18 juin 2022

Le pire de la relation client : incivilités, agressions et actes violents

A la question posée à mes lectrices et mes lecteurs dans le sondage réalisé à l'occasion de mon 1000ème billet sur "le pire de la relation client", de nombreuses réponses se concentraient sur les incivilités dont les clients sont les auteurs. L'occasion de témoigner à nouveau de ce fléau, cette source de destruction de l'expérience collaborateur et d'évoquer les différentes façons de le réduire.

Ces témoignages reflètent malheureusement la situation des violences faites aux collaborateurs au service des clients (rappelons que plus d'un salarié sur deux est en contact avec le public en France). On estime généralement dans plusieurs études qu'environ une femme sur 5 et un homme sur 6 subissent des faits de violence au travail (dont une majorité vient de situations de relation avec le public, usagers, patients ou clients). Dans des études moins récentes, on mesure qu'un salarié sur trois déclare avoir vécu "au moins un comportement hostile au cours des 12 derniers mois"

Dans mon illustration de ce billet, je reprends cette catégorisation faite des différents types d'agression :

  • l'incivilité, "qui relève de l'absence de respect d'autrui et se manifeste par des comportements d'apparence bénins : attitudes méprisantes, remarques moqueuses, refus de suivre des consignes de sécurité ou réglementaires." Le quotidien des professionnels de la relation client est malheureusement émaillé, comme le souligne Martine de "messages de clients sans aucune correction", ou bien de clients qui raccrochent au téléphone, qui n'ont aucune considération pour les personnes au service, pas de formules de politesse ni par écrit ni en face-à-face. Malgré les règles souvent affichées, certains clients s'en affranchissent et perturbent le service "pour des raisons infondées" selon un répondant ou "en faisant preuve de mauvaise foi". Aubry, dans ses réponses à mon sondage, nous rappelle que le secteur B2B n'est pas exempt d'une certaine forme d'incivilités et il cite "Une remarque suite à l'envoi d'une proposition budgétaire V12 après plus de 3 mois de négociation : bon on ne va finalement pas donner suite, on n'est pas certain que ce soit le bon moment pour nous". Il est question ici de manque de respect et de politesse dans le monde des affaires, mais mal vécu par les collaborateurs au service. A propos d'incivilités, je vous invite à relire mes billets à ce sujet, et notamment "Le client, premier destructeur d'expérience" et ma tendance "le client sera détestable".
  • l'agression verbale : on parle ici des menaces et des insultes. C'est clairement la catégorie dans laquelle je place le plus grand nombre de témoignages de répondants à mon sondage. Jean-François cite dans sa réponse les "attitudes racistes, stigmatisantes, dévalorisantes", et une lectrice de mon blog cite "Insultes, racisme, sexisme". De nombreux répondant citent simplement "les injures" quand on leur demande ce qu'ils entendent de pire de la part d'un client. Un répondant précise les mots qui blessent comme ceux-ci "Vous êtes un incapable, votre travail c'est de la m****, on se demande à quoi vous servez, juste là pour faire de l'argent sur le dos des clients, etc.".  Les formules "vous êtes incompétents" ou "vous êtes nuls" reviennent souvent dans les verbatims des répondants du sondage, des noms d'oiseaux tels que "inutiles, incompétents et incultes" ou encore "voleurs", "escrocs". Martine témoigne de véritables agressions verbales allant jusqu'aux "menaces de mort sur ma personne et ma famille". Neena témoigne elle aussi de mots entendus par des personnes au service : "Je vais poser une bombe et vous faire exploser". Ayant dirigé dans ma vie plusieurs services clients, je pourrais faire la longue liste des insultes et des menaces que mon équipe et moi-même avons pu entendre. Depuis, j'ai appris à faire la part des choses entre la violence gratuite et l'irritation légitime du client. J'ai aussi appris à ne plus dire "le client roi" qui est une formule malheureuse, témoin d'une culture qui ne considère que les clients et pas les collaborateurs.
  • l'agression physique : coups ou blessures pouvant entrainer la mort... Une lectrice de mon blog témoigne : "Un client qui agresse physiquement un agent d'enregistrement suite à un vol annulé", une autre fait référence à la violence en milieu hospitalier. Comme le soulignent les études au sujet des agressions dont sont victimes les collaborateurs au service, les secteurs d'activité plus particulièrement concernés sont les entreprises de transports publics, l'éducation nationale, le secteur sanitaire et social (hôpitaux, services sociaux, …), les agences bancaires et postales, les grandes surfaces commerciales et les services publics. Vous vous souvenez certainement de ce terrible fait divers l'été dernier qui a endeuillé Bouygues Telecom. Deux jeunes vendeurs d'une boutique Bouygues Telecom du centre commercial de Claye Souilly ont été poignardés par un client irrité par une facture trop élevée. L'un deux, Théo, 18 ans est décédé. 
  • l'acte violent de destruction ou de dégradation ( "dirigés non sur des personnes mais sur des biens matériels, les salariés confrontés à ces actes de vandalisme pouvant se sentir attaqués dans leur travail et leur identité professionnelle"). On se souvient qu'à Dijon en 2017, un client s'était attaqué à un Apple Store avec une boule de pétanque. 

Que faire face à ce phénomène ?

Les solutions ne manquent pas, et je dirais qu'elles se développent. On peut citer parmi les actions à mettre en place :
- s'accorder sur la définition d'une incivilité, la mettre à jour et la partager du top management jusqu'aux nouveaux embauchés, du back au front office (de même qu'on s'accorde sur la définition d'une réclamation).
- favoriser la remontée des incivilités, les cartographier, libérer la parole à ce sujet
- mesure l'engagement des collaborateurs, les interroger au sujet des incivilités régulièrement
- s'accorder sur les situations à risque, imaginer des scénarios de conduite à tenir, former les collaborateurs à les mettre en œuvre. Il m'est arrivé d'assister dans un Apple Store à l'irruption d'un client violent insultant en hurlant clients et collaborateurs. Immédiatement, les collaborateurs se sont mis en retrait, dans le silence total, dans le calme. Les agents de sécurité observaient sans intervenir, mais prêt à agir sans manifester d'hostilité. Le client est reparti comme il est arrivé, comme une tempête qui passe sans rien toucher. Les collaborateurs étaient formés à cette situation.
- mettre en œuvre des démarches participatives des salariés à la construction et à la mise en œuvre
 des actions de prévention.
- encourager les collaborateurs à porter plainte
- accompagner les victimes d'agression
- fermer symboliquement l'établissement, consacrer ce temps à soutenir la victime et mettre en place des plans d'action.
- signer des conventions avec les autorités locales (un bon exemple de la Poste du Calvados et de la Poste de l'Isère qui ont signé une convention avec la Police pour faciliter le dépôt de plainte de la victime et créer des liens direct entre les deux directions locales).
- renforcer la sécurité (vigiles, vidéosurveillance,...)
- nommer des médiateurs pour les clients, des référents pour les collaborateurs, au sein de son établissement
- communiquer aux clients les règles de conduite et les risques d'un comportement déplacé (une pratique qui se développe qui me fait dire qu'elle rassure les collaborateurs mais angoisse une majorité de client, dont je fais partie). Je pense que les solutions sont ailleurs mais je ne nie pas le fait que les collaborateurs sont demandeurs de cet affichage. Personnellement, lorsque je vois une affiche de ce genre, je pense toujours à un aveu de faiblesse du management. Une affichette ne règle rien.
- former les collaborateurs à la communication non violente.
- former les collaborateurs et les managers à la gestion des situations difficiles 
- réorganiser les lieux d'accueil des clients
- améliorer les lieux de travail des collaborateurs (indispensable dans les centres de contact selon Sarah Boujendar qui en a fait le thème de son doctorat). 
Je vous invite à lire un document de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, certes un peu ancien mais utile sur un des sites du gouvernement. Il recense des bonnes pratiques.

Toutes ces bonnes pratiques sont utiles, mais à mon sens pas suffisantes, et pour reprendre les mots de ce rapport de l'Assurance Maladie, "la distinction entre « agresseur/agressé » est parfois discutable : en quoi les agresseurs sont-ils également  victimes d’une structure qui les maltraite ?"
Vous voyez où je veux en venir, même si je ne veux pas minorer le phénomène de montée de la violence sous toutes ses formes...
En se concentrant sur les sources d'irritation, les causes racines des incivilités, en gérant véritablement l'insatisfaction client, en agissant collectivement pour améliorer l'expérience, on agit directement sur la violence. En faisant de la perception des clients et des collaborateurs une valeur plus importante pour l'organisation que le respect des process ou des normes, on s'intéresse aux émotions que provoquent les expériences. On n'éteint pas le feu de la violence gratuite née de la frustration ou de la détresse de certaines personnes, mais on réduit considérablement les risques d'incivilités. 

1022ème billet signé Thierry Spencer, créateur du blog Sens du client et co-fondateur de KPAM Next.

Aucun commentaire: