de hauteur.
Il vous faudra environ 2 heures 40 pour lire ce livre, soit mon temps de trajet entre Avignon (où j'ai lu et chroniqué ce livre) et Paris. Pour le commander, suivez ce lien.
Abonnez-vous à Philonomist et faites grandir vos collègues et collaborateurs. C'est mon meilleur conseil de l'été.
1079ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next.
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