Mes idées de tendances proviennent de sources inattendues et celle-ci en est une belle illustration. J’ai fait quelques interventions pour les équipes du distributeur spécialisé Boulanger et j’ai appris qu’un des dirigeants avait commencé une de ses présentations par l’image du chien Pluto de Walt Disney, une façon maline d’aborder l’indécision comme l’indifférence potentielles du client et le ventre mou des études contre lequel nous devons tous lutter. Il ne m’en fallait pas moins pour faire germer ce qui allait devenir une tendance client.

Tendances client 2026 : pourquoi un client plutôt ?

  • Premièrement notre quotidien est peuplé de « plutôt »
  • Deuxièmement, nos expériences de client nous laissent indifférents, plutôt satisfaits ou plutôt insatisfaits.

Les clients face à un monde de choix structurants.

48% des Français se sentent souvent submergés par trop de choix dans leur vie (65% de la génération Z), selon Ipsos Global Trends 9th Edition de Sept 2025. Prenons quelques exemples :

  • En mobilité, vous êtes plutôt vélo musculaire (le nouveau nom du vélo que nous connaissons) ou vélo électrique ?
  • Voiture thermique ou voiture électrique ?
  • Avion ou train ?
  • Dans votre alimentation, vous êtes bio ou conventionnel ?
  • Végétarien/vegan ou carné/flexitarien ?
  • Circuit court ou grande distribution ?
  • Dans votre consommation, vous êtes discount ou premium ?
  • Produits neufs ou Occasion /réparé / reconditionné ?
  • Made in France ou Made « je sais pas trop où et j’aime mieux pas savoir »
  • Face à la technologie, vous êtes « à la demande » / Streaming / abonnement ou Télévision linéaire (le nouveau nom de la télévision telle que nous la connaissions) / Possession / achat
  • IA et automatisation ou bien Service humain
  • Cloud ou stockage local
  • Au travail, vous êtes plutôt présentiel ou à distance ?
  • Teams, Google Meet, Zoom ou Skype ?
  • Bureau individuel ou Openspace / flexoffice
  • Dans la vie, vous êtes salarié ou indépendant
  • Salarié en évolution pour être manageur ou bien plutôt « jamais manageur »
  • Avec enfants ou sans enfants / avec animaux de compagnie

Jamais nous n’avons été confrontés à autant d’arbitrages, petits ou structurants, dans toutes les dimensions de notre vie. Se déplacer, se nourrir, consommer, travailler, se divertir, se projeter dans la vie : chaque acte est devenu un choix, souvent binaire, parfois anxiogène, renforcé par la technologie qui impose ses dilemmes. Cette inflation des alternatives finit par saturer. Le client 2026 n’est donc pas indécis par nature : il est épuisé par la nécessité permanente de devoir choisir et parfois de justifier ses choix. Il ne cherche plus forcément le meilleur, mais le « plutôt juste », celui qui lui permet d’avancer sans regret excessif ni surcharge mentale.

Les clients de la terre du milieu

Abordons l’autre plutôt, celui qu’on découvre dans le ventre mou des études, le client indifférent. On doit le « plutôt » dans le domaine des études à un homme, Rensis Likert (1903-1981) psychologue américain, créateur de l’échelle de Likert, une forme de questionnaire psychologique permettant de quantifier les attitudes. Elle est composée d’une série d’affirmations auxquelles le sujet doit indiquer son degré d’accord. Dans cette échelle on trouvera les formulations « plutôt d’accord » ou « plutôt satisfait ». Cette échelle a eu pour conséquence de quantifier cette grande zone grise du milieu née du biais de l’étude. Le biais du milieu (ou central tendency bias en anglais) est la tendance à éviter les extrêmes et à privilégier les choix ou jugements situés au centre d’une échelle de réponse (les « plutôt »). Les répondants ont tendance à cocher les options intermédiaires par prudence, indécision ou pour éviter de se positionner clairement.
J’ai donc investigué ce sujet pour estimer la part de clients neutres ou passifs, appartenant à la terre du milieu (pas celle du Seigneur des anneaux, mais celle de l’expérience client).

Je me suis appuyé sur les résultats publics de l’Observatoire des parcours clients 2025 PMP Skeepers pour estimer la part de clients neutres ou passifs dans 18 secteurs, sur la mesure du NPS. Il en ressort que 43% des clients répondent 7 ou 8, autrement dit 4 clients sur 10 sont « plutôt satisfaits », une part considérable de la clientèle ! Le poids des clients neutres, ces « plutôt satisfaits » qui ne sont ni détracteurs, ni promoteurs est massif ; ces clients représentent le cœur de la clientèle.

J’ai ensuite isolé 3 groupes en me basant sur le NPS moyen (14) et la part de neutres moyenne (43%) pour faire une typologie :

  • Les plutôt apathiques, qui vivent une expérience sans relief, fade, standardisée, sans engagement émotionnel. Le NPS des clients de ce secteur est inférieur à la moyenne et le taux de neutres supérieur à la moyenne. On y trouve les « Destockeurs », les GSA généralistes, le secteur des Telecoms et de l’Energie. Les plutôt apathiques traduisent une expérience fonctionnelle mais désengagée, où la relation client est réduite à l’exécution. Le danger n’est pas l’insatisfaction immédiate, mais la vulnérabilité extrême à la concurrence (telecom, énergie) ou le désengagement émotionnel (grandes surfaces alimentaires).
  • Les plutôt indifférents, dont le NPS est supérieur à la moyenne mais dont le taux de neutres est supérieur à la moyenne, ou dont le NPS est inférieur à la  moyenne et le taux de Neutres inférieur à la moyenne. Les secteurs concernés : Grands magasins, Livraisons colis, Location voiture, GSA spécialistes, Distribution beauté, Mode/habillement, Equipement maison, Sport, Pure players digitaux, Bricolage/jardin et Banque. Les plutôt indifférents incarnent une situation ambiguë : les marques performent en moyenne parfois correctement en NPS, mais sans créer d’adhésion. La satisfaction existe, la préférence non.
  • Les plutôt sensibles. Le NPS des clients est supérieur à la moyenne et le taux de neutres inférieur. Sans surprise, on y trouve Cosmétiques et Marques de luxe, mais on compte le secteur de l’Assurance ! Les plutôt sensibles démontrent qu’il est possible, même dans des secteurs réputés peu émotionnels, de réduire la zone grise au profit de positions plus tranchées, positives ou négatives. Quand je dis « réputé peu émotionnel », je fais référence à l’image qu’on a de l’assurance, y compris chez les professionnels, alors que les clients y vivent des émotions bien plus fortes lors d’un sinistre que lors de l’achat d’une crème pour les mains ou d’un sac onéreux.

En creux, cette analyse pose une question stratégique forte : une base de clients « plutôt », c’est à dire majoritairement neutres est-elle un actif ou un risque ? La réponse penche clairement vers le risque, car le client « plutôt satisfait » est silencieux (cf ma tendance client 2025 Le client sera silencieux), infidèle, peu recommandant et rarement indulgent en cas de problème.

Dans un monde peuplé de clients « plutôt », les entreprises devraient : 

  • Ne plus piloter uniquement la satisfaction moyenne car un NPS correct peut masquer une espèce d’immobilité émotionnelle. Les entreprises devraient suivre la part de neutres comme un indicateur à part entière, au même titre que les détracteurs. Réduire le ventre pourrait devenir un objectif stratégique !
  • Requalifier le « client plutôt ». Tous les « plutôt satisfaits » ne se ressemblent pas. Il est essentiel de distinguer le neutre par indifférence, le neutre par prudence, le neutre par faible implication ou le neutre par manque de différenciation perçue. Cette requalification passe par des verbatims, des questions ouvertes et des approches qualitatives.
  • Travailler l’expérience sur les moments à enjeu émotionnel qu’on nomme souvent des « moments de vérité » du parcours client. On ne fait pas basculer un client neutre avec plus de process ou plus de conformité. La bascule se joue sur les irritants non résolus, les moments de vérité mal incarnés, la qualité de la relation humaine quand elle est présente dans le parcours et enfin la réduction de l’effort dans des parcours devenus trop complexes.
  • Accepter que tout le monde ne passera pas de « plutôt satisfait »/neutre/passif à  promoteur. L’objectif n’est pas de transformer artificiellement chaque client en ambassadeur (comme on le fait avec le survey begging, lire mon billet à ce sujet), mais de réduire absolument l’indifférence. Passer de « plutôt satisfait » à  « satisfait » ou « très satisfait » est souvent déjà une victoire, car cela crée de la préférence et de la fidélité client.
  • Prendre conscience qu’il n’y a pas de fatalité. La comparaison intersectorielle montre qu’il n’existe pas de fatalité. Si l’assurance peut produire des clients « plutôt sensibles », alors les secteurs historiquement apathiques disposent, eux aussi, de marges de manœuvre expérientielles. On ne s’étonnera pas de voir MAIF ou Macif caracoler en tête des classements intersectoriels en 2025 (lire mon billet Le prix des prix 2025 remis à la Macif).

EXEMPLE DE DIFFERENCIATION DANS LA BANQUE

  • Prenons l’exemple du secteur de la banque, dont je classe les clients dans la catégorie « plutôt indifférents » avec ma typologie, et l’un des nouveaux venus sur le marché, la néo-banque Revolut, qui compte plus de 50 millions d’utilisateurs dans le monde, dont 6 millions en France. Elle se distingue par son modèle 100% numérique, très orienté utilisateur et surtout, elle est obsédée par la différenciation. Différenciation par l’innovation, par l’interface intuitive, par ses services transfrontaliers… Revolut domine le classement du NPS (selon le NPS PRISM de Bain & Company Banking report) en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Pologne. En France, Forrester commente les bons résultats de Revolut dans son CX Index (au coude à coude avec les leaders en satisfaction que sont le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel) avec ces mots :  « Point fort : la simplicité et l’efficacité de son application mobile. Elle récolte également les suffrages de ses usagers sur le rapport qualité-prix » et « Revolut gagne sur l’émotion, et ses clients pensent que la banque s’aligne sur leurs valeurs. »

EXEMPLE DE DIFFERENCIATION DANS LA DISTRIBUTION SPECIALISEE

  • Dans ce secteur, les clients semblent être dans ma typologie « plutôt indifférents ». J’y ai trouvé une enseigne intéressante à étudier. Créée en 2011, Jimmy Fairly est une marque française qui propose des lunettes (optique & solaire) et dont l’ambition affichée est de « Révolutionner le monde de l’optique avec une expérience lifestyle inspirante et accessible, tout en ayant un impact social positif. Le client est au cœur de toutes nos attentions. More Conscious, More Quality, More Love. » (extrait de leur site internet). Tous les points de contact ont été revus en magasin et en ligne pour sortir des codes d’un secteur qui présente peu d’aspérités.

Les enjeux pour faire face au client « plutôt »

  • Sortir du « plutôt » en renforçant la clarté de la promesse et de l’expérience, à l’instar des deux exemples pris ici.
  • Mettre du sens dans la relation. Aider les clients à comprendre et adhérer à la raison d’être de la marque.
  • Sortir de l’illusion des enquêtes plutôt satisfaisantes en comprenant et en réduisant la neutralité client pour créer une véritable préférence.

Ce 17ème exercice de tendances client annuel a donné lieu à une conférence le 4 décembre 2025 dont les partenaires étaient KPAM, Smart Tribune, SVP et Yampa.

Vous pourrez accéder début janvier à l’intégralité des slides présentées dans un livre blanc. Elles viennent illustrer les propos de ce billet de blog.

Pour avoir une idée de l’ambiance qui y régnait, vous pouvez accéder à l’album photo en ligne sur la plateforme Joomeo.

A News Expérience client, le média d’Agora managers, a réalisé une vidéo qui retrace la conférence des Tendances client 2026.

1193 ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, consultant et co-fondateur de KPAM Next, auteur du récent livre « Merci, petites et grandes histoires de l’expression de la gratitude ».