J’ai fait début décembre un sondage sur Linkedin auquel 61% des 119 professionnels ont répondu oui à la question « Dans vos enquêtes de satisfaction envoyées aux clients, constatez-vous une baisse des taux de retour des questionnaires ? ».
Les professionnels constatent une baisse des taux de retour des questionnaires de satisfaction.
Ce rapide sondage cité en introduction est le reflet d’une réalité démontrée par Qualtrics dans son rapport sur les tendances de la consommation en 2025. Qualtrics se demandait comment les consommateurs expriment leurs retours (ou pas) au sujet d’une expérience Insatisfaisante (2024 vs 2023). Il en ressort que :
- Le partage direct de l’avis avec l’entreprise (qui pèse 32% du total déclaré) baisse de 8 points
- La publication réseaux sociaux (16%) baisse de 7 points
- La conversation avec amis ou famille (45%) baisse de 5 points
- Le commentaire ou avis sur site avis tiers (22%) baisse de 4 points
- Le silence (le clients qui n’en ont pas parlé, soit 24% des répondants) est en hausse de 6 points.
Est-ce la lassitude de se voir proposer de mettre une bonne note à la demande des conseillers ou vendeurs, ce que les américains nomment le survey begging ? (vous pouvez relire à ce sujet un de mes billets passés qui a eu beaucoup de succès, et pour cause : IRRITANT : mettez-moi 10 s’il vous plait ! L’effet pervers du lien entre rémunération et satisfaction client.). Si ce n’était que cette raison, le mutisme en croissance des clients serait simple à résoudre… Si l’on s’intéresse aux raisons pour lesquelles les gens déclarent avoir abandonné avant d’avoir terminé un questionnaire, Hubspot nous livre des réponses dans une de ses études :
- Trop de questions (23%). 15% des répondants abandonnent le questionnaire si celui-ci dure plus de 3 minutes.
- Pas motivés à répondre aux questions sur le(s) sujet(s) de l’enquête (11 %).
- Pas sûr de l’impact qu’auraient les réponses au sondage (9 %).
- Les questions les obligeaient à réfléchir trop profondément (8 %).
- Navigation ou interface demandent trop d’effort (7%)
Je me suis fait l’écho d’une autre étude dans mon billet « Et si vos clients ne vous parlaient plus ? » en mars 2024. Elle vient conforter ces chiffres.
Ce que j’observe avec attention et qui me préoccupe le plus, ce sont les 9% des clients qui pensent que leur réponse n’aura pas d’impact. A croire que les entreprises ne tiennent suffisamment pas compte des études en général. C’est ce qui avait motivé l’écriture d’un de mes billets de 2016 intitulé « Ecoute des collaborateurs : l’oreille cassée ? », pour démontrer que les entreprises souffraient d’une forme de surdité en symétrie si je puis dire.
Une étude très récente (Rapport 2025 sur les tendances EX par Qualtrics), nous apprend que 39% des collaborateurs n’ont pas remarqué de changements positifs suite à des enquêtes envoyées au personnel. On parle ici du client silencieux, on pourrait tout aussi bien parler du collaborateur silencieux !
Prenons un autre axe d’analyse : la vente aux professionnels, autrement dit le B2B. L’étude State of customer experience management B2B 2025 de Medallia nous apprend que la collecte du feedback en b2b se fait via une étude semestrielle ou annuelle à 61%, après des interactions spécifiques à 38% et que seulement 45% des entreprises B2B sollicitent le feedback de l’utilisateur final. De quoi alimenter cette tendance du client silencieux avec le professionnel silencieux lui aussi.
Quelles sont les entreprises exemplaires en termes d’écoute client ?
Vous ne serez pas étonné que je cite notre champion national Decathlon qui a mis en place il y a presque dix ans un système plein de bon sens (dont je m’étais fait l’écho dans un billet intitulé « APPLAUDISSEMENT : Decathlon fait la révolution dans les avis clients »). Le principe, décrit par l’enseigne, est simple : « Nous nous engageons à retirer les produits DECATHLON notés en dessous de 3/5. Nous cherchons également à améliorer en continu nos services en magasin et en ligne. » Interroger les clients, leur rendre des comptes et prendre des décisions en fonction de leur avis : connaissez-vous une meilleure pratique ?
Passons du nord de la France au sud de l’Europe et regardons du côté de l’enseigne qui compte 1600 magasins, 100 000 employés, qui a vu son chiffre d’affaires 2023 progresser de 15% à 35,5 milliards d’euros et son bénéfice net augmenter de 40% à un peu plus de 1 milliard d’euros. Je veux parler de Mercadona dont la vision est formulée de la sorte : « Construire une chaîne agroalimentaire durable, que les gens souhaitent voir exister et dont ils soient fiers, dirigée par Mercadona et ayant ‘El Jefe’ comme phare. » Je n’ai pas traduit El Jefe. Il s’agit du nom qu’on donne au client dans l’enseigne espagnole et cela signifie « le patron » : j’adore ! Leur dispositif d’écoute est assez impressionnant : 11 000 ateliers, 23 centres de co-innovation, 200 collaborateurs dédiés, 500 améliorations, 314 nouveaux produits et 20 innovations (rapport annuel 2023). Chez Mercadona comme chez Decathlon, on n’est certainement pas touché par la tendance du client silencieux…
L’effet trou noir des enquêtes client
La batterie de mesures de la performance client devient impressionnante. Au premier rang de ce panel se trouve la satisfaction qui reste un classique de la mesure indétrônable. Depuis de nombreuses décennies, elle alimente les tableaux de bord avec sa simplicité et sa facile compréhension. On pourra lui reprocher d’être un métrique de vanité, pour traduire littéralement cette formule américaine (vanity metrics) qui désigne les indicateurs qui font plaisir à leurs émetteurs. 85% de taux de satisfaction client, c’est formidable, n’est-ce pas ? Le chiffre semble positif et pourrait bien cacher une réalité autre, comme dans la fameuse formule de la pastèque verte à l’extérieure, rouge à l’intérieur.
A cette mesure classique s’ajoute désormais le NPS (net promoter score) qui a conquis le monde au point qu’on pourrait le nommer le « COMEX delight » tant il a réussi à séduire les plus hautes sphères des entreprises. Je vous invite à ce sujet à relire mon billet de 2023 à propos du NPS « Le NPS a 20 ans : bilan des forces et faiblesses de ce KPI« .
Autre nouveau classique : la mesure de l’effort client (Customer effort score) qui a su prendre sa place comme 3ème grande mesure classique adoptée par bon nombre d’entreprises dans les dernières années.
Dans ce musée aux trois pièces maîtresses, on peut ajouter ce fil rouge capital que constituent les précieux verbatims client, objet d’analyses plus ou moins profondes.
A ces mesures, il faut aussi ajouter une grande famille de métriques analytiques : l’étude des médias sociaux, le monitoring des achats, des usages ou de la navigation, l’étude des échanges issus du Voice-to-text et des diverses productions du client dans ses interactions.
C’est le moment de se poser la question de la capacité qu’auront les entreprises à analyser tout cela intelligemment et d’en faire quelque chose efficacement. J’ai déjà observé dans les entreprises le recours massif à l’Intelligence Artificielle à mauvais escient. Avec une masse considérable de données, l’IA produit des rapports incroyablement stériles et inutiles (avec des conclusions telles que « il faut baisser les prix », « il faut répondre plus vite », « les clients sont en colère à 15,3%, ils sont déçus à 8,6% »…). Pour quoi faire ? Ce recours à la machine pour analyser des données toujours plus importantes sans matière grise humaine, doublé du fait qu’on ne prend pas de décision suite à une enquête pourrait bien précipiter les responsables de l’expérience client dans un trou noir qui transforme la masse d’insights client en néant. C’est ce que j’ai nommé l’effet trou noir.
Les enjeux de la tendance du client silencieux sont :
- Repenser ses sollicitations
- Concentrer ses mesures sur les moments clés
- Développer ses capacités d’analyse humaines
- Rendre des comptes au client
1144ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next.
La rubrique Tendances client vous donnera accès à mes billets de tendances.
Vous retrouverez bientôt ces tendances sous forme d’un livre blanc sur le site de KPAM.
Vous pouvez également découvrir ci-dessous la vidéo de présentation de la conférence du mois de décembre dont les partenaires étaient Comearth, KPAM et SmartTribune. Vidéo réalisée par ANews Expérience client.