Vous avez probablement entendu parler dans les dernières semaines à l’occasion des manifestations d’agriculteurs de C’est qui le patron ?! ou vous avez vu son co-fondateur Nicolas Chabanne prendre la parole sur les plateaux de télévision pour défendre un point de vue iconoclaste, celui des clients. Créer une « Marque du Consommateur » était l’idée fondatrice en 2016 destinée à permettre aux consommateurs, de  »reprendre en main différemment notre consommation ».

Lorsque vous ferez prochainement vos courses, vous tomberez peut-être dans les rayons de votre magasin sur l’un des 30 produits équitables créés, dont l’emblématique brique de lait bleue qui illustre ce billet. Ces 30 produits vendus en grande distribution, qui totalisent des centaines de millions de vente, permettent de soutenir plus de 3000 producteurs partout en France, c’est à dire les aider à vivre de leur travail en leur garantissant une rémunération juste et des contrats de 3 ans.

J’ai eu la chance il y a quelques années d’y apporter ma modeste contribution et de rencontrer depuis à plusieurs reprises Nicolas Chabanne, le bouillonnant porte parole de la démarche, le passionné défenseur du client qui m’enchante lorsqu’il prend la parole dans les médias en commençant ses phrases par « Nous, consommateurs… » (une entame de phrase qui a donné le nom au documentaire consacré à la démarche).

Six enseignements de la démarche de C’est qui le patron ?!

C’est le moment de tirer les leçons de cette démarche et de voir comment s’en inspirer dans sa propre entreprise :

  1. Ne pas penser à la place du client. C’est un travers fréquent de beaucoup de chef.fes d’entreprises, de responsables du marketing ou de l’expérience client que de penser à la place du client. C’est beaucoup plus facile de concevoir seul un produit, un service ou un parcours client que de s’intéresser aux motivations et attentes profondes des clients. « Le client veut des prix bas », peut-on entendre fréquemment. C’est qui le patron ?! porte dans sa marque sous la forme interrogative le point de départ d’une démarche d’écoute profonde des clients (le patron, c’est le client). Cette interrogation conduit du prix le plus bas possible (le postulat le plus partagé) au prix le plus juste. Dans le domaine de la relation client, j’entends souvent que le client veut une réponse rapide. Or, comme le rappellent de nombreuses études (voir mon billet Le client sera résolution), le client veut que son problème soit résolu, ce qui est sensiblement différent. Par exemple, sous un autre axe, beaucoup d’assureurs pensent à la place du client et décrètent que le client veut une réponse technique à ses questions alors qu’il attend d’abord de la considération. Faire le pari de l’intelligence collective, partir de l’écoute des clients pour répondre à leurs attentes est le point de départ de C’est qui le patron ?! C’est la première leçon.
  2. Faire participer les clients. C’est qui le patron ? ne met pas les clients au centre de ses préoccupations, le doux rêve de beaucoup d’entreprises, l’objectif des programmes de culture client des entreprises décentrées. C’est qui le patron ?! met les préoccupations des clients au centre. C’est un changement de point de vue et une véritable révolution. Les consommateurs participants de C’est qui le patron ?! (dont les 14000 sociétaires dont je suis fier de faire partie), sont invités à co-créer les produits, à choisir les ingrédients et à voter sur les projets à soutenir. Cette approche permet de créer une communauté engagée et de fidéliser les clients avec bon sens. J’animais une table ronde en 2021 aux CRM et Marketing Meetings à Cannes dans laquelle Nicolas Chabanne était invité. Il y évoquait ce bon sens, cette évidence dans l’écoute du client : « Aujourd’hui, il me semble qu’on s’est trop éloigné de l’idée de demander simplement à celui qui va acheter le produit. Il y a un exercice à faire : imaginer que les consommateurs ne sont pas un peuple d’extra-terrestres lointains qu’il faut décoder. Est-ce qu’il ne faut pas se poser la question à soi « qu’est-ce que je veux, moi, au moment où j’achète ma brique de lait ? » Ce bon sens partagé nous ramène à des réponses qui sont toujours les mêmes. On nous a fait croire avec le marketing que tout le monde était ultra-différent, à multi-facettes et finalement quand on pose les questions (ce qu’on a fait sous forme d’un vote collectif) au consommateur : quelle brique de lait on fait ? quelle rémunération pour le producteur, quelle présence d’OGM, quel temps en pâturage, quelle provenance pour le fourrage, on s’est rendu compte qu’on pouvait créer un produit en rééquilibrant les choses. » Faire participer les clients à des choix raisonnés, en responsabilité, est la deuxième leçon de C’est qui le patron ?.
  3. Miser sur la transparence. Le principe de C’est qui le patron est la transparence totale. Et derrière cette volonté fondatrice, se cache le principe selon lequel on met le client face à ses responsabilités. Nicolas Chabanne fait un lien évident entre la transparence et la confiance des clients envers les marques (un sujet de mes tendances 2024 Le client sera confiant) : « (…)les grandes marques vont avoir un problème : elles n’incarnent plus le changement, il y a une véritable rupture de confiance. A certains patrons de ces grandes entreprises j’ai dit : rappelez-vous que vous êtes des fabricants et arrêtez de seriner les client avec la marque en mode push. Concentrez-vous sur des produits avec lesquels les consommateurs sont à l’aise, dans la transparence, dans la vérité. » Les clients peuvent entendre la vérité, ils veulent se sentir mieux avec leur consommation et se défaire de la schizophrénie liée à celle-ci. Une des leçons de « C’est qui le Patron ? » est de le considérer en adulte, en véritable patron de sa consommation.
  4. Réduire le green gap. J’entends dans beaucoup d’entreprises la reprise de ce « green gap » qui qualifie la différence entre ce que souhaitent les clients et ce qu’ils font réellement. Ce fossé qui sépare l’intention de l’action sert trop souvent à justifier le timide investissement dans des solutions de consommation alternatives.  C’est qui le patron ?! incite les consommateurs a faire des choix raisonnés qui répondent aux attentes croissantes en matière d’éthique et de consommation responsable. En misant sur la co-construction en amont et la transparence à toutes les étapes, la marque réduit ce qu’on nomme le « coût de transfert ». La difficulté pour un client à changer son comportement s’explique par ce coût de transfert, c’est-à-dire les facteurs psychologiques, comportementaux et économiques qui peuvent influencer les choix des individus.  Dans un article de l’ObSoCo on peut lire : « L’argument marketing écologique n’est donc pas suffisant pour inciter à consommer plus vert. D’autres leviers doivent être mobilisés, en optimisant les informations et leurs sources, en mettant en valeur les bénéfices individuels et en les valorisant (…) ». La brique de lait que je consomme, c’est MA brique de lait dont je connais le détail du prix, dont j’approuve les choix et qui m’offre des garanties qu’aucune autre marque ne m’offre. « C’est qui le patron ?! » par son modèle participatif, par sa volonté de transparence totale donne à ses clients toutes les bonnes raisons de se sentir mieux en consommant et réduire le fossé entre l’intention et l’action.
  5. Adopter la simplicité et la sobriété. J’ai été comme beaucoup de diplômés d’école de commerce biberonné au marketing classique, aux images de marque soignées et valorisantes. Regardez le packaging des produits « C’est qui le patron ?! ». Considérez le fait qu’il n’y a jamais eu de spots de publicité ni de panels pour valider les axes marketing. Je demandais il y a plus de deux ans à Nicolas Chabanne sur le ton de la plaisanterie si le marketing était mort, et il me répondait : « Je dirais qu’une certaine forme de marketing est morte. Le marketing à l’ancienne, le marketing tour de magie c’est fini. On a la sensation qu’une famille d’experts au cerveau différent de celui des consommateurs et qui pensent à leur place, créent des produits qu’on trouve en rayon. (…) C’est quand même plus sympa de faire un produit qui a du sens et qui se rapproche plus de ce qu’on aimerait que nos enfants achètent, plutôt que des produits pour une espèce de peuple qui vit dans une schizophrénie étonnante. Nous n’avons pas de panel, nous faisons voter des sociétaires. Nous n’enfermons pas nos clients dans des boxes pour goûter des gâteaux ou remplir des questionnaires… On peut faire volontiers le deuil du marketing à l’ancienne sans être trop tristes. ».  Le leçon à retenir est certainement de promettre moins et de prouver davantage, de se concentrer sur l’essentiel pour répondre aux attentes des clients et communiquer de façon authentique pour garantir l’engagement des clients.
  6. Rester humble et cohérent. Une des leçons de « C’est qui le patron ?! » tient dans le discours de son porte-parole : « Notre destin est dans nos poches : on fera changer le monde avec nos actes d’achat. Cette prise de conscience mènera les entreprises et les marques à ne plus avoir des valeurs affichées qui ne sont pas réelles, pour se mettre à la hauteur de celui qui achète ou bien elles ne vendront plus. ». Il y évoque un de mes sujets favoris, à savoir les valeurs d’entreprise. A la manière de l’auteur et professeur de management Maurice Thévenet qui distingue les valeurs affichées et les valeurs opérantes. Les entreprises adorent les beaux discours institutionnels, les valeurs creuses ou stratosphériques et surtout, elles ne font pas le lien entre ces valeurs et leur action. Je pourrais ajouter une des phrases préférées de Martine Coupet, l’ex Directrice de la relation client de Decathlon : « Ce qui est dit doit être vrai, ce qui est dit doit être fait ». Nicolas Chabanne fait de cette cohérence et de la posture de l’entreprise une question de survie. C’est la sixième leçon de « C’est qui le patron ?! »

Voici quelques questions que vous pourriez vous poser pour vous inspirer de la réussite de C’est qui le patron ?! :

  • Comment pouvons-nous être plus sensibles aux attentes fonctionnelles et émotionnelles des clients ?
  • Comment pouvons-nous donner plus de pouvoir aux clients dans notre processus de développement de produits ou de services ?
  • Comment pouvons-nous être plus transparents sur nos pratiques et nos coûts ?
  • Comment pouvons-nous proposer des produits de qualité à un prix juste ?
  • Comment pouvons-nous communiquer de manière plus authentique et engageante avec nos clients ?
  • Comment pouvons-nous nous engager dans des actions concrètes pour le développement durable ?

1103ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next.

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