Il y a quelques années, j’animais une session de sensibilisation à l’expérience client pour les dirigeants d’une banque. Alors que je développais un de mes thèmes favoris, à savoir le client collectionneur d’expériences (une de mes tendances client), j’aborde la notion de concurrence d’expérience. Je comparais alors certaines expériences de cette banque de détail traditionnelle aux expériences proposées par Amazon. Un des participants lève la main et me dit « Comment osez-vous nous comparer à un vendeur de produits sur internet ? », sur un ton agacé. Surpris, je ne tardais à pas à répondre avec aplomb et un poil d’empathie : « Je comprends que votre métier est plus complexe que celui d’Amazon, mais ce n’est pas moi qui ose vous comparer mais vos clients eux-mêmes ».

J’ai peur de ne pas avoir convaincu à l’époque ce participant et le niveau de satisfaction de son enseigne bancaire n’a d’ailleurs pas évolué depuis… Au mois de mars 2025, Bain & Company révélait les résultats de son étude sur la banque en France dans laquelle on apprenait que le Net Promoter Score (NPS) des banques françaises est à 18 en 2025 (quand Amazon est entre 50 et 75), et l’écart ne cesse de se creuser entre les nouveaux acteurs digitaux et les banques traditionnelles. « Cet écart est passé de 28 points en 2023 à 36 points en 2024, pour atteindre 43 points en 2025. » Les nouveaux acteurs digitaux dont parle Bain & Company sont Revolut, Boursobank, Fortuneo, Monabanq, HelloBank, Bforbank, N26… et leur expérience s’inspire des meilleures expériences en ligne et peut-être considèrent-ils davantage leur concurrence d’expérience. A ce sujet, j’ajouterai un chiffre issu d’une étude Sens du client pour le salon All4customer dans laquelle on apprenait que 73% des entreprises  sont d’accord (et seulement 21% tout à fait d’accord) avec la proposition suivante : « L’expérience client produite par les entreprises de l’e-commerce est une source d’inspiration et un véritable benchmark pour nous. » Preuve que la notion de concurrence d’expérience fait son chemin…

Evoquer la concurrence d’expérience revient à considérer que vous ne choisissez pas vos concurrents : vos clients le font très bien tout seuls. Votre pire ennemi n’est peut-être pas dans vos tableaux comparatifs mais dans le quotidien de vos clients. Une ancienne étude d’IPSOS et Medallia que j’affectionne nous rappelle qu’un client français sur trois a des attentes plus élevées en raison d’une meilleure expérience client dans d’autres secteurs. David Mattin (auteur, consultant et expert en tendances sous l’enseigne « New World Same Humans ») parle de l' »expectation transfer » (le transfert d’attente) comme d’un mécanisme où les attentes des clients sont élevées non seulement par l’entreprise avec laquelle ils interagissent, mais aussi par des innovations dans d’autres secteurs. La concurrence d’expérience agit sur le niveau d’attente de vos clients !

Qu’est-ce que la concurrence d’expérience ?

La concurrence d’expérience désigne l’idée selon laquelle les entreprises, les marques ou les enseignes ne se battent plus seulement contre leurs concurrents directs, mais contre toutes les expériences mémorables que vivent leurs clients au quotidien, quel que soit le secteur d’activité. Formulé autrement : ce qui influence les attentes de vos clients, ce n’est pas seulement l’entreprise concurrente dans le même secteur, mais la meilleure expérience vécue et perçue, où qu’elle ait eu lieu.

La concurrence d’expérience est la compétition sur le terrain de l’émotion, de la simplicité, du plaisir ou de l’enchantement, indépendamment du produit, du service ou du marché. Elle repose sur l’idée que les clients comparent inconsciemment tous les services et produits qu’ils utilisent : une banque avec Amazon, une assurance avec Uber, une administration avec Apple, un constructeur automobile avec Nespresso, un distributeur avec Disneyland… Les clients évaluent en silence l’expérience globale comme les points de contact ou micro- expériences du quotidien : accueil, rapidité, résolution des problèmes, effort, personnalisation, fluidité des interfaces digitales, qualité de l’interaction humaine…

Un nouveau benchmark

Votre benchmark (votre balisage comme dirait les Québécois, une formule que j’aime bien) n’est plus votre voisin sectoriel : c’est la meilleure expérience dans l’esprit du client. On ne s’étonnera pas de découvrir dans le Panorama 2025 de la culture client en France que les entreprises les plus avancées dans la culture client sont celles qui s’intéressent aux autres marques, s’y comparent, ou même les font intervenir au sein de leur entreprise.

Au sujet du benchmark, je racontais l’an passé dans un de mes billets que j’avais instauré une routine avec mon équipe à l’époque ou j’occupais les fonctions de directeur de la relation client : faire une réclamation par semaine à n’importe quelle entreprise ou marque afin de se constituer un formidable catalogue de réponses et de postures de marques face au client.

Dans une de mes expériences de consultant au service d’une marque automobile, nous avions détecté une source d’irritation dans la prise de rendez-vous en atelier. Plutôt que de faire un benchmark avec les autres constructeurs, nous avions fait la comparaison avec Doctolib, Darty et les Apple stores, considérant qu’ils étaient des concurrents d’expérience pour cette étape du parcours client.

Dans la même veine, pour mes missions incluant des learning expeditions (ou safaris retail), j’ai emmené avec mes collègues une enseigne de bricolage chez McDonald’s, un promoteur immobilier chez Apple, un constructeur automobile avec Nespresso, un industriel chez L’Oréal, un assureur chez SNCF Connect.

Un effet sur la culture client de l’entreprise

La concurrence d’expérience, c’est quand votre client attend de vous ce qu’il a déjà obtenu ailleurs, même si ce « ailleurs » n’a rien à voir avec votre métier. Se décentrer par rapport à la compétition sectorielle revient à s’intéresser à l’expérience perçue par les clients, et se nourrir des nouveaux standards d’expérience. J’évoque ce sujet dans un de mes billets de 2025 : L’expérience client entre théorie et réalité. Pour l’illustrer, j’ai trois bonnes citations :

  • l’une de Kate Zabriskie : « La perception du client est votre réalité » (à retrouver dans ma vidéo « 10 citations pour enrichir votre expérience client, une vidéo Sens du client« )
  • et deux autres de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon : « Nous ne sommes pas obsédés par nos concurrents, nous sommes obsédés par nos clients » et « Si nous parvenons à maintenir nos concurrents concentrés sur nous pendant que nous restons concentrés sur le client, nous finirons par nous en sortir très bien. » Du fait de la qualité de son expérience, j’ai coutume de dire qu’Amazon est désormais le concurrent d’expérience N°1 de toutes les entreprises.

Lorsque j’entends « Oui, mais chez nous c’est différent », « On n’a pas vraiment de concurrents », « En B2B ce n’est pas pareil », « Notre expérience est unique » ou encore la phrase de mon banquier cité en début de billet « Comment osez-vous nous comparer à Amazon ? », alors je suis très motivé à l’idée de défendre la notion de concurrence d’expérience qui me semble centrale au bénéfice de la culture client d’une entreprise et de sa survie tout simplement. Ne pas la prendre en compte fait courir de grands risques à votre entreprise.

Quels sont les risques à ignorer sa concurrence d’expérience ?

  1. Perdre des clients, des parts de marché ou des parts de portefeuille. Si les attentes des clients sont façonnées par des expériences meilleures dans d’autres secteurs et que votre entreprise ne s’y adapte pas, vos clients peuvent se tourner vers des alternatives offrant une meilleure expérience pour tout ou partie de leurs besoins. Pour illustrer ce point, je citerai à nouveau l’étude de Bain & Company : « Entre 2021 et 2025, la part des produits détenus auprès de la banque principale a chuté de 11 points, passant de 78 % à 67 %, signe d’une fragmentation accrue de la relation bancaire. » et « 78% des clients sont désormais usagers d’au moins un des nouveaux acteurs (fintech ou neobanques), soit 11 points de plus qu’il y a 4 ans. ». Alors que 95% des clients restent fidèles à leur banque, c’est à dire ne la quittent pas comme banque principale, ils se fournissent ailleurs pour certains produits. Les clients sont sensibles aux alternatives qui proposent une expérience dans les meilleurs standards.
  2. Dégrader son image de marque et paraître déconnecté. Les clients comparent constamment votre expérience avec celle qu’ils vivent ailleurs, c’est la notion de client collectionneur que je défends. Ignorer cette concurrence d’expérience peut vous faire paraître archaïque ou déconnecté, même si vos produits ou services sont bons.
  3. Prendre du retard sur son marché et être déclassé en termes d’innovation. Alors que le rythme des innovations s’accélère, ne pas observer les standards imposés par la concurrence d’expérience empêche de détecter les nouvelles normes de satisfaction. Cela a pour conséquence de créer un grand retard d’innovation, car l’entreprise n’anticipe pas ce que les clients attendent réellement, ce qui rend les initiatives moins visibles, plus coûteuses et moins efficaces.
  4. Nuire gravement à sa culture client. En ne s’intéressant pas aux concurrents d’expérience, on perd le focus sur le client, on affaiblit l’attention portée aux besoins émotionnels comme aux attentes opérationnelles des clients. On s’enferme et on se replie sur soi-même avant d’être complètement insensible au monde qui nous entoure.

1187e billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, consultant et co-fondateur de KPAM Next, auteur du récent livre « Merci, petites et grandes histoires de l’expression de la gratitude ».