16 août 2019

La KPI mania dans la relation client


Les KPI ou Key Performance Indicators (indicateurs clés de performance) se développent dans le domaine de la relation client et de l'expérience client à mesure que ces sujets deviennent sources de préoccupation pour les dirigeants d'entreprise.
Dans une conférence de l'AMARC consacrée aux KPIs et intitulée malicieusement "Du cockpit au fétiche", Christophe Benavent développait en introduction la notion de "balanced score card", ou comment les entreprises ont construit des tableaux de bord prospectifs, ou "tableaux de bord équilibrés" nourris de KPIs relatifs au client. "On ne peut plus se contenter des éléments financiers, il faut intégrer des éléments qualitatifs. Cela permet de mettre en avant des indicateurs qui peuvent prédire les résultats financiers, et ces indicateurs sont des indicateurs liés à la clientèle. Et un bon KPI n'a pas pour but de mesurer, il a pour but de prédire." disait-il dans cette video que je vous recommande.
Dans le domaine de la relation et de l'expérience client, nombreuses sont les mesures issues des bases de données client, mesures d'audience et de comportement d'un site, production des centres de relation client ou autres résultats d'enquêtes internes ou externes. La matière à produire des KPIs est importante et la KPI mania bien réelle.
Christophe Benavent ne parle pas de mania, mais il évoque "le risque du fétichisme des KPIs" et en fait une définition en 3 points :
  • Le fétichisme car on attribue à un objet un pouvoir qu’il n’a pas
  • Le fétichisme et la pensée magique : attribuer une volonté à ce qui n’en a pas
  • Le KPI élévé au rang de rituel avec ses attributs : liturgie, répétition, recadrage, convention...
Qu'est-ce qu'un bon KPI ? 
Christophe Benavent a partagé lors de sa conférence un certain nombre de critères :
  • Validité : mesure ce qui doit être mesuré. Christophe Benavent prend l’exemple de la mesure de la satisfaction qui ne peut se réduire à une simple question mais à la mesure de l’écart entre ce qu’on attendait (le niveau d’attente) et ce qu’on obtient (la qualité perçue).
  • Fiabilité : quand la mesure ne dépend pas du contexte, l’absence de biais, les échantillons représentatifs.
  • Sensibilité : mesure les variations de manière suffisamment fine (la DMT donne des mesures sensibles par exemple)
  • Objectivité : quand la mesure est indépendante de ceux qui sont observés (relire mon récent billet au sujet du "survey begging")
  • Prédictibilité : permet de prédire des conséquences
  • Intelligibilité : une mesure qui a du sens pour les utilisateurs. Un indicateur que personne ne comprend ne sert à rien.
Quels sont les mesures et KPIs de la relation client ?
Signe des temps, Easiware a eu en 2016 l'excellente idée de réaliser chaque année un baromètre des KPIS de la relation client. Cette étude, réalisée avec le partenariat de l'AMARC, fait la synthèse de plus de 500 réponses représentants 200 entreprises de toutes tailles et tous secteurs. Elle fait partie des rares études gratuites de la relation client en France. Elle est à télécharger sur le site d'Easiware et je vous invite à le faire. La liste qui suit est illustrée par quelques résultats des éditions 2018 et 2019.
  • Temps d'attente : 20% des entreprises ne mesurent pas le temps avant de décrocher. Les entreprises qu'Easiware regroupe dans le segment "initiateurs" (34% des entreprises), véritables référence en termes de relation client obtiennent les scores suivants : au téléphone, le temps de réponse moyen (avant de décrocher) va de 5 à 30 secondes. Non seulement, ce temps d'attente est un risque d'abandon, mais il constitue un irritant majeur du client qui commence sa conversation avec un agent qui ignore que le client a attendu. Il est utile de le communiquer au collaborateur pour prendre en compte le contexte émotionnel du client, mais pas d'en faire un véritable KPI.
  • Durée moyenne de traitement : 83% des entreprises mesurent la durée moyenne de traitement (la DMT sur le canal téléphone n'excédant pas 5 minutes en moyenne selon Easiware). 36% des répondants (étude 2018) utilisent ce critère pour évaluer la performance. La fameuse durée moyenne de traitement est un indicateur sensible et fiable pour reprendre les critères formulés par Christophe Benavent. Mais lorsqu'il est combiné à un contrôle du comportement (le respect des scripts) est selon l'universitaire "psychologiquement insupportable". La DMT est un héritage du modèle tayloriste, un fétiche pour reprendre le qualificatif de Christophe Benavent, qui mesure une performance alors que la mission d'un service client est une mission de relation, la conduite d'une conversation visant à résoudre les problèmes du client. Dans cet affreux acronyme qui parle de "traitement" alors qu'on devrait parler de "conversation", on trouve des traces d'une culture de la productivité et pas d'une ambition de satisfaction ou d'enchantement. On ignore que les moments d'échange deviennent rares et précieux (relire mon billet de tendances client 2019 "le client sera moment"). S'il est essentiel de mesurer cette durée de conversation, ne serait-ce que pour bien gérer son centre de contact et ses ressources, il est inutile d'en faire un KPI au sens strict et encore moins de le communiquer aux collaborateurs en temps réel. Je vous invite sur ce sujet à relire le témoignage du directeur de la relation client de Samsung qui a conduit une expérimentation consistant à cacher aux collaborateurs tous les indicateurs (lire mon billet issu des conférences du salon Stratégie clients).
  • Temps de réponse : par exemple, 10% des entreprises ne mesurent pas le temps de réponse par mail. Dans son édition 2018, Easiware nous révélait que 34% des entreprises répondent dans les 12 heures aux demandes par email et formulaire. Répondre au besoin d'instantanéité des clients est fondamental, tout comme mesurer sa performance dans les délais de réponse (sur les réseaux sociaux, par mail, par téléphone, par courrier...). A cette instantanéité s'ajoute la nécessité de rendre le client autonome et lui permettre de résoudre par lui-même le plus possible ses problèmes. Easiware révèle à ce sujet que seules 43% des entreprises ont mis en place un self-care.
  • Satisfaction client : toujours selon le baromètre des KPIs de la relation client, 70% des répondants mesurent la satisfaction de leurs clients à l’issue d’un contact avec leur Service Client. C'est même (selon l'édition 2018), le premier critère d'évaluation des collaborateurs en services client (à 57%). Pour peu qu'elle soit correctement évaluée (et pas dévoyée, lire mon récent billet au sujet du lien entre rémunération et satisfaction client), la satisfaction reste le grand KPI. Une bonne façon de l'animer est de communiquer sur le taux de très satisfaits vs le taux de satisfaits.
  • Customer effort score. Cité par 15% des répondants en 2018 dans ses enquêtes post-traitement, le CES a pourtant un pouvoir prédictif du ré-achat bien supérieur à la satisfaction et   à la recommandation si on se réfère aux études publiées par la Harvard Business Review lors de l'émergence de cet indicateur. Son intérêt réside en outre dans le fait de collecter une note mais également des verbatim qui -selon les entreprises qui l'utilisent- sont nombreux d'une part et qui sont riches d'enseignements sur les parcours client vs le contact avec un canal.
  • NPS, Net promoter score. Cet indicateur cité par 45% des répondants de l'étude 2018 qui en font l'usage est l'incarnation du fétiche et le symbole de la KPI mania. Christophe Benavent le décrit ainsi : "Pourquoi le NPS est à la mode ? D’une part parce que la première manière d’apprendre des entreprises c’est le mimétisme (les entreprises l'adoptent car d'autres entreprises l'adoptent) et d’autre part le NPS a un sens dans le cas des entreprises en croissance. Si mon enjeu est d’aller plus vite, il me faut un vecteur, c’est le bouche à oreille, la capacité qu'ont les clients à me recommander et à faire adopter mon offre au plus de monde possible dans le temps le plus réduit." Le NPS répond admirablement au critère d'intelligibilité, et il est attractif du fait qu'il varie beaucoup plus que la satisfaction, étant sensible à la satisfaction mais aussi à la force de la marque. On peut parler de "mania" avec le NPS car il est adopté par de nombreuses entreprises qui pensent tenir la clé ultime, comparable (à tord car les résultats varient beaucoup selon la méthode d'administration) et simple à communiquer. 
  • Satisfaction conseiller : 67% des entreprises mesurent la satisfaction des conseillers (vs 43% en 2018), un signe encourageant sur l'évolution du management des centres de contact et d'intérêt pour le sujet de la Symétrie des Attentions. Le défi des centres de contact est de mesurer la satisfaction des collaborateurs internes mais aussi externes avec la même régularité et la même exigence. Je me souviens que le Baromètre social de la relation client de Randstad montrait un écart très significatif entre les deux populations, au détriment des conseillers externes.
  • Le turn-over des collaborateurs : Easiware publiait en 2018 un résultat moyen de 17,8% au sein des services clients (supérieur à 15% qui est la moyenne nationale selon Hay group), avec un variation allant de 11% (biens de consommation cosmétique, agroalimentaire...) à 26% (Telecom, energie...). On peut y ajouter le taux d'absentéisme ou le taux d'arrêts maladie pour avoir de très bons indicateurs managériaux.
  • Le FCR (first call resolution) ou Once and Done. Le plus fort taux d'usage de cet indicateur observé par l'étude est chez les prestataires de centres de contact qui sont 33% à l'utiliser pour le canal téléphonique (c'est un KPI d'Amazon dans ses centres de contact). C'est un indicateur orienté client qui veut que sa demande soit traitée en une fois et avec succès, mais qui constitue un véritable défi pour de nombreuses entreprises dont les demandes clients sont complexes. Néanmoins, il constitue une mesure de l'efficacité de la relation client globale dans le sens ou les moyens pour résoudre un problème client ne dépendent pas que d'une conversation mais aussi de la qualité des outils mis à disposition du collaborateur, son degré d'autonomie et la qualité des process internes.
  • Le taux de réclamation. Evalué par le baromètre des KPIs 2018 à 31%, il est un très bon indicateur pour toute l'entreprise. Rapporté à l'ensemble des transactions, il donne une bonne image de la qualité de la prestation globale mais aussi des moyens offerts au client pour s'exprimer.  Cet indicateur devrait être celui du seul comité de direction et il devrait se combiner avec le taux de satisfaction post-réclamation et la mesure de l'effort sur la réclamation elle-même (quel effort avez-vous du faire pour réclamer ?"). Le sujet de la réclamation, la résolution des conflits avec le client est le meilleur marqueur de la culture client de l'entreprise.
En résumé, je reprendrais ici les recommandations de Christophe Benavent :
  1. Avoir des KPIs peu nombreux
  2. Changer régulièrement de KPIs
  3. Eviter de communiquer sur les KPIs au risque de les tuer, de les décrédibiliser. "Si c’est un instrument de pilotage, ce n’est pas la peine de les donner à tout le monde. On parle de transparence lorsqu’il n’y a pas de confiance (à méditer)."
  4. Intégrer les KPIs dans un cadre théorique. "Autrement dit avoir un bon schéma de son business, c’est-à-dire répondre à la question « qu’est-ce qui cause quoi ? »"
  5. Les évaluer dans des modèles causaux, vérifier les effets. 
  6. Simuler leurs effets (projection sur le futur vs rétroprojection)
  7. Critiquer les KPIs, les remettre en cause pour éviter de rendre statique ce qui est mouvant.
  8. Assurer le consensus sur les KPIs, "il faut garder le caractère informatif et ne pas générer des oppositions internes." ajoutait l'universitaire.

Je laisserai la magnifique conclusion à Christophe Benavent, dans sa conférence à propos des KPIs, qui cite les "leviers de contrôle de Simon" et en particulier « le contrôle interactif où les KPI ne servent pas à évaluer mais permettent de discuter, et quand on discute on commence à penser, à imaginer. Et l’imagination vaut mieux que tout le contrôle dans les affaires. »

Pour télécharger le baromètre des KPIs de la relation client 2019 d'Easiware, c'est ici.

Pour lire la très riche version 2018 que je cite dans ce billet, c'est par là.
Merci à Easiware et à l'AMARC de proposer ce benchmark annuel gratuitement et ainsi enrichir les professionnels de la relation client.

877ème billet signé Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client, Customer Experience Storyteller à l'Académie du Service.
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