Faire défiler un contenu sur un écran informatique, telle est la définition de l’anglicisme scroller, à ne pas confondre avec swiper, le balayage horizontal (qui est le geste signature de l’application de rencontres Tinder dont le slogan est « swipe right »). Le scrolling infini est né en 2006, imaginé par Aza Raskin. Son but : supprimer les interruptions liées aux boutons « page suivante » ou « voir plus », en rendant le chargement automatique. Il efface les repères temporels, les pauses naturelles et supprime la fin.
L’étude de la Direction générale du Trésor de septembre 2025 a mis en lumière le coût économique du « scroll », en évaluant le temps passé sur les contenus numériques à faible valeur ajoutée et son impact sur la productivité. Elle souligne que ce phénomène, souvent perçu comme anodin, représente à l’échelle nationale un enjeu réel en termes d’attention et de production. Selon ses calculs le scrolling nous ferait perdre deux points de PIB, soit 10 milliards d’euros par an.
La baisse d’attention n’est pas seulement un “manque de volonté” : c’est le résultat d’un environnement technologique, social et économique conçu pour la détourner. On vit dans une économie de la distraction, où notre attention est devenue une ressource à exploiter.
Cette tendance traite de la crise de l’attention qui nous touche toutes et tous. Johann Harin, dans son livre On vous vole votre attention nous dit que notre attention ne n’est pas effondrée, elle nous a été volée.
Les deux natures d’explications de la crise de l’attention
- Les explications scientifiques (psychologie et neurosciences), telles que la fatigue psychique et émotionnelle, les conséquences de ce que l’on nomme l’économie de l’attention, la surcharge émotionnelle ou encore la fragmentation cognitive. Pour illustrer ce point, je prends l’exemple très commun où vous faites un créneau en voiture et vous éprouvez le besoin de couper la musique de votre autoradio. Notre cerveau n’est pas conçu pour absorber un flux continu d’informations rapides et variées. Cette surstimulation permanente provoque : une baisse de concentration, une fatigue mentale, une incapacité à mémoriser ou synthétiser les contenus rencontrés. C’est ce qu’on appelle la surcharge cognitive : notre esprit est saturé, notre attention fragmentée.
- Les explications sociologiques telles que la pression à la performance et à la dispersion des rôles dans notre quotidien, la crise de la lecture et de la présence et enfin la culture de la vitesse et de l’immédiateté. L’exemple que je prendrais est celui des messageries instantanées qui se sont installées dans notre quotidien. 73 % des utilisateurs de messageries instantanées privilégient désormais les notes vocales aux messages écrits (Médiamétrie) et 45% des Français les trouvent trop longs et ennuyeux. La durée idéale d’une note vocale est de 41 secondes selon les répondants d’une étude conduite par Preply, ce qui conduit nombre d’utilisateurs à utiliser le bouton d’accélération de la lecture des notes vocales sur leur téléphone.
Désormais 70% des 16 à 30 ans déclarent passer souvent du temps à faire défiler leur fil d’actualité sans but précis – autrement dit scroller – nous révèle Ipsos pour MACIF dans son étude Les addictions et leurs conséquences sur les jeunes de 2025. Olivier Babeau, dans son ouvrage La tyrannie du divertissement parle d’un « loisir hors de soi » et il ajoute « C’est une activité qui vous éloigne de vous-même, qui vous atrophie. C’est le scrolling qui vous aura fait perdre trois quarts d’heure de votre vie, parce que vous avez sauté d’une vidéo à l’autre. » Laurent Tessier a consacré un essai au phénomène qu’il a intitulé Scroller, l’art de faire défiler sa vie. Il y qualifie le scroll de métaphore contemporaine, l’essence même de notre quotidien. Il nous offre un point de vue sociologique sur la valeur du temps à perdre et du temps perdu. Le jour où je suis tombé sur ce délicieux petit livre en librairie, j’ai su que je tenais une tendance.
Ce temps perdu dont parlent les auteurs est mesuré par le Baromètre du numérique ARCEP ARCOM CREDOC de Mars 2025. 42% des Français estiment passer trop de temps devant les écrans pour un usage personnel, dont 19 % « beaucoup trop ». Cette même étude nous révèle que 72% des Français déclarent passer plus de 2 heures par jour devant les écrans pour un usage personnel (25 % indiquent y passer plus de 5 heures par jour. Ce taux monte à 39 % chez les 18-24 ans.).
La bataille de l’attention.
Il nous semble loin le temps où Patrick Le lay, le patron de TF1 déclarait « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. », avant d’ajouter en 2020 « Pour les annonceurs, le temps d’antenne ne représente rien d’autre que des « contacts clients ». De l’attention humaine. » A partir de la date de la déclaration initiale, la chaine de télévision n’a cessé de perdre des téléspectateurs et des parts de marché (de 31,8% en 2004 à 18,7 en 2024). Le temps de cerveau disponible est resté le même mais les candidats à son occupation se sont multipliés. La directrice générale de YouTube déclarait récemment que son réseau était devenu la première chaine de télévision. Le fait est que 1 000 chaînes françaises ont dépassé le million d’abonnés sur YouTube et on dénombre 73 milliards de vues pour les YouTube Shorts en 2024 en France (source : Reech Influence Cloud), sachant que YouTube n’est que le 3ème réseau social utilisé par les Français, derrière Facebook et Instagram, et juste devant TikTok et sa percée fulgurante (43% d’utilisation par les Français et 23% du temps passé sur les réseaux sociaux).
La grande nouveauté de l’année selon la neuvième édition de l’étude Reech, c’est que pour la première fois, les réseaux sociaux l’emportent sur la télévision en termes de dépendance. A la question « Quels sont les médias dont vous ne pourriez absolument pas vous passer ? », nos concitoyens répondent à 55% les réseaux sociaux et 54% la télévision. Un petit point de bascule symbolique, et plus de 33 points au dessus de la radio et 46 points au dessus de la presse. Les 18-34 ans sont quant à eux 77% à déclarer ne pas pouvoir se passer des réseaux sociaux.
Il faut désormais compter avec de nouveaux acteurs qui cherchent à capter cette si précieuse et si rare attention. On pourrait citer, outre les réseaux sociaux émergents tels que BeReal, les acteurs historiques que sont les éditeurs de jeux vidéo. Le directeur marketing de Playstation assume intégrer désormais comme concurrent Netflix ou YouTube, même son de cloche chez Xbox qui « abandonne la guerre des consoles et vise TikTok ». Duolingo, la plateforme d’apprentissage des langues compte 98 millions d’utilisateurs mensuels (+35% en 2024) et la moitié de ses utilisateurs français a moins de 30 ans.
Les conséquences sur la relation client et l’expérience client
66% des Français souhaitent recevoir des communications à travers plusieurs canaux : e-mail, courrier, SMS, réseaux sociaux ou via une application (Source : Quadient Opinium février 2025) et 65% craignent de passer à côté de messages importants si ceux-ci sont uniquement transmis par voie digitale.
L’étude 2026 « State of the customer experience 2026 CSGI Winning Loyalty in the age of overwhelm » nous apprend des chiffres intéressants et utiles sur les conséquences des sur-sollicitations :
- 70 % des consommateurs estiment que les marques envoient tellement de messages qu’ils ne prêtent plus attention à ce qu’elles disent.
- 59 % ont supprimé des messages importants en les confondant avec des messages marketing.
- 34 % ont complètement cessé d’acheter auprès de certaines marques en raison d’un excès de sollicitations.
LES ENJEUX FACE AU CLIENT SCROLLEUR
- Se démarquer dans un flux incessant, capter l’attention sans surenchère, mériter l’attention du client.
- Créer de l’engagement durable, fidéliser malgré la distraction permanente.
- Respecter et valoriser le temps du client : chaque interaction doit avoir du sens et de la valeur
Ce 17ème exercice de tendances client annuel a donné lieu à une conférence le 4 décembre 2025 dont les partenaires étaient KPAM, Smart Tribune, SVP et Yampa.
Vous pourrez accéder début janvier à l’intégralité des slides présentées dans un livre blanc.
Pour avoir une idée de l’ambiance qui y régnait, vous pouvez accéder à l’album photo en ligne sur la plateforme Joomeo.
A News Expérience client, le média d’Agora managers, a réalisé un film qui retrace la conférence des Tendances client 2026.
1192 ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, consultant et co-fondateur de KPAM Next, auteur du récent livre « Merci, petites et grandes histoires de l’expression de la gratitude ».
