28 juin 2022

Genshi Genbutsu ! Faites comme Toyota, Leroy Merlin et BlaBlaCar : allez sur le terrain !

Genshi Genbutsu devrait être le cri de guerre des profesionnel.le.s de l’expérience client ! Cette formule japonaise qui signifie « aller et observer par soi-même » ou « allez voir par soi-même » m’inspire ce billet à propos de l’importance de la visite sur le terrain. J’ai pris le parti de faire un focus sur 3 entreprises, 3 visions de la "visite terrain". J’entends ici "le terrain" comme le lieu d’exercice, le lieu d’expérience client et la visite comme l’expérience ou la rencontre avec des clients ou des collègues.

LA VISITE SUR LE TERRAIN COMME METHODE

Ce principe créé au Japon chez Toyota, constitue l'un des piliers du "Toyota Production System" qui recommande aux managers d’aller voir par eux-mêmes sur le terrain, en l’occurrence l’atelier à l'origine pour ce qui concerne ce constructeur automobile. Le Genshi Genbutsu est un véritable rituel comme les affectionnent les Nippons. Son origine remonte au père de la méthode de production de Toyota, Taiichi Ohno, qui faisaient visiter l’usine aux nouvelles recrues du siège l’usine où il dessinait au sol un cercle dans lequel les collaborateurs se postaient pour observer. Si les observations ne semblaient pas pertinentes au maître ingénieur, les collaborateurs pouvaient rester des heures dans le cercle pour apprendre à voir et tirer des enseignements de cette visite.

Le Genshi Genbustu a depuis largement dépassé le cadre de l’atelier pour nourrir les méthodes de Lean Management, et inspire les techniques de diagnostic d’expérience client. Toyota est un champion de l’expérience client, reconnu par ses clients et par ses pairs en France et une part de son succès est la conviction partagée au sein de son siège que la réalité de l’expérience se joue dans le monde réel. Cette conviction profonde a pour conséquence un respect pour les personnes qui sont au contact du client au quotidien, elle favorise la coopération et la co-construction des solutions.

LA VISITE SUR LE TERRAIN COMME RITUEL

Leroy Merlin est un autre champion de l’expérience client et un amateur de rituels de management au profit du client. L’enseigne préférée des Français mène régulièrement un exercice assez spectaculaire appelé « vision » qui consiste à co-construire le futur de l’enseigne avec toutes ses parties prenantes. Pour que les contributeurs soient les plus au fait des tendances et des évolutions du marché et des comportements des clients, Leroy Merlin invite ses collaborateurs à faire des « visites habitants ». Les collaborateurs se rendent en binôme chez deux ou trois clients proches des magasins, pour découvrir les usages du monde réel, les façons de construire son projet en tant qu’habitant. Ils en sortent avec une meilleure compréhension des problématiques habitat, des idées d’adaptation des produits et des services aux besoins des clients, et enfin, des inputs pour l’exercice de Vision.

LA VISITE SUR LE TERRAIN COMME PRINCIPE

Autre secteur et autre rituel profondément ancré dans les valeurs : le « BE THE MEMBER » de BlaBlaCar. L’incroyable licorne française avait édicté 10 principes à l’origine dont « Think it. Build it, Use it » (Pense-le. Construis-le. Utilise-le.) et « The member is the Boss » (le membre est le patron). Lors de CX Paris la semaine dernière, j’ai réalisé une conférence sur le thème des bonnes pratiques de l’expérience client et j’ai pris l’exemple de BlaBlaCar dont le fondateur, Frédéric Mazzella était le parrain. J’ai passé quelques minutes avec lui à évoquer ces principes fondateurs qui sont devenus « Be the member ». Dans le récent livre dont je ferai bientôt la chronique sur mon blog « Mission BlaBlaCar », on peut lire l’explication suivante à propos de cette valeur cardinale de l’entreprise. « EXPLICATION L’objectif de BlaBlaCAr est de créer de la valeur pour les membres de sa communauté. Afin d’y parvenir, elle se met toujours à leur place, et ressent donc aussi ses besoins et contraintes. Les collaborateurs de BlaBlaCar sont régulièrement utilisateurs du service. APPLICATION Les collaborateurs-utilisateurs deviennent ambassadeurs (statut ultime sur BlaBlaCar), ils figurent sur le « mur des ambassadeurs » dès l’entrée des locaux. Chaque nouvelle recrue effectue son « Member day », journée au cours de laquelle il utilise BlaBlaCAr en covoiturage et en bus pour aller quelque part et en revenir : rendez-vous à Limoges par exemple ! Par ailleurs, les collaborateurs font remonter leurs retours d’expérience à l’équipe produit. »

Interrogé dans le chapitre 3 sur ses pratiques, Frédéric Mazzella répond « Je suis passager et aussi parfois conducteur. J’adore ça, non seulement parce que cela me permet de me déplacer, comme tout le monde, mais aussi et surtout parce que ça m’a toujours aidé à améliorer l’expérience d’utilisation. (…) C’est incroyable ce que l’on apprend en utilisant son propre service. »

LES BENEFICES D'ALLER SUR LE TERRAIN

Ces trois exemples nous montrent l’importance d’aller soi-même dans les lieux de production de l’expérience, à la rencontre des clients ou des personnes au service, avec une intention : apprendre et participer à l'amélioration de l'expérience client ou de l'expérience collaborateur (qu'il soit salarié ou prestataire...).

Il ne s’agit pas des traditionnels « Walk the floor » (promenades dans les services) ou des visites de Président.e où tout est orchestré, mis en scène et parfois préparé à l’avance. Nombre d’entreprises traditionnelles connaissent encore ce phénomène de la patronne ou du patron qui se déplace avec sa cour pour serrer quelques mains et se faire expliquer des projets par des collaboratrices.teurs aux ordres. 

Dans le monde de la distribution que je connais assez bien, on accorde la plus grande importance à la visite sur le terrain, mais on la réserve encore trop aux personnes en charge de l’expérience ou du marketing au siège, et surtout on n’en fait pas un rituel comme chez Leroy Merlin ou un principe de base comme chez BlaBlaCar. Tout le monde devrait se déplacer à un rythme régulier pour faire connaissance avec ses collègues ou ses clients, faire une double écoute en centre d'appel, passer derrière la caisse ou revêtir la tenue des employés au contact et pas seulement pour une occasion spéciale comme Noël (un cas observé dans plusieurs enseignes où les cadres s’enorgueillissent de faire des paquets cadeau deux heures par an le samedi avant Noël. Ouh là là ! Quel frisson le terrain !). Dans mes missions de consultant, j’ai appris beaucoup plus de choses en passant des journées avec des chauffeurs livreurs, dans des entrepôts et des usines, que dans un rapport ou des lignes de statistiques. A vrai dire, l’un ne va pas sans l’autre, les deux sont indispensables. C’est même un des fondements du design d’expérience client à mes yeux.

On peut parler en outre de la technique du « vis-ma-vie » qui est essentielle à la bonne santé des entreprises mais qui elle aussi se limite trop souvent à l’intégration des nouveaux collaborateurs. Plus je connais mon collègue d’un autre service, plus je comprends ses contraintes et plus je suis solidaire avec lui d’une part et plus je suis en mesure de l’aider à résoudre ses problèmes au profit du client d’autre part. Dans une société qui pratique les vis-ma-vie, on n’entendra personne dire à un client « je ne sais pas ce qu’ils ont encore fait à l’informatique », ou ne sera jamais témoin des éternelles querelles entre le siège et les magasins, l’usine et les commerciaux, le back office et le front office…

Inspirez-vous des champions de l'expérience et vous aussi forcez-vous à aller sur le terrain, faire l'expérience des clients ou découvrir le métier de vos collègues ! Genshi Genbutsu !

1023ème billet signé Thierry Spencer, créateur du blog Sens du client et co-fondateur de KPAM Next.

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