C’est un fait : notre pays vieillit. Le client devient vieux.
Rappelons en introduction qu’être vieux, c’est une affaire de perception. Si vous interrogez les moins de 25 ans, ils vous diront qu’on est vieux à 60 ans. Posez la question à une personne de 64 ans et elle vous répondra 75 ans (Sources : American psychological association et l’agence allemande sur le vieillissement – TNS Sofres 2008).
Mais au delà de la perception, il y a les faits. Si vous croisez les courbes des moins de 19 ans et des plus de 65 ans, vous observerez (en vous basant sur le scénario central de l’INSEE) que nous sommes au croisement des deux courbes, ce que j’appelle le vieux ciseau. Au 1er janvier 2024, la France comptait 14,7 millions de plus de 65 ans, soit un habitant sur cinq (Selon cet article du Monde). Ajoutons qu’à l’horizon 2070, les plus de 65 ans représenteront 29 % de la population, contre moins de 13 % en 1970.
Le client vieux, une tendance et un impensé français
Ce que m’intéresse dans cette tendance, c’est qu’il y a une forme d’impensé du phénomène. C’est ce que dit Maxime Sbaihi dans son ouvrage « Le grand vieillissement, comment faire face au papy boom ? » : « La France devient un pays de vieux. Le ‘grand vieillissement’ ne fait que commencer. Les Français ont pris un sacré coup de vieux et nous faisons semblant de ne pas l’apercevoir. » Les mêmes propos sont tenus par le directeur éditorial du magazine VIEUX qui vient de sortir en 2024, avec la collaboration d’Antoine de Caunes, l’incarnation du « NOLD » (never old). Il déclarait lors du lancement de ce nouveau titre : « Si nous nous lançons, c’est parce que l’âge est un impensé, un déni français ». Ces douze derniers mois ont aussi vu le lancement d’une nouvelle formule du magazine Notre temps (diffusion mensuelle moyenne de 763 739 exemplaires avec une audience de 4 538 000 lecteurs), dont l’ambition est – selon la directrice des rédactions, Marie Auffret en octobre 2024 – : « Répondre aux nouvelles attentes des seniors et s’inscrire plus encore dans les mutations de son époque ».
La France semble nier cette tendance et cela a pour conséquence de faire craindre aux clients vieux d’être invisibilisés. Seulement 16% des 65 et 75 ans arrivent à s’identifier aux personnages mis en scène dans les publicités (source IPSOS). Dans les derniers mois, j’ai noté de rares présences de personnes âgées : la dernière campagne de publicité de Zalando avec Wilem Dafoe (69 ans) ou une gamme complète de Playmobil avec des personnages aux cheveux blancs.
Les clients vieux en mal de considération
70% des Français entre 65 et 75 ans pensent que la société ne se soucie pas suffisamment des personnes de leur âge, c’est ce que nous apprend IPSOS dans une de ses études. Pour nous recentrer sur nos préoccupations concernant l’expérience client, il faut aller chercher du côté d’Opinion Way qui a réalisé une étude en 2024 pour Eloquant, Apizee et Smart Tribune (un des 3 partenaires de mes tendances). Dans cette étude, on observe que les 65 et plus sont significativement plus sensibles à ces 3 critères pour la réussite de leur expérience de client vieux :
- Ecoute, considération, bon relationnel de la part des conseillers/vendeurs (49% vs 39% pour les 18-24 ans)
- Un SAV efficace et rapide après l’achat (59% vs 24% pour les 18-24 ans)
- Echanger avec un conseiller, un vendeur, ou un service client à tout moment (51% vs 29% pour les 18-24 ans)
Cette tendance représente un défi pour les professionnels de l’expérience client mais aussi pour tous les manageurs, au sein des entreprises. CSA nous apprend que plus d’un tiers des répondants d’une de leurs études (36 %) avouent que travailler avec des personnes d’une autre génération que la sienne peut complexifier la vie de l’entreprise (44 % pour les jeunes ; 29 % pour les seniors), voire même devenir une source de conflit ou de tension (35 % ; 47 % pour les jeunes). Les défis sont donc autant internes qu’externes. 74 % des plus de 50 ans jugent les jeunes générations moins soucieuses de leur travail et 72 % d’entre eux estiment qu’elles ne travaillent pas aussi dur qu’auparavant. Quant aux jeunes actifs (18 – 30 ans), 71 % affirment que les autres générations jugent ou disposent d’idées reçues sur leur relation vis-à-vis du travail. Ils sont favorables au télétravail à 58%, alors que les seniors de cette étude ne le sont qu’à 33%. Idem sur le Flex office : 60% vs 40%. Sur l’usage de l’intelligence artificielle, les jeunes actifs y sont favorables à 69% vs 51% pour les seniors actifs. Il est donc temps de favoriser le travail intergénérationnel, c’est à dire mieux considérer les jeunes pour qu’ils considèrent leurs ainés dont ils auront bientôt la charge en tant que responsables de leur expérience client. L’étude CSA pour Linkedin de 2024 l’affirme : 90% des répondants sont d’accord avec la proposition : « Les entreprises devraient faire plus d’effort pour encourager et favoriser le travail intergénérationnel ».
C’est ce que le Conseil National autoproclamé de la Vieillesse, mouvement citoyen, appelle d’une certaine façon de ses vœux. Dans son objet, il déclare vouloir « Imposer les vieux comme co-constructeurs des politiques publiques qui les concernent. Nous ne voulons plus d’une société qui ne les considère qu’à travers le prisme médical, de l’assistance ou de la dépendance. Nous voulons faire évoluer ce regard sur la vieillesse, et œuvrer pour une société bienveillante, attentive et respectueuse de ce qu’ils sont jusqu’au terme de leur vie. » Leur mantra est un appel à la co-construction, jugez-en plutôt : « Rien Pour les Vieux Sans les Vieux ». Au CNAV cité ci-dessus, on peut ajouter OLD’UP dont la signature est « Plus si jeunes, mais pas si vieux ! » et se présente de la sorte : « OLD UP est un lieu de réflexion, un lieu de recherches-actions et un lieu de communication pour porter la voix du plus grand nombre auprès des politiques, auprès des médias pour qu’enfin, on reconnaisse que le Vieux est une personne. » On se réjouira de retrouver lors de Paris Games Week, un événement de jeunes par excellence, une équipe de gamers seniors soutenus par SilverGeek et sponsorisés par la MACIF. L’assureur n’est pas le seul à saisir cet enjeu d’inclusion et de design d’expérience. J’ai été surpris comme vous pourriez l’être par les nouvelles gammes de cercueil des Pompes Funèbres générales (PFG du groupe OGF) avec un choix de couleurs extrêmement large. Cette initiative nous montre que les mentalités évoluent et que des sujets aussi délicats et douloureux que celui-ci peuvent faire l’objet d’une nouvelle façon de voir les choses, de penser à l’expérience des proches dans le deuil.
Pour faire face aux défis du client vieux, et mieux le servir, les entreprises doivent davantage :
- Comprendre les besoins spécifiques de cette catégorie de clients
- Concevoir des produits, services et expériences adaptés, où l’on reparle de design inclusif et de design tout court. Penser une expérience pour des personnes fragiles ou plus âgées revient à améliorer l’expérience de tous. Et si le V de MVP (minimum viable product, un concept du design agile) était le V de vieux ?
- Favoriser le travail intergénérationnel, c’est à dire faire évoluer son management en commençant par tordre le cou aux a priori qui subsistent.
- Sensibiliser et former les collaborateurs, et en disant ça je pense à ceux qui ont un temps d’avance à ce sujet : les aidants. En 2030, un salarié sur quatre sera aidant et aujourd’hui un aidant sur 2 est en activité professionnelle, soit 5,5 millions de personnes (selon le Ministère du travail, cité par Serge Guérin dans son très récent livre Et si les vieux aussi sauvaient la planète ?).
1143ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next.
La rubrique Tendances client vous donnera accès à mes billets de tendances.
Vous retrouverez bientôt ces tendances sous forme d’un livre blanc sur le site de KPAM.
Vous pouvez également découvrir ci-dessous la vidéo de présentation de la conférence du mois de décembre dont les partenaires étaient Comearth, KPAM et SmartTribune. Vidéo réalisée par ANews Expérience client.