Quelques notes de piano issues de La Fileuse de Mendelssohn annoncent chaque semaine sur les ondes de France Inter une émission créée en 1950, un des plus anciens programmes culturels pour grand public. L’émission – à laquelle je suis fidèle depuis toujours – compte en moyenne 2 millions d’auditeurs cumulés dans ses deux diffusions du dimanche et son podcast a passé la barre du million de téléchargements l’an passé.

Chaque semaine, l’émission culte Le Masque et la Plume déroule ses rituels immuables : critiques de films, de livres ou de pièces de théâtre, coups de coeur des critiques… après le moment attendu en introduction du courrier des auditeurs. Avec humour et sérieux, l’animatrice Rebecca Manzoni prend quelques minutes pour lire les messages des auditeurs, qu’ils soient enthousiastes, agacés ou ironiques. C’est une des rares émissions qui consacrent du temps de lecture et de débat à la voix de l’auditeur, et en écoutant son émission, je me suis dit que les professionnels de la relation client qui l’écoutent feraient bien de s’en inspirer.

UNE SOURCE D’INSPRATION POUR LE PARTAGE DE LA VOIX DU CLIENT ET LA CULTURE CLIENT

Ce rituel du courrier des auditeurs du Masque et la Plume est bien plus qu’une séquence formatée radiophonique : il est une formidable métaphore de ce que pourrait être le partage de la voix du client en entreprise. En quoi est-il inspirant ?

  • Parce que c’est un rituel installé et attendu
    • Le courrier des auditeurs est un moment prévisible, ancré dans la mécanique de l’émission et attendu par les auditeurs, autrement dit, il a toutes les caractéristiques d’un rituel. Partie intégrante de l’émission, la séquence rappelle que donner la parole aux clients n’est pas une option : c’est un passage obligé. Dans l’entreprise, instaurer un rendez-vous régulier où les équipes écoutent (vraiment) ce que disent les clients crée la même attente et la même légitimité. Dans la plupart des entreprises, on diffuse les rapports d’étude ou les analyses sans prendre soin de passer du temps à lire la synthèse, les principaux enseignements ou des courriers de réclamation. L’écoute du client y est ponctuelle ou opportuniste, et faute de rituel installé de partage, on ne favorise pas la culture client de l’entreprise.
  • Parce qu’il reflète la diversité des opinions.
    • Le courrier reflète la variété des avis : enthousiastes, critiques, souvent drôles ou excessifs. Les auditeurs encensent certains livres, pièces, spectacle ou films reprochant aux critiques d’avoir un avis inverse, et ce faisant, ils montrent la variété des opinions sur une œuvre. Dans le passionnant livre « Le Masque et la Plume » de Daniel Garcia et Jérôme Garcin (animateur de l’émission de 1989 à 202″) on peut lire le témoignage de ce dernier : « Le fondement même du courrier de l’émission, c’est que les auditeurs sont très critiques. J’enlève ce qui est injurieux, mais le reste, je le lis, sauf si c’est anonyme. » Au sein des entreprises, lorsqu’on partage la voix du client, le fait d’accepter la pluralité des avis en ne filtrant pas uniquement le positif, est la garantie d’avoir une image juste de l’opinion des clients dans leur diversité. Partager la voix du client, c’est faire entendre les clients mécontents et ceux qui remercient, pour garder une vision équilibrée.
  • Parce qu’il permet de rester vigilant
    • Dans l’introduction de son livre, Jérôme Garcin rappelle que le courrier des auditeurs « empêche chaque semaine qu’on cède à la routine ou à la complaisance. Il vigile. (C’est un néologisme qu’utilisait volontiers Barbara, et qui convient très bien aux épistoliers du Masque.) Il répète sans cesse que la culture vivante est l’affaire de tous. Il donne surtout le secret de fabrique de l’émission : son principe démocratique, lequel abolit sans démagogie toute forme de hiérarchie. Car il n’y a pas d’un côté les critiques qui posséderaient la science et, de l’autre côté, les auditeurs qui la découvriraient ; il n’y a pas les professeurs d’en haut et les élèves d’en bas. » Il ajoute « Il m’est apparu que le public, jamais blasé, était en avance sur les ‘professionnels de la profession’ « . L’analogie avec l’entreprise est évidente : le fait d’installer un rituel de partage de la voix du client régulier est la meilleure façon de maintenir vibrante la flamme de la culture client, de rester vigilant et humble en écoutant ce qui est la réalité des entreprises, à savoir la perception du client final.
  • Parce qu’il rappelle la nécessité du sérieux dans l’analyse et le partage
    • Jérôme Garcin révèle qu’au cours de ses 15 ans au poste d’animateur, il a reçu pas moins de dix-huit mille lettres d’auditeurs (soit une centaine par semaine en moyenne). Il révèle dans son livre de 2005 à propos de son travail de synthèse : « Ah, le courrier ! Je n’en extrais qu’une poignée de pépites, mais je ne compte plus les heures que je passe, dans mon bureau, à le lire. » Puis il ajoute « Je persiste à penser que l’animateur du Masque et la Plume n’est pas seulement celui qui distribue équitablement la parole aux critiques, c’est aussi celui qui représente tous les auditeurs, qui est leur porte-voix – leur ambassadeur. » Ce témoignage nous rappelle l’importance de garder un oeil expert sur l’expression du client pour en tirer le meilleur et de veiller à relayer la voix du client en interne avec soin et impartialité. L’entreprise, tout comme cette émission de radio, gagne à partager des verbatims variés : le positif qui motive, le négatif qui fait progresser, et parfois le décalé qui fait sourire.
  • Parce qu’il renforce la fidélité et la crédibilité de la voix du client
    • Lire le courrier, c’est reconnaître que l’auditeur n’est pas qu’un spectateur, mais un acteur qui influence l’émission. Dans le livre paru en 2005 à propos de l’émission, le chapitre consacré au public s’intitule « La tribu des auditeurs ». Les auteurs y montrent l’attachement des auditeurs à l’émission et leur sentiment d’appartenance à une communauté. A propos des courriers des auditeurs, ils écrivent « Ce sont des rapports d’amour et de haine comme il en existe dans les familles les plus unies ». (Les auditeurs) « forment une tribu élective. Ils ont débarqué un dimanche soir. Ils n’ont plus quitté cette étrange famille pendant cinq, dix, vingt ans, parfois plus encore. » ajoutent-ils. Pour une entreprise, donner ce rôle au client, c’est montrer que son opinion n’est pas inutile, mais qu’elle nourrit l’amélioration continue. La meilleure façon d’engager les clients, éviter la baisse des taux de retours des enquêtes de satisfaction, est encore de rendre des comptes au client, lui apporter la preuve qu’on l’écoute et que son opinion a du poids. La voix du client est la porte d’entrée à la création d’une communauté vivante qui participe à une œuvre collective. Faire entendre la voix du client, c’est le hisser au rang de co-acteur, membre d’une communauté, pas de simple consommateur passif.
  • Parce qu’il appelle le débat
    • Il suffit d’écouter un épisode du Masque et la Plume pour écouter les échanges parfois enflammés lorsque l’animatrice revient par le biais d’un courrier sur les propos d’un critique, ou bien révèle l’opposition à l’opinion de l’ensemble des experts autour de la table. Les critiques ou compliments sont un miroir sans fard pour les chroniqueurs : parfois piquant, parfois flatteur, mais toujours instructif. Ce qui fait la force de ce rituel : ce n’est pas une lecture solitaire ou la diffusion d’une note de synthèse (ou un tableau de chiffres comme on sait en faire en entreprise), mais une expérience partagée et débattue de la perception des clients. L’exercice de partage du courrier des auditeurs, comme celui de partage de la voix du client en entreprise, peut être pris avec humour, sans nier la vérité qu’il contient. L’essentiel est de consacrer du temps à écouter et en débattre. Les critiques du Masque et la Plume ne révisent pas leur opinion pour autant et l’opposition est parfois mise en scène, alors qu’au sein des organisations commerciales le partage à haute voix des retours des clients dans un temps collectif (réunion, stand-up, comité) doit être un objet de débat mais aussi une source d’inspiration pour l’action.
  • Parce c’est un rituel qui fait vivre et partager des émotions
    • Ce qui rend ce moment fort, c’est qu’il est partagé en direct (avec un public lui aussi invité à s’exprimer), et qu’il est collectif : les chroniqueurs réagissent, commentent, rient ensemble. Le partage des feedbacks devient alors une expérience en soi. Les animatrices et animateurs depuis 1950 sélectionnent avec soin les courriers et les lisent avec gourmandise en sachant qu’ils vont provoquer des rires ou des réactions enflammées. Les courriers révèlent de la colère, de l’enthousiasme, de l’ironie… bref, de l’humain. Cette dimension émotionnelle crée du lien et rend le moment mémorable. En entreprise, valoriser la voix du client, ce n’est pas seulement mesurer la satisfaction, c’est aussi mettre en scène les émotions pour sensibiliser les collaborateurs. Le partage de la voix du client est trop souvent réduit à un tableau de bord ou à un compte rendu froid et désincarné. Alors que c’est l’occasion de faire vivre à toute l’organisation un moment d’émotion partagée : sourire devant un verbatim drôle, être touché par une reconnaissance sincère, ou interpellé par une colère légitime. L’écoute du client devient alors plus qu’une information : elle devient une expérience collective qui sensibilise et inspire.

Le Masque et la Plume nous rappelle une évidence : écouter son public, son client c’est bien ; ritualiser cette écoute et la partager, c’est encore mieux. Dans l’entreprise, comme à la radio, la voix des clients devient plus qu’un feedback : elle devient un moment attendu, un levier d’engagement et un moteur de progrès collectif. Comme pour cette émission culte, la force ne vient pas uniquement du contenu des messages, mais de la mise en scène collective qui en fait un moment attendu, vivant et impactant. Les progrès de l’intelligence artificielle comme outil d’analyse de la voix du client et de production de rapports me font craindre la désincarnation et la perte d’intérêt pour la voix du client.

Autres lectures sur la voix du client

Pour poursuivre au sujet de la voix du client, je vous invite à lire d’autres billets de mon blog :

1179ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, consultant et co-fondateur de KPAM Next, auteur du récent livre « Merci, petites et grandes histoires de l’expression de la gratitude » .

La 3è Dictée de la relation client organisée par Sens du client et Orthodidacte est pour bientôt ! Pour les amoureux des mots et de la lange française, il est encore temps d’inscrire votre équipe pour ce challenge interentreprises qui se déroulera le vendredi 10 octobre à 12h00 en introduction de la Semaine de la relation client en fête de l’AFRC. Pour vous inscrire, suivez ce lien avant le 19 septembre

j’ajoute que mon livre blanc des tendances client 2025 est en téléchargement gratuit en suivant ce lien.