LA VISITE SUR LE TERRAIN COMME METHODE
Ce principe créé au Japon chez Toyota, constitue l'un des
piliers du "Toyota Production System" qui recommande aux managers
d’aller voir par eux-mêmes sur le terrain, en l’occurrence l’atelier à l'origine pour ce
qui concerne ce constructeur automobile. Le Genshi Genbutsu est un véritable
rituel comme les affectionnent les Nippons. Son origine remonte au père de la
méthode de production de Toyota, Taiichi Ohno, qui faisaient visiter l’usine
aux nouvelles recrues du siège l’usine où il dessinait au sol un cercle dans
lequel les collaborateurs se postaient pour observer. Si les observations ne
semblaient pas pertinentes au maître ingénieur, les collaborateurs pouvaient
rester des heures dans le cercle pour apprendre à voir et tirer des
enseignements de cette visite.
Le Genshi Genbustu a depuis largement dépassé le cadre de
l’atelier pour nourrir les méthodes de Lean Management, et inspire les
techniques de diagnostic d’expérience client. Toyota est un champion de
l’expérience client, reconnu par ses clients et par ses pairs en France et une
part de son succès est la conviction partagée au sein de son siège que la
réalité de l’expérience se joue dans le monde réel. Cette conviction profonde a
pour conséquence un respect pour les personnes qui sont au contact du client au
quotidien, elle favorise la coopération et la co-construction des solutions.
LA VISITE SUR LE TERRAIN COMME RITUEL
Leroy Merlin est un autre champion de l’expérience client et
un amateur de rituels de management au profit du client. L’enseigne préférée
des Français mène régulièrement un exercice assez spectaculaire appelé
« vision » qui consiste à co-construire le futur de l’enseigne avec
toutes ses parties prenantes. Pour que les contributeurs soient les plus au
fait des tendances et des évolutions du marché et des comportements des
clients, Leroy Merlin invite ses collaborateurs à faire des « visites
habitants ». Les collaborateurs se rendent en binôme chez deux ou trois
clients proches des magasins, pour
découvrir les usages du monde réel, les façons de construire son projet en tant
qu’habitant. Ils en sortent avec une meilleure compréhension des problématiques
habitat, des idées d’adaptation des produits et des services aux besoins des
clients, et enfin, des inputs pour l’exercice de Vision.
LA VISITE SUR LE TERRAIN COMME PRINCIPE
Autre secteur et autre rituel profondément ancré dans les
valeurs : le « BE THE MEMBER » de BlaBlaCar. L’incroyable
licorne française avait édicté 10 principes à l’origine dont « Think it.
Build it, Use it » (Pense-le. Construis-le. Utilise-le.) et « The
member is the Boss » (le membre est le patron). Lors de CX Paris la
semaine dernière, j’ai réalisé une conférence sur le thème des bonnes pratiques
de l’expérience client et j’ai pris l’exemple de BlaBlaCar dont le fondateur,
Frédéric Mazzella était le parrain. J’ai passé quelques minutes avec lui à
évoquer ces principes fondateurs qui sont devenus « Be the member ». Dans le récent livre dont
je ferai bientôt la chronique sur mon blog « Mission BlaBlaCar », on
peut lire l’explication suivante à propos de cette valeur cardinale de
l’entreprise. « EXPLICATION L’objectif de BlaBlaCAr est de créer de la
valeur pour les membres de sa communauté. Afin d’y parvenir, elle se met
toujours à leur place, et ressent donc aussi ses besoins et contraintes. Les
collaborateurs de BlaBlaCar sont régulièrement utilisateurs du service.
APPLICATION Les collaborateurs-utilisateurs deviennent ambassadeurs (statut
ultime sur BlaBlaCar), ils figurent sur le « mur des ambassadeurs » dès
l’entrée des locaux. Chaque nouvelle recrue effectue son « Member
day », journée au cours de laquelle il utilise BlaBlaCAr en covoiturage et
en bus pour aller quelque part et en revenir : rendez-vous à Limoges par
exemple ! Par ailleurs, les collaborateurs font remonter leurs retours
d’expérience à l’équipe produit. »
Interrogé dans le chapitre 3 sur ses pratiques, Frédéric
Mazzella répond « Je suis passager et aussi parfois conducteur. J’adore
ça, non seulement parce que cela me permet de me déplacer, comme tout le monde,
mais aussi et surtout parce que ça m’a toujours aidé à améliorer l’expérience
d’utilisation. (…) C’est incroyable ce que l’on apprend en utilisant son propre
service. »
LES BENEFICES D'ALLER SUR LE TERRAIN
Ces trois exemples nous montrent l’importance d’aller soi-même dans les lieux de production de l’expérience, à la rencontre des clients ou des personnes au service, avec une intention : apprendre et participer à l'amélioration de l'expérience client ou de l'expérience collaborateur (qu'il soit salarié ou prestataire...).
Il ne s’agit pas des traditionnels « Walk the floor » (promenades dans les services) ou des visites de Président.e où tout est orchestré, mis en scène et parfois préparé à l’avance. Nombre d’entreprises traditionnelles connaissent encore ce phénomène de la patronne ou du patron qui se déplace avec sa cour pour serrer quelques mains et se faire expliquer des projets par des collaboratrices.teurs aux ordres.
Dans le monde de la distribution que je
connais assez bien, on accorde la plus grande importance à la visite sur le
terrain, mais on la réserve encore trop aux personnes en charge de l’expérience
ou du marketing au siège, et surtout on n’en fait pas un rituel comme chez
Leroy Merlin ou un principe de base comme chez BlaBlaCar. Tout le monde devrait
se déplacer à un rythme régulier pour faire connaissance avec ses collègues ou
ses clients, faire une double écoute en centre d'appel, passer derrière la caisse ou revêtir la tenue des employés au contact et pas seulement pour une occasion spéciale comme Noël (un cas
observé dans plusieurs enseignes où les cadres s’enorgueillissent de faire des
paquets cadeau deux heures par an le samedi avant Noël. Ouh là là ! Quel frisson le
terrain !). Dans mes missions de consultant, j’ai appris beaucoup plus de
choses en passant des journées avec des chauffeurs livreurs, dans des entrepôts
et des usines, que dans un rapport ou des lignes de statistiques. A vrai dire, l’un ne va
pas sans l’autre, les deux sont indispensables. C’est même un des fondements du
design d’expérience client à mes yeux.
On peut parler en outre de la technique du
« vis-ma-vie » qui est essentielle à la bonne santé des entreprises
mais qui elle aussi se limite trop souvent à l’intégration des nouveaux
collaborateurs. Plus je connais mon collègue d’un autre service, plus je
comprends ses contraintes et plus je suis solidaire avec lui d’une part et plus
je suis en mesure de l’aider à résoudre ses problèmes au profit du client
d’autre part. Dans une société qui pratique les vis-ma-vie, on n’entendra
personne dire à un client « je ne sais pas ce qu’ils ont encore fait à
l’informatique », ou ne sera jamais témoin des éternelles querelles entre
le siège et les magasins, l’usine et les commerciaux, le back office et le
front office…
Inspirez-vous des champions de l'expérience et vous aussi forcez-vous à aller sur le terrain, faire l'expérience des clients ou découvrir le métier de vos collègues ! Genshi Genbutsu !
1023ème billet signé Thierry Spencer, créateur du blog Sens du client et co-fondateur de KPAM Next.
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