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Photo Anderson Rian Unsplash |
Je profite de la période d'Halloween qui nous offre l'occasion de revisiter les grands classiques de l'effroi et de la peur pour aborder un sujet qui n'est pas aussi léger malheureusement...
J'ai eu l'occasion dans ma carrière de consultant ou de professionnel de la relation client de faire face à des collaborateurs, voire des organisations entières, en B2C comme en B2B, qui avaient peur du client. Dans plusieurs secteurs d'activité, j'ai entendu des collaborateurs me dire qu'ils avaient peur d'entrer en relation. La peur du client est le signe d'une mauvaise expérience client et d'une effroyable expérience collaborateur.
Dans quelles situations a-t-on peur du client ?
Dans ses études en miroir confrontant l'expérience des clients avec celles des collaborateurs, la société KPAM identifie des situations dites "d'impasse" qui mettent en lueur les situations redoutées par les collaborateurs et irritantes pour les clients. Voici une liste des situations d'impasse préparée par Anne Geig, co-fondatrice de KPAM :
- "La difficile gestion de l’impatience grandissante des clients (vs process lourds, lenteurs internes…)
- La pression commerciale qui pousse à la vente, conduit à la perte de sens, ravive des conflits éthiques, provoque une perte d’alignement des collaborateurs dans leur métier et alimente la défiance des clients,
- La difficulté d’annoncer certaines décisions : refus de prise en charge, refus de prêt, refus de remboursement, délais allongés : des moments mal préparés
- Le manque de réponses face à certains process ‘absurdes’, certains frais difficiles à justifier…
- Les outils complexes et/ou défaillants : le manque de confiance dans les outils, qui peuvent faire échouer une opération lors d’un RDV client. Ces situations provoquent le stress par anticipation des moments de face à face où la crédibilité du conseiller est en jeu
- La gestion difficile des émotions des clients face à des clients fragilisés, usés
- La crainte des incivilités"
Ce dernier point relevé par KPAM est la plus grande peur, celle de l'incivilité et des violences verbales ou physiques qui sont le paroxysme de la relation destructrice. J'ai abordé ce sujet dans un de mes récents billets intitulé "Le pire de la relation client : incivilités, agressions et actes violents".
Cette peur quotidienne qui empêche la relation, qui fait que le collaborateur se mettra en situation de repli, de désengagement ou d'évitement trouve sa source dans des situations comme par exemple :
- Un collaborateur d'un promoteur immobilier qui doit annoncer le retard de livraison de la maison en construction ou bien le fait que les réserves n'ont pas été levées.
- Un vendeur automobile qui doit appeler le client pour lui dire que son véhicule ne sera pas livré dans le délai promis.
- Un chargé de clientèle qui annonce le refus d'un prêt, d'un dédommagement, de la prise en charge d'un sinistre.
- Une personne du Service après-vente qui vous dit que votre appareil n'a pas encore été réparé, ou bien que le montant des réparations dépasse ce qui était prévu.
- L'opérateur d'un centre d'appel qui passe sa journée à répondre à des clients mécontents qui ont attendu plus de 5 minutes en ligne.
- La caissière ou le caissier en grande surface qui fait face au client à propos des conditions de sa carte de fidélité qui ont changé, au sujet d'une promotion erronée ou une opération marketing trompeuse.
- Un employé d'une boutique de telecom, ou un opérateur par téléphone qui doit expliquer un extrait des conditions générales d'un contrat défavorable au client.
- Un employé de banque qui doit expliquer à un client un débit de frais incompris par le client sur son compte.
- Un vendeur qui s'attend à revoir des clients suite à la vente d'un produit défectueux.
- Une hôtesse ou un steward qui doit annoncer un retard au micro et ensuite faire face aux clients
- Un agent de bord SNCF qui travaille un jour de perturbations (vous remarquerez que les jours de grève, il n'y a pas de contrôle des billets...).
- Un employé d'un cinéma seul dans un couloir sombre pour contrôler l'accès, face à un client mécontent qui veut faire entrer son enfant dans une séance interdite aux moins de 16 ans, avec 200 personnes derrière qui trépignent.
Dans certaines sociétés, le niveau de qualité est si médiocre qu'on finit par considérer cette piètre performance comme une fatalité. Les collaborateurs ont peur du client et on érige de nouveaux process ou bien on applique le minimum légal pour éviter la relation. Par exemple, pour le cas du promoteur immobilier, on envoie au client un courrier recommandé en accusé de réception pour lui annoncer la mauvaise nouvelle, ce qui est une obligation légale mais aussi une formidable façon de mettre le couvercle sur la cocotte minute fumante du client. Ca, c'est fait. On se dit cyniquement qu'il vaut mieux gérer la minorité de personnes qui va se plaindre qu'appeler chaque client pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Ce n'est plus seulement le collaborateur mais toute l'entreprise qui a peur du client. Le vrai cynisme est mortel et les petits renoncements quotidiens sont les poisons de l'expérience des clients et des collaborateurs.
Lorsqu'on connait les chiffres moyen du turn-over (autour de 20%) dans les centres d'appel, lorsqu'on étudie les facteurs de désengagement des collaborateurs et lorsqu'on veut se faire peur en étudiant le phénomène de la grande démission (La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques rapporte "Sur les seules entreprises de 50 salariés ou plus, le taux de démission est actuellement parmi les plus élevés depuis 1993 : avec 2,1 %" dans un article intitulé La France vit-elle une "Grande démission" ?), on peut légitimement s'intéresser aux sources de dégradation de l'expérience des collaborateurs. Ajoutons à cela, pour planter le décor que plus d'un salarié sur deux est en contact avec du public.
Comment atténuer ou réduire à néant la peur du client ?
- Détecter les situations de peur. Première étape, passage obligé, indispensable pratique pour tout professionnel de l'expérience client, connaître les irritants client mais aussi les irritants collaborateurs. Et pas par une étude de satisfaction, ou bien un simple sondage froid et lointain mais bien par la présence sur le terrain, l'écoute active des collaborateurs, l'analyse de leurs verbatims, de leurs perception. Cette pratique mise en place, encore faut-il agir en conséquence une fois qu'on est au courant.
- Faire face à l'imprévu. L'expérience client n'est pas un long fleuve tranquille. Les imprévus sont le quotidien d'une entreprise. En montrant aux collaborateurs qu'on communique et qu'on agit vite sur un problème inattendu, une crise, une erreur à grande échelle, on réduit la peur d'affronter le client. Le collaborateur se sentira en confiance lorsqu'il fera face à la prochaine situation.
- Former les collaborateurs. Tout le monde n'est pas armé pour faire face à un déchainement de colère du client, une émotion forte et exprimée avec violence. Dans des secteurs où les clients investissent financièrement et émotionnellement (je citais l'exemple de l'immobilier neuf en début de billet), les collaborateurs doivent être formés, accompagnés, soutenus par leur management. La formation à la gestion des relations difficiles est indispensable. Des secteurs tels que l'administration ou la santé souffrent eux aussi de la peur de l'usager ou du patient, à des degrés variables. Ont-ils les bons mots, les bons gestes, les bonnes postures ?
- Faire preuve de solidarité. Les personnes faisant face au client assument trop souvent seules le trop plein d'émotion du client allant jusqu'à la violence verbale ou physique. Il faut du soutien du management de proximité mais aussi de tout le corps social, de ceux qui sont à l'origine d'une erreur ou d'un dysfonctionnement. Dans la distribution par exemple, le département marketing peut se tromper ou ne pas imaginer les conséquences d'une opération sur le terrain. Dans tous les secteurs, le back office éloigné du terrain peut prendre des décisions aux conséquences explosives. La solidarité nait de la coopération en interne, de la bonne communication, de la co-construction des offres, des services ou des produits.
- Donner aux collaborateurs de l'autonomie. Zendesk, dans son étude CX Trends 2022 révèle que moins de 30 % des agents des centres de contact disent avoir toutes les cartes en main pour réaliser un travail de qualité. Anne Geig de KPAM note quant à elle que "Le déficit d'autonomie est d'autant plus criant que le client rend le collaborateur responsable, et ce dernier ressent une forme de culpabilité à ne pas satisfaire les attentes du client. A cela s'ajoute une espèce de sentiment d’injustice chez les collaborateurs qui "font leur possible" au quotidien mais doivent faire face à l’insatisfaction des clients". Permettre aux collaborateurs de faire face à des situations difficiles en leur permettant d'activer un budget de compensation ou bien de prendre une décision en toute autonomie est essentiel pour maintenir un haut niveau de satisfaction des clients. Un collaborateur autonome est un collaborateur responsable qui tirera son engagement de ses capacités d'action. Le résultat est que la peur du client disparait quand on sait qu'on va trouver une solution.
- Faire preuve d'exemplarité, aller sur le terrain. Pratique ultra efficace pour résoudre les problèmes : adoptez le Genshi Genbutsu (formule japonaise qui signifie « aller et observer par soi-même » dont j'ai parlé dans un récent article de mon blog). Demandez à un actuaire d'une compagnie d'assurance (celui qui conçoit les contrats) d'appeler un assuré mécontent. Invitez votre Président.e à annoncer elle/lui même que la maison de ses rêves sera livrée avec 3 mois de retard. Obligez les responsables marketing à expliquer la promotion à un client. Tout à coup, le client devient un être humain, une personne fragile, une famille en difficulté, un consommateur perdu... Les minutes qui précédent l'échange donnent des frissons et on peut faire le pari qu'à l'issue de cette expérience, celles ou ceux qui n'ont pas l'habitude de ressentir la peur prennent dans le futur d'autres décisions !
1041ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next, qui reconnait avoir eu peur du client.
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