21 mai 2018

Les clients français sont-ils VRAIMENT plus exigeants ?

Lorsque j'ai passé une commande à emporter dans un restaurant près de mon bureau il y a quelques mois, j'ai remarqué que, à la manière de Starbucks, les employés appelaient les clients par leur nom au moment de leur remettre leur commande. La commande est saisie sur une borne sur laquelle vous pouvez indiquer votre nom. J'ai choisi "Clientexigeant" en guise de nom. Au moment de m'appeler le sympathique employé n'a pas hésité un instant et a appelé à haute voix "Client exigeant", ce qui n'a pas manqué de faire rire les clients présents. Se sont-ils reconnus aussi ?
Cet épisode m'a donné naturellement un visuel tout trouvé pour ce billet à propos de l'exigence des clients Français. Voici 20 réponses sous forme de chiffres issus d'études internationales à la question "Les clients français sont-ils vraiment plus exigeants ?" :

  1. OUI du fait de leur sensibilité à la qualité du service client. Teleperformance a révélé un chiffre très étonnant lors du HubTDay auquel je participais l'an passé. Dans la satisfaction, le poids du service clients et égal au poids de la marque (50/50), alors que dans la moyenne des 11 pays étudiés, les caractéristiques de la marque pèsent 62% dans la satisfaction et le service clients 38%. Les Français sont sensibles au service.
  2. OUI car ils sont les moins satisfaits. Une étude de Teleperformance (Customer Experience Lab) nous dit que, parmi 11 pays étudiés et 15 secteurs, les Français sont ceux qui ont le plus faible taux de satisfaction. Une preuve de leur exigence ou bien du décalage entre le niveau d'attente et la réalité du service ?
  3. OUI car ils sont les moins nombreux à recommander. Selon le 2016 CX Lab Global Survey de Teleperformance, sur un panel de 11 pays, le client français est celui qui est le moins susceptible de recommander la marque qu'il utilise à ses proches (8% des Français interrogés dans leur expérience de marque dans 15 secteurs, vs 39% pour les Américains et 23% en moyenne). Les clients français ne se sentent pas en mesure de recommander. Est-ce un manque d'enthousiasme ou bien une profonde déception ?
  4. OUI parce qu'ils sont plus pressés que leurs voisins européens. 44% des Français veulent moins faire la queue en magasin, une proportion la plus élevée dans l'étude de Shoppertrak portant sur cinq pays européen. Ainsi, 31% des sondés abandonneront leurs achats s'ils estiment que la file d'attente est trop longue.
  5. OUI parce qu'ils ne s'estiment pas assez récompensés. 47% des Français veulent être récompensés pour leur fidélité, ce qui fait d'eux les champions d'Europe sur cette question, selon l'étude Shoppertrak.
  6. OUI sur la réponse personnalisée. Obtenir des réponses appropriées aux requêtes avec une compréhension complète de mon historique avec la marque. Les Français se classent deuxième sur 20 nationalités représentées dans le panel de l'étude 2017 SAP Hybris Global Consumer Insights Report
  7. OUI sur le partage des données. Les Français ne veulent pas partager leur adresse email (53% sont d'accord) et leur numéro de mobile facilement (30% sont d'accord). Pour ces deux items, la France est 13ème sur 20 pays (étude SAP).
  8. OUI sur la communication client. C'est en France que la probabilité que le client change d'entreprise ou de marque si elle ne répond pas aux attentes en matière de communication, de protection des données ou d'utilisation des données est la plus élevée selon Quadient.
  9. OUI sur le droit à l'erreur. Les Français sont intransigeants sur le fait de faire plus de deux fois la même erreur. Sur un panel de 20 pays (étude SAP), les Français sont 70% à penser que c'est un point de rupture avec la marque, soit 20 points de plus que les Américains, et 2.5 fois plus que les Japonais.
  10. OUI pour ce qui est du service automobile. Selon L'Observatoire Cetelem 2018 de l'automobile, les Français ont deux records (sur 17 pays étudiés). A la question "Pensez-vous que les constructeurs et les marques automobiles font ce qu’il faut pour fidéliser leur clientèle ?", ils répondent avec le plus faible taux d'accord du panel, idem pour la question "Pensez-vous que les concessionnaires et les garagistes font ce qu’il faut pour fidéliser leur clientèle ?". Et en même temps, IPSOS et Trusteam Finance constatent dans leur baromètre européen que les clients Français sont les moins satisfaits de leur marque automobile (77% de notes de 7 à 10 en 2016, le plus faible taux des cinq pays étudiés). Le client est-il plus exigeant ou le niveau de service est-il vraiment plus bas ?
  11. OUI, surtout les Parisiens... 83% des sites et magasins d’Ile-de-France, et en particulier ceux à fort trafic, présentent un niveau de satisfaction client inférieur à ceux implantés en Province. Au sein d’un même réseau, on observe des écarts de satisfaction pouvant monter jusqu’à 13%  (Source Wizville cité par LSA). Le Parisien serait-il plus exigeant ou le niveau de service offert serait-il moins bon dans la capitale ? On serait tenté de dire "un peu des deux...".
  12. OUI, surtout chez les voyageurs d'affaires. Les gérants d'hôtel estiment que le voyageur d'affaires français est le plus exigeant. En termes de personnalisation du service, selon les hôteliers interrogés, les Français seraient les clients les plus exigeants (33%) selon une étude signée HRS.
  13. OUI sur la réponse à leurs questions. Selon une étude menée par Qualtrics pour Engage, les Français sont parmi un panel de six pays européens, ceux qui jugent le plus important le fait de recevoir une réponse (79% vs 48% pour les hollandais). 
  14. NON sur la réponse à leurs questions. Autre étude, autre réponse : sur l'absence de réponse d'un service client, ce n'est un critère de rupture que pour 61% des Français, contre 81% au Royaume Unis, 78% aux Etats-Unis et 71% au Japon. (Source SAP)
  15. NON sur la surprise. Pour ce qui est des attentes relatives au fait d'être surpris positivement, les Français sont dans la moyenne parmi 20 pays, au même niveau que les Américains, selon l'étude SAP Hybris 2017. Sont-ils blasés ?
  16. NON à propos de l'incohérence des promotions. Les Français sont plus tolérants que la moyenne des 20 pays interrogés par SAP sur l'incohérence entre les promotions en magasins et sur internet. Pour seulement 36% des Français, c'est un motif de rupture avec la marque.
  17. NON sur la protection des données. Si 60% des Français attendent des marques qu'elles protègent leurs intérêt avec les données personnelles, c'est 24 points de moins qu'en Russie et 15 points de moins qu'au Royaume Uni. (Source SAP). Confiance totale ou désintérêt ?
  18. NON par le fait que la France a une proportion importante de clients rétifs à l'innovation. Une analyse de Forrester nous le démontre en ces termes : "Les marques françaises sont peut-être moins mises sous pression par les consommateurs. La France a le deuxième plus haut pourcentage de ce Forrester appelle les "Reserved Resisters" en Europe, derrière les Pays-Bas. Cela signifie que de nombreux consommateurs français résistent aux changements et à l'innovation, recherchent peu les nouvelles expériences et ont un plus faible usage des nouvelles technologies."
  19. NON sur le délai de réponse. 9 clients français sur 10 attendent une réponse sous 24 heures des marques, ce qui nous classe dans la moyenne, au même niveau que les Allemands, au dessus des Anglais et moins que les Chinois ou les Indiens. (Source étude SAP).
  20. NON pour les telecoms et le luxe. Dans le secteur des Telecoms, selon IPSOS et Trusteam Finance, les Français sont les plus satisfaits d'Europe avec un taux de satisfaction de 73%, le plus élevé des cinq pays étudiés en 2016. Idem pour le secteur du luxe qui obtient le meilleur score du panel avec 89% de satisfaction. Ces scores pourraient toutefois très bien nous faire dire qu'ils sont exigeants et que le niveau de service est à la hauteur de leurs attentes. Disons que ces chiffres tordent le coup pour au moins deux secteurs très différents sur le fait qu'ils notent moins bien que nos voisins européens.
A la lecture de ces chiffres, on pourrait conclure qu'une majorité de preuves nous montre que le client français est vraiment plus exigeant. Il est probable, à en croire ces extraits d'études, que nous soyons plus exigeants envers les entreprises et les personnes qui nous servent chaque jour. Dans le domaine du service et de la relation client, ce phénomène devrait résulter d'une qualité attendue toujours plus grande.
Le niveau d'attente des clients français serait globalement plus élevé que leur perception, mais cela est très variable selon les secteurs et les sujets comme on peut le voir ci-dessus.
Est-ce que les entreprises qui servent les Français font trop monter leur niveau d'attente ? Je pense souvent que les promesses des marques ne sont pas à la hauteur des preuves apportées dans le service et la relation, ce qui fait naturellement monter le niveau d'exigence et provoque la déception des clients.
Est-ce que les clients français sont exigeants et difficiles à satisfaire ? Je n'en suis pas certain personnellement. Plusieurs études nous montrent qu'ils sont plus sensibles au service, à la reconnaissance et au respect des engagements. Quand on observe le niveau de satisfaction des Français dans le domaine des telecoms, un secteur qui a considérablement été modifié ces dernières années avec l'arrivée de nouveaux opérateurs et le développement des offres low cost, on observe typiquement que le niveau d'attente a du baisser au même rythme que le prix moyen d'un abonnement. Moindre exigence = plus forte satisfaction. De même, dans le luxe, le service est souvent à la hauteur de la promesse.

Faire face à un client exigeant, c'est d'abord se mettre au clair sur la proposition qu'on lui fait, les engagements qu'on prend et qu'on tient. Il en résulte un alignement entre les attentes et la perception de la qualité de service. Il n'y a pas de client exigeant, il n'y a qu'une somme de renoncements à faire correspondre les preuves aux promesses.

824ème article écrit  par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Customer relationship Storyteller à l'Académie du service. 

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