Nexstage, qui vient de rejoindre Colorado, publie une nouvelle étude (tout aussi intéressante que celle -dont je ne cesse de parler depuis sa publication- sur les "jachères relationnelles", compte rendu à lire en suivant ce lien). Cette étude de grande ampleur mêlant qualitatif et quantitatif, s'intitule l'Observatoire des usages du numérique et les commanditaires sont l'AFRC et Orange Business Service, avec la caution scientifique d'un anthropologue.
Premier enseignement : la digitalisation de notre quotidien fait émerger de nouveaux besoins
- Un besoin d’immédiateté Les outils numériques permettent d'accéder à toutes les informations utiles, ce qui a pour conséquence une nouvelle organisation : moins d'anticipation, moins de préparation à l'avance. La conversation continue s'impose dans les échanges entre personnes : une personne sur deux répond dans la minute à un SMS (et un tiers dans l’heure). Et 28% s'attendent à ce que l’on réponde dans la minute (38% dans l’heure). Le besoin d’immédiateté devient "une norme sociale exigeante" selon les auteurs de l'étude, qui précisent que 40% des français sont dans cette logique d’immédiateté.
- Un besoin d’anonymat Si les adolescents exposent leur vie et recherchent la popularité, un nombre croissant de français recherchent non seulement la protection de leurs données personnelles mais aussi l’anonymat de leur vie numérique. 46% des français ont une adresse mail « poubelle » ou avec pseudo. 38% des personnes déclarent bloquer leurs données personnelles sur les réseaux sociaux (23% ont un profil public). "Ce mouvement qui prend racine dans des motivations et peurs très diverses, va clairement au-delà de la volonté de se protéger de sollicitations commerciales trop nombreuses." selon Nexstage. 60% des français seraient dans la logique de recherche de l’anonymat à des degrés divers. J'y vois les prémices de la réappropriation des données par les clients, un chemin vers le VRM (Vendor Relationship Management, ou comment les clients diffusent eux mêmes leurs données et les dispensent selon leurs besoins).
- Une dépendance aux outils numériques L’addiction aux outils numériques croit et se révèle le moteur de leurs usages (dans la droite ligne de ma tendance 2012 "le client sera doigt"). La dépendance grandit : être coupé de ses outils numériques provoque un sentiment d’urgence, voire de panique. 51% des personnes interrogées font demi-tour si elles ont oublié leur mobile, quitte à être en retard. 91% des français partent en vacances avec leur mobile, mais aussi 40% avec leur ordinateur et 11% avec leur tablette. La fréquence d’usage relève d’avantage une compulsion qu’une utilisation maitrisée et experte des outils. La majorité des français (55%) serait dans cette logique de dépendance aux outils numériques.
- Un besoin de partage "Le partage est le propre de ce vaste Espace Public Numérique non marchand où s’échangent informations, conseils, images, morceaux de vie" révèle l'étude. Le partage est la valeur numérique de demain, (à l'instar de la musique ). "La valeur perçue d’un produit dépend plus de son niveau de partage que de la marque". Sur Facebook, 32% des personnes interrogées partagent des photos, 26% font des commentaires sur les photos et statuts, 14% partagent de la musique. 58 % des français vont sur des forums, mais seulement 17 % contribuent ou participent. 27% des français sont dans cette logique de partage (de quoi mettre à jour les règles du 1/9/90 de Jakob Nielsen : 1% de contributeurs réguliers, 9% d'occasionnels et le reste composé de spectateurs)
- Un besoin de fluidité L'accès immédiat à l’information pertinente (notamment par géo localisation) est une nouvelle logique d'usage que les Smartphones (600 millions vendus en 2012 dans le monde) et tablettes imposent. L’internet mobile empiète de plus en plus sur l’Internet fixe, ce qui n'est pas sans me rappeler la tendance du Sens du client "le client sera ici"). "Le numérique n’est plus orienté Média ou Information mais Outils et Actions" nous dit Nexstage. Le Smartphone a gagné la bataille de l’ergonomie et de la fluidité d’usage. 95% des personnes utilisent le mobile chez eux (la bataille se jouerait dans le salon des utilisateurs), contre 76% dans la rue et 55% dans les transports en commun.
Le numérique semble en effet accentuer et orienter les besoins relationnels.
Quand on leur demande de hiérarchiser leurs attentes relationnelles, les consommateurs répondent en premier efficacité (34%) puis compétence (32%), autonomie et conseil qui viennent ensuite à égalité à 17%.
Ne pas subir trop de sollicitations commerciales est l'autre demande relationnelle. Le risque de la trop forte pression commerciale est désormais le refus de la relation. 3/4 des répondants ne souhaitent pas être contactés, sauf urgence, par les entreprises - contre 1/4 qui apprécie qu’on les contacte régulièrement pour faire un point sur leur situation (chiffres accentués par la recherche d'anonymat).
La personnalisation de la relation n’est désormais pas forcément bien reçue, et peut être perçue comme intrusive et à visée commerciale : un des enseignements les plus paradoxaux de l'étude qui me fait dire que la personnalisation de la relation doit induire un réel bénéfice pour le client.
Nexstage note en outre que l’écart se creuse entre les français friands des nouveaux outils et nouveaux modes de Relation et les consommateurs plus traditionnels. Environ un tiers des répondants souhaite avant tout une relation en face à face avec du conseil (malheur aux adeptes du "tout numérique" et du self service à 100% car les clients ne sont pas égaux). J'en veux pour preuve que -selon Nexstage- ces « consommateurs traditionnels » sont exposés aux outils numériques, mais sont loin de n’en voir que des avantages ni prêts à changer leurs habitudes. Les auteurs mettent en garde sur le fait que 18% des français sont non connectés, plus réticents à Internet, moins enclins à répondre à ce genre d'étude.
Troisième partie : Nexstage identifie dans son Observatoire des usages du numérique 5 priorités de la relation client face à cette mutation :
- Retrouver la confiance des clients. C'est l'obsession de toute marque, et une évidence pas assez rappelée : pas de relation de qualité sans confiance. Selon cet Observatoire "la confiance du consommateur est mise à mal" et "la Relation Client apparait plus comme une solution que comme l’origine du problème". La confiance nait du bon accord entre le positionnement de communication, les pratiques commerciales et la Relation Client.
- Inventer les nouveaux parcours clients de la vie numérique. Nouveau défi des entreprises (alors même que les salariés ne sont pas tous égaux face à ces bouleversements) : nous voyons naitre de nouveaux besoins et de nouveaux codes. "La Relation Client ne doit plus se contenter de suivre cette mutation mais elle doit en être un des moteurs." selon Nexstage. L'Observatoire estime que le mobile sera la télécommande du nouveau consommateur numérique dans sa relation client.
- Renouveler les pratiques de connaissance client Alors qu'on ne parle que de Social CRM, la vision globale du client fait face à son besoin d'intimité, sa permission (Seth Godin en parlait il y a plus de dix ans). Adieu la collecte aveugle et non justifiée, bonjour la transparence des objectifs et l'explication des bénéfices !
- Partager avec la communauté des clients Autre challenge colossal pour les entreprises : passer de la gentille animation de communauté au redressement productif. Il faut sauver l'industrie du partage qui est décrétée par cet Observatoire "valeur universelle de demain".
- Mettre en place une Relation Client plus "douce" J'adore l'intitulé de cette priorité qui me fait penser à ce que défend KPAM dans ses 5 piliers de l'enchantement relationnel lorsqu'il parle de "prévenance". Le monde numérique et son immédiateté génèrent du stress et, comme le rappelle Nexstage, 4 français sur 10 n’entrent pas facilement dans ce nouveau cadre numérique. Les auteurs recommandent "de la douceur, des ergonomies pensées pour tous, des accueils prévenants et des offres de services simples et conçues pour le plus grand nombre". En somme, on pourrait dire "le sens du client"...
Pour le management, le défi est de mettre au diapason les salariés en contact avec les clients, les former, les inciter à inventer une nouvelle relation client (lire mon billet sur le magasin connecté). Dans la discipline de la relation client, les enjeux sont dans la prise en compte des réfractaires, l'accompagnement de la majorité de la population et l'innovation avec les plus exigeants. Les entreprises gagnantes seront celles qui feront preuve d'agilité et de bon sens dans ce monde complexe et technologique.
Billet écrit par Thierry Spencer du Sens du client, le blog des professionnels de la relation client et du marketing client.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire