Quatrième tendance client 2023 : le client sera immodéré. Immodéré, dans son sens premier, c’est-à-dire : « qui manque de modération, de mesure dans son comportement, ses sentiments ». En ligne comme dans le monde réel, le client exprime ses sentiments avec force et parfois violence, par des mots ou des actions. Comment les marques font-elles face à cette tendance lourde ?
De la moquerie à la haine
Si on parcoure les réseaux sociaux à la recherche de publications humoristiques dont les marques ou les entreprises sont le thème, on tombe sur les grands classiques de la raillerie et de l’humour. Principales cibles : la SNCF, la RATP, les services publics, La Poste, Chronopost, Colissimo. Les mêmes blagues sont d’ailleurs souvent recyclées et deviennent des « mèmes » (c'est à dire un concept sous forme de texte, image ou vidéo, massivement repris, décliné et détourné sur internet de manière souvent parodique, qui se répand très vite, créant ainsi le buzz. Définition Larousse). C’est le niveau 0 de l’immodération dans les propos, l’humour vache, la blague facile…
Le niveau supérieur est quant à lui observé par les marques elles-mêmes sur la toile à des fins de maîtrise de la réputation. Il ne s’agit plus d’humour mais de haine en ligne, conséquence d’une mauvaise expérience, d’un mauvais traitement ou d’actions de la marque qui polarisent l’opinion (relire à ce propos ma tendance client 2021 « le client sera polarité »).
Dans l’étude RAVE Reviews + SentiStrength portant sur 1 million de tweets et isolant les plus négatifs, on découvre le classement des marques les plus haïes par pays. Ainsi, au niveau mondial, Sony, Tesla, Paypal et Uber occupent le plus grand nombre de premières positions par pays. Brandwatch, quant à lui, établit un top de la colère en ligne en analysant le langage des publications sur les réseaux sociaux. Au premier semestre 2022, les entreprises du secteur des télécom se classent en tête, suivies par les marques de produits techniques et les compagnies aériennes.
L'exposition au client immodéré : les marques sont inégales
Dans un de mes anciens billets ("Marques et médias sociaux : 7 critères stratégiques pour s'y investir"), repris dans un livre sur la gestion des réseaux sociaux, j’avais créé des critères pour évaluer le potentiel des marques, autrement dit l’exposition au client immodéré. La notoriété, le potentiel de conversation, le positionnement (l’ouverture à la conversation), le volume de clients, la fréquence de contact, le potentiel de friction et l’intensité de la relation, étaient mes 7 critères. Ma conclusion est que les marques ne sont pas égales dans la conversation, dans la production d’UGC (User generated content). Prenons la marque la plus vendue en France : HERTA. Forte notoriété, volume de clients record, potentiel de friction important (le domaine de l’alimentation présente des risques de crises), mais positionnement n’invitant pas à la conversation, peu de contact et une relation sans intensité. HERTA est beaucoup moins exposé au client immodéré que la SNCF.
L'humour comme arme
Très intelligemment, la SNCF, au travers d’une récente campagne pour le TGV Inoui, affirmait : « RIP les vannes sur les sandwichs SNCF », une manière de montrer qu’elle n’ignorait pas son potentiel de conversation à ses dépends d’une part et qu’elle était prête à faire preuve d’autodérision d'autre part, ce qui me semble être une bonne pratique. L’humour est une arme, délicate à manier mais efficace. Sur les réseaux sociaux, 75% des personnes interrogées par Oracle et Gretchen Rubin dans 14 pays (dont la France) affirment qu’ils suivraient une marque si elle était drôle et 88% estiment bienvenue « la recherche de nouvelles expériences pour faire rire ou sourire ». Cependant, de même que les marques ne sont pas égales face à la conversation en ligne, l’humour n’est pas une discipline avec laquelle les dirigeants sont à l’aise. 95% d’entre eux ont peur d'utiliser l'humour dans les interactions avec leurs clients, par peur de mal s’y prendre alors que 89% affirment comprendre que l’humour peut être utilisé comme une opportunité pour améliorer l'expérience client.
Le cynisme, poison de la relation
Certains dirigeants sont plus à l’aise avec le cynisme qu’avec l’humour. C’est le cas du fondateur de DISCORD, Jason Criton, qui, interrogé sur l’origine du nom de son entreprise, répondait sans honte en 2015 : « Nous avons choisi ce nom parce qu’en fin de compte, il sonne bien et a un rapport avec la conversation. ». Arrêtons-nous un instant sur Discord dont j'ai fait l'expérience en tant qu'utilisateur. C’est un mélange de messagerie instantanée et de forum, le tout est organisé en communautés appelées « channels ». Discord comptabilise 500 millions de téléchargement en 2022, 150 millions d’utilisateurs mensuels (dont 80% sont âgés de 13 à 24 ans), 7,6 millions de Français qui utilisent cette drôle d’application tous les mois selon Médiamétrie. Jason Criton a beau faire semblant de ne pas offrir un espace de haine en ligne, de janvier à juin 2022, son application a désactivé 1,8 millions de comptes pour violation des règles et 53,7 millions pour spam. En épluchant consciencieusement leur rapport de transparence, j’ai découvert les racines du mal et les thèmes atroces de contenus partagés. Discord et Roblox sont accusés de permettre l’exploitation sexuelle et financière d’une enfant et en novembre 2022 la CNIL a infligée une amende de 800.000 euros au prétendu monde des bisounours de Jason Criton. Tout n'est pas à jeter, et certains "channels" sont parfaitement maîtrisés, mais il faut reconnaître que cette application est un terrain favorable à l'expression du client immodéré.
Les stratégies pour faire face au client immodéré
La haine en ligne se développe et inquiète les marques, tout autant que ceux qui vivent de leur exposition en ligne, en l’occurrence les streamers (lire mon billet de tendance client "le client sera streamer").
2022 aura vu naître des initiatives visant à renforcer la modération des propos des clients immodérés, followers toxiques, commentateurs sans filtre, "haters" numériques. Ava Mind, influenceuse toulousaine qui compte 7 millions d’heures sur la plateforme de streaming Twitch a décidé fin 2022 de consacrer un mois à mettre en lumière et remercier ses modérateurs, bénévoles faisant face à des torrents de haine à destination de leur streameuse.
LUSH, le distributeur de cosmétiques, a décidé d’adopter une posture assez radicale en se retirant des réseaux sociaux, prétextant une « alerte sur les dangers que les réseaux sociaux représentent pour les jeunes ».
Phénomène plus inquiétant dans la relation à distance, la confrontation devient le maître mot. 87% de Français considèrent que contacter un service client est synonyme de confrontation (bien plus qu’en Chine, au Royaume-Uni ou en Allemagne, où ce chiffre se situe autour de 30%), un pourcentage rapporté par une excellente étude CM.COM d’octobre 2022 « Service Client : Quand les Émotions prennent le Contrôle ». Selon cette même source, on apprend que 17% des Français considèrent comme acceptable d’insulter un agent d’un service client, un chiffre qui fait froid dans le dos.
Dans le monde réel, on voit fleurir les campagnes de communication à destination des clients les incitant avec plus ou moins de subtilité et d’adresse à respecter les collaborateurs et ne pas être l’auteur d’incivilités. J’ai une collection de photos de communications incitant le client immodéré au calme, des plus réussies (pole Emploi) aux plus maladroites (le magasin Auchan d'Avignon qui présente un immense kakemono peu engageant de 20 lignes de texte en noir et rouge, lettres capitales qui frappent le lecteur). A vrai dire, je pense que ces affiches sont faites davantage pour rassurer les collaborateurs que prévenir les clients. C’est une espèce de message aux collaborateurs inquiets, une preuve fournie par les dirigeants pour montrer qu’ils prennent en compte le phénomène, une démonstration de force et une menace vis-à-vis de la minorité de clients vraiment immodérés. Si je comprends la volonté d’apaiser, je trouve la démarche inutile et contre productive. Elle inquiète l’immense majorité des clients qui aspirent au calme et à la paix, elle ne touche pas les clients immodérés qui feront quoiqu’il arrive preuve d’incivilités (relire mon billet à ce sujet), elle écorne l’image de marque et pollue l’expérience client.
Dénigrement sans gravité comme nous l’avons vu en introduction, propos haineux et incivilités, sont les trois armes du client immodéré et face à lui les entreprises n’ont d’autre choix que de :
- renforcer leur veille pour capter et détecter les propos ou les situations à risque,
- protéger les collaborateurs pour éviter que ne se développe un sentiment de peur du client (relire mon récent billet à ce sujet).
- participer à la conversation (notez que selon Brandwatch State of social - 1er semestre 2022, Les marques ne produisent que 3,4% des tweets la concernant. C’est plus de 8% pour les telecom et 1% pour l’automobile)
- renforcer la modération des propos en ligne, gagner en maturité sur cette pratique
- et enfin, solution la plus efficace mais pas la plus simple, l'effort indispensable et continu : améliorer l'expérience des clients !
Enjeux de cette tendance :
- Investir à la hauteur de son potentiel de conversation et de friction
- Maîtrisez les codes des nouveaux réseaux et des nouvelles conversations
Découvrez ci-après un aperçu en vidéo de l'événement du 1er décembre à Paris sponsorisé par Comearth, KPAM et Talkdesk.
Cet exercice de tendances client 2023 a donné lieu à une version courte en replay d'un webinaire et bientôt à la publication d'un livre blanc.
1052ème billet, signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next.
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