Une nouvelle étude nous permet d’identifier les grands chantiers de l’expérience client en 2023. Quelle est la place de l’expérience client dans les entreprises françaises ? Quel regard portent ses professionnels sur leurs pratiques ? Pour répondre à ces questions, BVA Xsight et Relation Client Magazine ont lancé la nouvelle version de OhMyCX! l’Observatoire de la Maturité CX des entreprises. Cet observatoire se base sur une grande enquête quantitative menée auprès de 150 professionnels de l’expérience client et enrichie d’une étude qualitative réalisée sous forme d’interviews auprès d’une quinzaine de responsables. Je la trouve aussi riche qu’intéressante ; j’en ai fait une lecture attentive et très subjective.

 

 

Voici les principaux enseignements reformulés en chantiers, avec un prisme que j’affectionne, c’est à dire forcer le trait et ne regarder que les réponses « Tout à fait », signe d’une réponse sincère et affirmée. Alors évidemment, ça pique un peu :

1 – Prendre le sujet au sérieux

Seulement un tiers des entreprises considèrent l’expérience client comme prioritaire. 37% pour être précis, et 10 points de moins qu’il y a deux ans, date de la précédente édition. D’après les auteurs et les répondants de l’étude, c’est la faute de l’inflation, un phénomène qu’on n’avait pas connu depuis des années et qui pousse les entreprises à la (légitime) réduction des coûts. Ce chiffre est à rapprocher de celui de la proportion de professionnels qui considèrent que l’expérience client occupe une place plus importante qu’avant (62% des répondants), ce qui pourrait nous mettre du baume au cœur mais est en contradiction avec le premier pourcentage. L’expérience client est encore trop soumise aux aléas et pas assez considérée comme prioritaire si j’en crois ce premier résultat. Le premier chantier est de faire de l’expérience client et de la culture client des sujets pris au sérieux dans les entreprises, et préservés des aléas économique.

2 – RSE et expérience client : concocter le cocktail gagnant

86% des entreprises prévoient de mettre en œuvre de nouvelles initiatives RSE/ESG cette année pour renforcer leur relation client. Les répondants de l’étude citent plusieurs initiatives (formation des collaborateurs aux enjeux RSE, soutien d’initiatives RSE de la part de collaborateurs,…) en écho aux convictions et à l’étude nationale de KPAM Impact. La responsabilité sociale et environnementale pourrait bien devenir une source de différenciation de l’expérience client. La RSE est une des 3 priorités des entreprises pour 2023, à égalité avec la réduction des coûts (35% des citations). C’est le moment d’investir massivement, et juste avant ça, de savoir sur quoi. C’est certainement le plus beau et le plus enthousiasmant des chantiers !

3 – Faire des données le carburant de son expérience

On le comprend dans les témoignages de professionnels interrogés, on le voit dans les résultats de l’étude : 74 % des entreprises exploitent la data client pour personnaliser et adapter la relation qu’elles entretiennent avec leurs clients. Après avoir été assommé par la Big data pendant deux bonnes décennies et tenté de faire face à ce tsunami informatique, les entreprises découvrent leur nouvel or noir, source du carburant de leur expérience future. Sans données accessibles, pas de personnalisation possible, ce qu’on savait déjà. Ce qui est nouveau, c’est le fait que les professionnels ont compris que sans données, il n’y a pas d’intelligence artificielle. Pas de data, pas d’IA. La gestion des données est un chantier plus avancé que les autres et ceux qui ont déjà investi dans ce domaine en tireront bientôt d’énormes bénéfices.

4 – L’omnicanal, vers l’infini et au delà !

68 % des entreprises font en sorte que tous les canaux communiquent ensemble pour délivrer une expérience client unifiée, cohérente et fluide, et si on y regarde de plus près, seulement 19% des professionnels répondent « Oui tout à fait » à cette question. J’ai l’impression depuis maintenant 17 ans sur mon blog de relayer les mêmes résultats d’étude à ce sujet, preuve que l’omnicanal est le chantier le plus sous-estimé -ou sous-dimensionné- de l’histoire de l’expérience client. Ce n’est pas qu’un sujet technologique, contrairement à ce qu’on a pu penser ou vendre, mais également un sujet d’organisation et de compétences. Si on prend un peu de recul, on voit que les entreprises opérant sur un canal historique (les constructeurs automobile, les distributeurs pour ne citer qu’eux…) ont encore du mal aujourd’hui à offrir cette fameuse expérience fluide et sans couture dont rêve le client. Si j’ai choisi la référence à Buzz Lightyear dans mon titre de paragraphe, c’est qu’on est bien en pleine anticipation. Pour celles et ceux qui pensaient avoir colmaté les brèches et consolidé la tuyauterie, j’ai une mauvaise nouvelle : l’intelligence artificielle arrive. Elle va doper des canaux et rendre obsolètes des outils et des parcours entiers. L’omnicanal est une course sans ligne d’arrivée, tout comme l’expérience client !

5 – Se mettre aux platines pour le grand mix humain digital

Sujet brulant, sujet tabou, sujet piquant : quelle place pour l’humain dans l’expérience ? A la question portant sur l’équilibre entre l’humain et le digital, 61% des professionnels déclarent qu’il s’agit « d’équilibrer le contact avec des personnes physiques et les outils digitaux ». J’avais imaginé 100% pour cette réponse, mais 24% déclarent qu’il s’agit de privilégier le contact avec des personnes physiques et 10% les outils digitaux et l’IA. A vrai dire, la variété des réponses montre bien que les entreprises sont toujours affairées à doser, évaluer, anticiper le bon mix entre l’humain et le digital : la question à un million d’euros ! La plupart des entreprises qui ont délaissé l’humain au profit du digital ont vu leur satisfaction client chuter (c’est mon observation subjective, pas un résultat d’étude). Ils ont peut-être gagné en rentabilité, mais ils ont endommagé leur relation client et affaibli la maigre confiance accordée par les clients (je pense aux banques et aux compagnies d’assurance par exemple). L’équilibre entre l’humain et le digital est la préoccupation partagée des entreprises et des clients. D’un côté les entreprises continuent à affecter des tâches sans valeur ajoutée à la machine, au profit d’une relation humaine riche. Jusqu’où aller ? Qu’est-ce qu’une tâche à valeur ajoutée ? De l’autre côté les clients veulent être autonomes et pouvoir compter sur un interlocuteur au moment opportun. Quand laisser le client seul ? A quel moment réinjecter de l’humain ?

6 – Ne plus se contenter de la médiocrité

Je vous invite à passer de la page 30 à la page 32 de ce rapport très riche et rapprocher les chiffres pour provoquer un amer mal de tête, et on ne peut pas blâmer les auteurs de cette très bonne étude. Voyez plutôt : 7 entreprises sur 10 jugent que l’expérience qu’elles délivrent aujourd’hui à leurs clients est globalement satisfaisante dont seulement 9% « très satisfaisante ». Moins d’un professionnel sur 2 estime satisfaisantes l’organisation et les ressources (comprenez : on n’a pas les moyens de bien faire). 55% des professionnels sont satisfaits de la culture client (je décrypte : tout le monde ne travaille pas pour le bien du client dans mon entreprise). On n’a pas les ressources, on n’y croit pas et de ce fait, nos résultats sont mauvais. On ne s’étonnera donc pas de lire dans la partie « les niveaux de maturité CX » (la promesse de l’étude) que 2/3 des entreprises sont en phase « d’exploration et de construction » dans le domaine de l’expérience client et seulement 7% sont en « consolidation. Les professionnels répondants sont peut-être trop modestes ou malheureusement réalistes. Du moment qu’ils ne sont pas résignés…

7 – Prendre la main sur l’expérience

Dans le chapitre « Design et implémentation de l’expérience et des parcours clients », j’ai noté un terrible chiffre. Moins d’une entreprise sur 5 (19%) répond « tout à fait » à la proposition : « Parcours clients formalisés par les équipes de manière collaborative, en tenant compte du point de vue du client », et 9% à la proposition « Description précise de l’expérience attendue sur les canaux digitaux et en omnicanal ». Autrement dit, 8 entreprises sur 10 continuent de concevoir des parcours client en chambre, avec des étapes, des normes, des process qui, sur le papier, produisent un client satisfait. Autrement dit, le point de vue du client n’est pas pris en compte et l’expérience intentionnelle (celle qu’on veut faire vivre au client) même pas défini. On conçoit des parcours et vogue la galère ! Les champions de l’expérience client ne pensent pas à la place du client et ils savent ce qu’ils veulent faire vivre au client.

8 – Arrêter de piloter à l’aveugle

Dans la partie mesure et pilotage de l’expérience client, BVA Xsight nous montre que les professionnels pilotent leur expérience les yeux fermés. Si à peine plus d’un tiers (36%) déclarent tout à fait « piloter les objectifs de satisfaction client dans toute l’entreprise, au niveau du Comex et des comités de direction », 16% détectent et traitent vraiment en continu les sujets d’insatisfaction (part de réponses « tout à fait »). Encore pire, 8% mesurent vraiment « l’écart entre promesse CX, CX délivrée et CX perçue par ses clients, pour amélioration » (part de « Tout à fait »). Les attentes des clients changent ? Seulement 14% répondent « tout à fait » à la proposition « Parcours et CX revus en cas de nouvelles attentes client » (dans la partie « Transformation CX de l’étude »). Le constat me semble clair : on peut parler d’un pilotage à l’aveugle de l’expérience client.

9 – Sortir du bouillon de culture client

C’est un peu le sujet hype du moment. Et pour cause, dans la partie « Culture client » de l’étude, on apprend que seulement 25% des professionnels sont « tout à fait » d’accord avec cette proposition : « Importance de l’orientation client incarnée par le management de manière exemplaire » et 24% sont tout à fait d’accord avec le fait que « Écoute et expérience collaborateurs sont une priorité pour l’entreprise ». La transformation commence par soi-même. Les managers ne donnent pas l’exemple et le sujet de l’expérience client reste un sujet de relation client, dans le sens ou ce qui devrait être de l’ordre de la stratégie et des valeurs reste cantonné aux outils et à ceux qui sont en contact avec le client. Ces résultats nous montrent que le sujet de la culture client et de l’expérience client ne sont pas pris au sérieux. Ce n’est pas que je veux voir le verre à moitié vide (ce qui va contre ma nature), mais force est de constater dans cette étude, aussi bien dans le domaine de la culture client que dans celui de la stratégie, les chantiers que j’identifie dans mon billet semblent pharaoniques. Dernier chiffre pour illustrer ce chantier : 15% des professionnels répondent « tout à fait » lorsqu’on leur demande si, au sein de leur entreprise, on « décline sa promesse dans la mise en place de sa stratégie d’expérience client ». Ce chiffre révèle qu’on ne considère pas encore l’expérience client comme le terrain de la différenciation. L’expérience produite est indifférenciée, on répond de la même façon que ses concurrents aux clients, on utilise les mêmes outils, on forme les collaborateurs de la même façon, on ne fait pas vivre ses valeurs et sa promesse dans le quotidien des clients et des collaborateurs.

10 – S’inspirer des meilleurs

13% des professionnels partagent les meilleures pratiques CX au sein de l’entreprise (part de réponses « tout à fait »). Les autres se disent « oui mais chez nous ça n’a rien à voir » ou alors « on ne peut pas se comparer à Amazon ». Il n’est pas rare qu’on me dise lorsque je fais des conférences en entreprise : « Ah mais vous n’allez pas encore nous parler d’Amazon, d’Apple, de MAIF, de Nespresso et de Decathlon… ». Généralement, je réponds « Si si, j’insiste, vous n’avez pas fini d’apprendre, et moi non plus ! » Si je cite ces entreprises, c’est précisément parce que les professionnels interrogés les jugent « référentes ». Amazon en premier, Apple en deuxième et MAIF en 3ème. Viennent ensuite Decathlon (présent en 2ème place en 2021) et Nespresso. Ce classement est presque le même que celui que nous obtenions il y a 3 ans lorsque j’ai fait faire une étude pour le salon Stratégie Clients (relire mon billet (MAIF vs Amazon, le match du siècle).

 

Merci à BVA Xsight pour cette étude à télécharger gratuitement, ce que je vous recommande.

1087ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du clientco-fondateur de KPAM Next.