Lors d'une conférence de Stratégie Clients 2023, le salon annuel des professionnels de la relation client, j'ai fait intervenir Florence Bouchot, responsable culture client chez FDJ. Au cours des échanges, et elle a eu cette formule : "Plus j’avance sur ma mission de faire grandir la Culture Client et plus je trouve que la Culture Client s’apparente à la permaculture". Enthousiaste, j'ai pensé que cette formule pouvait donner lieu à un billet sur mon blog, un exercice pour pousser le concept plus profondément en reprenant les 12 principes de la permaculture.
Je lui ai promis que ce billet serait écrit à quatre mains, voici son introduction :
"La culture client se définit certes par des valeurs, des croyances partagées à propos des clients, mais aussi et surtout en prenant en compte la réalité d’un terrain de jeu vivant.
Nous pouvons être sensibles aux clients, comme à la nature, mais la culture ne prend et ne grandit que si nous sommes à l’écoute et observateurs de l’environnement dans lequel elle évolue. Il me semble incontournable de bien connaître et appréhender l’écosystème global et ses caractéristiques, de comprendre comment cet environnement fonctionne, comment s’articulent entre eux et en harmonie les différents éléments qui le composent. Il me paraît primordial de respecter ces éléments, en utilisant leurs forces et non pas en les forçant à effectuer des actions qui seraient contre nature et contre productives.
Le design de la culture clients et de la permaculture dépendent de paramètres interdépendants et propres à chacun des terrains, et parce qu’ils sont connectés entre eux, ils ne sont pas transposables à l’identique d’un environnement à un autre. Dans l’entreprise, il s’agit de l’histoire de celle-ci, la nature de son activité, le profil des collaborateurs, leur maturité et leur expérience vécue. Pour un terrain, il dépend de la composition de la terre, de l’ensoleillement, du vent, de l’humidité, des insectes et animaux installés, de la température et de la région.
Si nous raisonnons de façon auto centrée, individuelle et en silo, par rapport à nos propres envies et ambitions, sans ouverture à l’autre, sans se confronter à l’autre, il est peu probable de réussir à développer une culture luxuriante. Semer des graines, c’est aussi accepter de se laisser surprendre, personne ne peut pas savoir à l’avance, à quel moment, ni à quel endroit, la nature fera son œuvre.
Par exemple, nous pouvons toujours vouloir faire pousser un figuier, à l’endroit qui nous arrangerait pour prendre notre petit déjeuner, nous aurons beau le décréter, si les éléments qui l’environnent n’y sont pas favorables, le figuier restera à l’état végétatif."
Pour réaliser cet exercice, j'ai fait quelques recherches et je me suis basé sur le livre de Blaise Leclerc "Ma bible de la permaculture" publié en 2020. Il y expose les 12 principes conceptuels de la permaculture tels qu'exposés par David Holmgren (l'élève du biologiste australien Bill Mollison qui en a posé les bases) dans son livre "Permaculture : Principes et pistes d'action pour un mode de vie soutenable", un ouvrage de référence dans le domaine.
Si on tente une définition...
La permaculture client serait l’art de concevoir au sein d’une organisation un écosystème respectueux de l’humain, client ou collaborateur, en s’inspirant de l’écologie naturelle.
Les 12 principes de la Permaculture Client
J'ai pris comme trame les 12 principes de référence et je les ai appliqués scrupuleusement à la culture client pour en faire les 12 principes de la Permaculture Client, enrichis par Florence.
- Observer et interagir : ce premier principe invite avant toute action à bien comprendre le terrain, la situation et les interactions. Dans une démarche de permaculture client, on fera un diagnostic initial ayant pour objectif de comprendre l'histoire, le fonctionnement, les valeurs, les croyances, le marché et le contexte de l'entreprise. On prendra soin de comprendre les sources d'épanouissement et de motivation des collaborateurs, la voix du client, et toutes les formes d'expression naturelles dont l'entreprise dispose. On s'intéressera aux perceptions et aux émotions qui façonnent l'expérience et font évoluer la culture d'entreprise.
- Capter et stocker l’énergie : dans un projet de permaculture client, on parlerait de s'assurer des moyens durables mis en œuvre pour développer la satisfaction du client, du soutien des actionnaires et de la direction générale. Il faut de l'énergie pour faire grandir l'orientation client d'une entreprise ! Cela commence par capter et comprendre les besoins et enjeux des collaborateurs, pour les accompagner au mieux dans la pratique de l’expérience client. Il faut parfois un sacré stock de bonnes pratiques réalisées par des entreprises référentes pour convaincre, démontrer la valeur de la centricité client, inspirer et ouvrir l’esprit en interne. Et quelle plus belle et plus forte énergie que celle de l'amour du client !
- Obtenir des résultats : ce principe me fait dire qu'un projet de permaculture client n'est pas lancé pour répondre à un désir d'embellir sa marque, son positionnement ou bien mener un projet à durée limité et improductif dans le temps. On dit qu'il ne faut pas confondre la permaculture et le jardinage. La permaculture client doit produire des résultats - vs de belles et creuses communications ou promesses - et ceux qui en sont les acteurs principaux (les personnes en contact) doivent en tirer profit, autant que les clients eux-mêmes, et ce afin de s'assurer de la pérennité, de l'ancrage de la culture client. La finalité d'une meilleure orientation client est la satisfaction des clients, et la pérennité de l'entreprise. Je citerais ici un des huit commandements de l'orientation client, issu du livre de Daniel Ray et Guillaume Antonietti "Culture client !" (dont j'ai fait la chronique sur ce blog) : "Travailler le lien entre la performance économique, la culture client et la satisfaction client."
- Appliquer l’auto-régulation et accepter la rétroaction : ce principe fait écho à la modestie et à la vigilance dont on doit faire preuve dans une démarche de permaculture client, le fait de reconnaître qu'un système peut rejeter certaines actions mises en œuvre au profit du client final car elles nuisent au collectif en démotivant les collaborateurs (l'approche en miroir de KPAM le démontre dans les situations qui provoquent l'enchantement des clients et la douleur des collaborateurs). En outre, il pourrait être question du droit à l'erreur à tous les niveaux de l'entreprise et de la volonté de la réparer. En acceptant que les parties prenantes de l'entreprise gagnent en autonomie en respectant le collectif, on rend le système (l'organisation) plus forte. Je vous invite à lire à ce sujet l'excellent livre de Séverine Loureiro "Le droit à l'erreur, les bons collaborateurs font des erreurs, les bonnes entreprises les permettent".
- Utiliser et valoriser les ressources et services renouvelables : il est question dans ce principe de la meilleure utilisation possible des richesses de l'entreprise, et en premier lieu de ses bonnes volontés, des personnes qui sont déjà naturellement orientées client et qui mettent en œuvre des bonnes et vertueuses pratiques (souvent sans le savoir et sans les partager). Il faut savoir compter sur ces forces puissantes pour la motivation des collaborateurs, qu'ils soient en contact avec le client, ou plus éloignés, en back office.
- Ne pas produire de déchets : on pourrait ici trouver une analogie dans la recherche de l'allègement les process lourds et inutiles, la réduction des contraintes pesant sur les collaborateurs, les dépenses inutiles qui produisent des déchets. On pourrait évoquer ici la perte de temps en réunion, de sens, le gaspillage à ne pas oser explorer un terrain ou à ne pas confronter des idées de solutions à la réalité des clients. La perte d'efficacité, la déperdition d'informations conduisent à la démotivation des collaborateurs et potentiellement à un turn-over important. Un déchet pourrait aussi se voir comme une réclamation client, un irritant non résolu, une insatisfaction chronique qui, non traités, font perdre du temps et des ressources aux entreprises. Ne dit-on pas à l'AMARC qu'il faut transformer un pépin en pépite, une formule qui va à ravir à la permaculture client.
- La conception, du général aux détails : ce principe invite à avoir une vue d'ensemble avant de traiter le détail, penser des zones, l'emplacement de ses composants en fonction de leur apport. Je ne peux pas m'empêcher de penser à Vineet Nayar qui dans son fameux livre "les employés d'abord, les clients ensuite" développe le concept de zones de valeur. Ainsi, on pourrait imaginer que la zone primaire de la permaculture client serait celle du contact avec le client, et toutes les zones qui entourent cette zone la serviraient, des managers de proximité au back office, jusqu'au top management. Ainsi, en permaculture client, on ne parlerait pas de client interne mais de client final, dans la zone centrale.
- Intégrer au lieu de séparer, ségréguer : un principe qui serait fort dans la permaculture client. Il s'agit ici de la bonne coopération entre les parties prenantes, du décloisonnement indispensable, des relations mutuelles et symbiotiques (nés d'une union étroite et harmonieuse), souvent source d’abondance et de valeur. Autrement dit : aider les collaborateurs à mieux travailler ensemble, mettre les bonnes ressources au bons endroits, favoriser l'entraide et lutter contre la concurrence entre les services. Blaise Leclerc nous dit dans sa bible de la permaculture : "les connexions entre les éléments sont aussi importantes que les éléments eux-mêmes" et nous invite à penser aux liens naturels entre les éléments. J'ajouterais un extrait de la 2ème édition du livre "Culture Client" de Serge Rouvière qui vient de sortir : l'auteur considère que la destruction des silos organisationnels est l'un des changements radicaux pour devenir orienté clients.
- Utiliser des solutions lentes et à petite échelle : une démarche de permaculture client se conçoit dans la durée, elle invite à la patience d'une part. Dès qu'on parle de croyances très enracinées, de comportements habituels il faut prendre en considération le temps long. D'autre part, dans une démarche de permaculture client, on procédera par des avancées locales, personnalisées, on favorisera des actions à l'échelle d'un point de vente, d'un service, d'une direction. On bannira la centralisation, l’industrialisation et la concentration : la permaculture client est l'affaire de tous et elle se joue au niveau individuel et par petites unités qui avancent à leur rythme.
- Se servir de la diversité et la valoriser. Au sein d'une organisation, la richesse nait de la diversité, du respect et de la saine confrontation des points de vue. La permaculture client, c'est la valorisation des différences, l'ouverture d'esprit, l'harmonie entre les nouveaux et les plus anciens, les femmes et les hommes, les collaborateurs en difficulté et les plus motivés. C'est un facteur de survie pour une marque et pour une entreprise. Je me souviens d'un livre qui m'avait passionné "Funky Business" dont les auteurs suédois vantaient les bénéfices de la diversité au sein des entreprises, reflet d'un monde et d'un client qui changent. Ecrit en 2001, en pleine bulle internet, il annonçait le monde professionnel dans lequel beaucoup d'entreprises évoluent. La diversité au sein des entreprises doit être égale à celle des clients, un crédo partagé par Apple.
- Utiliser les bordures et valoriser la marge. En appliquant ce principe à la permaculture client, on évoquera les liens de l'entreprise avec le monde extérieur, la connexion avec les autres entreprises, les échanges de bonnes pratiques, l'innovation faite avec les fournisseurs, l'ouverture pour sensibilise les collaborateurs à la nécessité d'évoluer. La lisière de l'entreprise est une zone fertile, pour peu qu'on soit curieux, ouvert aux échanges et qu'on ait envie d'apprendre.
- Face au changement, être inventif. Dernier principe : l'adaptation aux attentes toujours grandissantes des clients et des collaborateurs, la sensibilité au monde dans lequel nous évoluons, la nécessaire et permanente remise en question. La permaculture client, c'est trouver sa place dans le monde avec modestie et ambition, penser à son impact et imaginer demain.
En conclusion de ce billet sur la permaculture client, Florence tenait à citer Victor Hugo : "Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que de mauvais cultivateurs."
1063ème billet du blog Sens du client, rédigé par Florence Bouchot, permacultrice client et Thierry Spencer, permaculteur client, conférencier, créateur du blog Sens du client et co-fondateur de KPAM Next.
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