Pour la septième années consécutive, j'ai eu le plaisir d'organiser et d'animer la conférence d'ouverture du rendez-vous annuel organisé par WeYou : les Customer Relationship & Marketing Meetings qui ont réuni cette année pendant deux jours à Cannes 166 exposants et 315 top décideurs, professionnels du marketing et de la relation client pour des rendez-vous d'affaires.
Le thème de la grande conférence de cette année était : Marketing et relation client, les jumeaux de la croissance. Et pour parler de ce thème, j'ai choisi trois speakers venus de trois secteurs différents, trois personnalités : Christophe Famechon, directeur de la Relation Client FNAC DARTY, élu personnalité client de l’année 2021, Pierre Guionin, Directeur Général France de Gorillas, une start-up allemande devenue en moins d’un an et demi une licorne dans le secteur du Quick commerce et Nicolas Chabanne le célèbre Fondateur de "C'est qui le patron ?", la marque du consommateur.
Je vous invite à relire leur CV dans un de mes récents billets.Voici mon compte rendu des échanges :
QUI DIT WEB PUISSANT DIT SERVICE CLIENT PUISSANT
Christophe Famechon (Fnac Darty) : "Cette période que certains appellent l'apocalypse du retail, et qui a vu l'accélération de l'e-commerce, de la digitalisation, l'intégration service client/marketing a eu beaucoup de conséquences. Première conséquence : un retailer qui n'a pas de e-commerce disparait. Et depuis le 16 mars 2020 qui dit web puissant dit service client puissant pour être en soutien. Deuxième conséquence : la digitalisation de tous les parcours et le développement du service client sur le web. Troisième conséquence et véritable tendance : les marques qui ont assuré bienveillance, proximité et générosité avec le client en sont sorties grandies. Nous avons assuré pendant cette période un service quasiment normal et nous en sommes fiers. Et enfin, dernière tendance : l'omnicanalité, la présence physique et la présence sur le web, les parcours croisés entre magasins et web font partie de l'arsenal, des forces, des actifs des e-commerçants."
LES CLIENTS NE SONT PAS DES EXTRA-TERRESTRES
Nicolas Chabanne (C'est qui le patron ?) : "Un jour j'étais avec une société d'études en conférence et j'ai expliqué qu'une étude de marché qui prend en compte la bienveillance, le bon sens sens, l'idée qu'on se fait des choses et ce que l'on veut faire de son argent, ça peut se faire à 3 ou 4 sur une table dans un bistrot aussi bien que pendant des mois d'études. Aujourd'hui, il me semble qu'on s'est trop éloigné de l'idée de demander simplement à celui qui va acheter le produit. Il y a un exercice à faire : imaginer que les consommateurs ce n'est pas un peuple d'extra-terrestres lointains qu'il faut décoder. Est-ce qu'il ne faut pas se poser la question à soi "qu'est-ce que je veux, moi, au moment où j'achète ma brique de lait ?" Ce bon sens partagé nous ramène à des réponses qui sont toujours les mêmes. On nous a fait croire avec le marketing que tout le monde était ultra-différent, à multi-facettes et finalement quand on pose les questions (ce qu'on a fait sous forme d'un vote collectif) au consommateur : quelle brique de lait on fait ? quelle rémunération pour le producteur, quelle présence d'OGM, quel temps en pâturage, quelle provenance pour le fourrage, on s'est rendu compte qu'on pouvait créer un produit en rééquilibrant les choses. Pour que le consommateur fasse son choix, on a co-écrit l'histoire, on a fait comprendre l'intérêt d'une brique de lait à 95 centimes vs 69 centimes. Puis en allant voir les distributeurs avec notre produit dont le prix est imprimé sur l'emballage, sans négocier, car le prix a été fixé par les consommateurs, on a enrayé un système qui tire vers le bas les prix."
RECREER LA RELATION
Pierre Guionin (Gorillas) : "Je ne parlerais par de nouveau consommateur à proprement parler, mais d'un consommateur qui est plus exigeant sur la chaîne de valeurs, qui est plus proche du produit grâce à internet. Aujourd'hui nous sommes dans 5 villes avec 22 magasins et nous répondons à une consommation quasiment instantanée. Les modes de consommation ont changé, la pandémie a accéléré ce changement, cette transition existe depuis bien plus longtemps. Les clients des grandes villes sont habitués à consommer et se faire livrer via des plateformes de livraison alimentaire qui pèsent entre 8 à 10% de la restauration. Ce service est plébiscité mais pas dans n'importe quelles conditions. Le client sait que la position du livreur est extrêmement fragile, ils sont tous auto-entrepreneurs et on sait la précarité qui se cache derrière. Notre pari est de mettre le livreur, que nous appelons le "rider" chez nous, au centre des valeurs de la société. On leur donne un statut qui est le même que celui des autres salariés de la société. Ensuite, la relation entre le client et le livreur est recréée en s'inspirant du commerce de proximité : on ne fait pas que sonner et déposer le paquet dans l'ascenseur... Je le vis tous les vendredis lorsque je fais moi-même des livraisons. Nous remettons un niveau de service qui existait autrefois et qui est plébiscité par le client. J'ajouterais la dimension de commerce de proximité que nous soutenons en proposant aux commerces voisins d'être référencés chez nous. Leurs produits sont stockés chez nous et livrés aux clients. Par exemple, nous travaillons avec 14 boulangeries locales à qui nous proposons ce complément de rémunération par la digitalisation de leur offre. Le client veut de l'immédiateté mais dans des bonnes conditions."
LES EQUIPES DE LA RELATION CLIENT AMBASSADRICES DE LA MARQUE
Christophe Famechon (Fnac Darty) : "Qu'est-ce qu'a changé la digitalisation ? Au niveau de la relation client, ça change tout. Traditionnellement, on accède à un service via une hotline. En 2019, 12% de nos contacts étaient digitaux et 88% via téléphone. En 2021, la tendance s'est inversée car on est à plus de 30% de contacts digitaux sur une totalité de contacts qui dépasse les 10 millions. Ca change beaucoup de choses. Le digital donne le pouvoir au client. Pris dans les méandres d'une hotline, le client est seul face à son problème. Quand le client poste un tweet, interpelle une marque sur les réseaux sociaux, ça mobilise beaucoup plus les marques. Le consommateur prend le pouvoir, il devient un véritable influenceur, c'est une très bonne chose. C'est une bonne chose car ça met en avant les équipes de la relation client qui deviennent les ambassadrices de la marque et sont davantage considérées. Ca change aussi notre approche en termes d'outillage, de connaissance client, de connaissance produit. Ca oblige à repenser le métier de la relation client et c'est passionnant !"
FAIRE LE DEUIL DU MARKETING A L'ANCIENNE
Nicolas Chabanne (C'est qui le patron ?) : "Je dirais qu'une certaine forme de marketing est morte. Le marketing à l'ancienne, le marketing tour de magie c'est fini. On a la sensation qu'une famille d'experts au cerveau différent de celui des consommateurs et qui pensent à leur place, créent des produits qu'on trouve en rayon. Qui a déjà reçu l'appel d'une marque qui lui demande ce qu'il aimerait vraiment acheter ? Quand Michel-Edouard Leclerc me faisait remarquer que nos briques de lait ne pesaient que 5% des ventes, je lui ai posé la question "Combien avez-vous de produits en magasin qui garantissent qu'à l'autre bout le producteur a le sourire et qui donnent du sens aux achats des consommateurs ?". Il a été convaincu par l'approche. C'est quand même plus sympa de faire un produit qui a du sens et qui se rapproche plus de ce qu'on aimerait que nos enfants achètent, plutôt que des produits pour une espèce de peuple qui vit dans une schizophrénie étonnante. Nous n'avons pas de panel, nous faisons voter des sociétaires. Nous n'enfermons pas nos clients dans des boxes pour goûter des gâteaux ou remplir des questionnaires... On peut faire volontiers le deuil du marketing à l'ancienne sans être trop tristes."
EST-CE QUE L'EXPERIENCE CLIENT EST LE NOUVEAU MARKETING ?
Pierre Guionin (Gorillas) : "Le grand challenge de notre secteur est de pouvoir dire au consommateur qu'il peut consommer différemment et pour cela on utilise les techniques traditionnelles du marketing. Mais le cœur de notre croissance chez Gorillas est le bouche-à-oreille, et ce bouche-à-oreille est fait par l'expérience. La sincérité et la transparence sur l'expérience client, sur le fonctionnement des sociétés sont primordiales. Le client a accès a toute l'information et lorsqu'il vit l'expérience il sait ce qu'il y a derrière un discours. Quand on capte les retours de nos clients, on se réjouit que 90% d'entre eux nous recommandent. Les clients plébiscitent la qualité de l'expérience et si vous ne la mettez pas au même niveau pendant toute la durée de vie de la société, c'est impossible de perdurer."
SE REINVENTER LORSQU'ON EST UNE GRANDE ENTREPRISE
Christophe Famechon (Fnac Darty) : "Quand on est un grand groupe, avec une longue histoire, avec des systèmes informatiques plus anciens, se réinventer c’est toujours compliqué. Quand on parle d’intelligence collective, c’est être capable de se mettre à 2 ou 3 pour résoudre un problème client, d’avoir pour ambition de faire en sorte que chaque contact soit traité de la meilleure façon possible. Nous ne voulons pas traiter un client comme un numéro et nous ne sommes pas des robots, c'est ce que je ne cesse de dire. Nous avons l’outillage, nous profitons des avancées technologiques (analyse des données, intelligence client pour aider les conseillers…), il faut parler maintenant de liberté, d’autogouvernance et d’agilité pour progresser. Dans une petite entreprise ça tombe sous le sens, c’est simple, dans une grande entreprise c’est moins facile.
Il faut des centres de contact avec des gens responsables qui traitent de A à Z un problème client, il faut leur donner le pouvoir. Le consommateur a pris le pouvoir ? Je veux que mes collaborateurs prennent le pouvoir ! Depuis près de deux ans, nous avons mis en place des organisations avec très peu de hiérarchie et très peu de fonctions supports. On demande aux collaborateurs de la relation client de s’investir et de faire preuve de leadership. Sur 1300 collaborateurs, 200 personnes travaillent comme ça déjà. C’est une vraie démarche - pour laquelle il faut rester humble car ça ne se fait pas simplement -, mais je pense qu’on ne reviendra pas en arrière. Tous les indicateurs sociaux se sont redressés, il nous reste beaucoup de travail mais on essaye de mettre en place cette façon de travailler pour que l’agilité, l’intelligence collective au quotidien opèrent au service des consommateurs."
LES GRANDES MARQUES SONT ELLES EN DANGER ?
Nicolas Chabanne (C'est qui le patron ?) : "Ce n’est pas facile pour les grandes marques. Elles nous demandent comment on fait chez C’est qui le patron ? Prenons l’exemple du beurre : préparer la transition vers le bio pour un producteur, ça veut dire ajouter 15 centimes au prix du beurre. Les consommateurs ont voté pour ajouter ces 15 centimes. Les distributeurs comme les grandes marques nous disent « Je ne comprends pas car on nous demande de réduire le prix et vous l’augmentez ! ». Résultat, notre beurre est devenu le beurre bio le plus vendu de France. Il y a donc un autre chemin.
Les grandes marques sont comme des paquebots qui avancent de plus en plus vite et qui ont fatalement du mal à faire un virage. Comment aider des paquebots ? Faut-il 10.000 petites remorqueurs ? 10.000 consommateurs pour aider à faire le virage ?
Qui plus est, les grandes marques vont avoir un problème : elles n’incarnent plus le changement, il y a une véritable rupture de confiance. A certains patrons de ces grandes entreprises j’ai dit : « Rappelez-vous que vous êtes des fabricants et arrêtez de seriner les client avec la marque en mode push. Concentrez-vous sur des produits avec lesquels les consommateurs sont à l’aise, dans la transparence, dans la vérité. »
GRANDIR AVEC DES VALEURS
Pierre Guionin (Gorillas) : "Le paradoxe, c’est que l’industrie digitale d’une manière générale va beaucoup plus vite que la capacité à construire des valeurs. Le principal défi des entreprises récentes qui utilisent le digital, qui grossissent vite, c'est de placer les valeurs dès le départ, faute de quoi, c'est mort ! Je parle des valeurs humaines pour les collaborateurs comme pour les clients. La nouvelle génération des entrepreneurs doit impérativement remettre le client au centre de la stratégie et le collaborateur au contact du client au centre de l'organigramme. Il faut qui plus est tenir dans la durée : on voit des entreprises qui grandissent vite et remettent en cause leurs promesses. L'amour du client, le fait de vivre la relation client soi-même (comme tous les collaborateurs de Gorillas qui doivent faire des livraisons), l'esprit entrepreneurial et l'expertise constituent l'ADN de Gorillas, et c'est le plus important pour perdurer et se développer."
DE QUOI SERA FAIT L'AVENIR
Christophe Famechon (Fnac Darty) : "La France est naturellement un leader en termes d'expérience, de service, de relation client. Quand je vois la success story de C'est qui le patron ?, quand je vois les champions mondiaux dans nos prestataires, les avancées dans la technologie, les nouveautés de service... Ce n'est pas seulement parce que nous sommes le pays du luxe et la première destination touristique, nous avons des atouts. Je ne sais pas ce que sera l'avenir, mais je sais que nous sommes là pour l'écrire ensemble."
Nicolas Chabanne (C'est qui le patron ?) : "Nous sommes heureux de représenter la France à l'ONU très bientôt. Notre initiative, grâce aux consommateurs s'est répliquée désormais dans 10 pays sous diverses formes et sous des noms différents. C'est une explosion de l'histoire, c'est un succès collectif sans business plan ni stratégie qui me fait penser à la murmuration, le vol des oiseaux en parfaite harmonie. Dans ce mouvement de milliers d'individus, il n'y a pas de leader mais une intelligence collective stupéfiante. Comment je vois l'avenir ? Un de nos sociétaires s'est exprimé et nous a fait réfléchir sur notre pouvoir incroyable : notre pouvoir d'achat, notre capacité collective qui nous donne un pouvoir phénoménal dont il faut en prendre conscience. Notre destin est dans nos poches : on fera changer le monde avec nos actes d'achat. Cette prise de conscience mènera les entreprises et les marques à ne plus avoir des valeurs affichées qui ne sont pas réelles, pour se mettre à la hauteur de celui qui achète ou bien elles ne vendront plus. Acheter des produits qui répartissent la valeur différemment, qui n'ont pas de conséquences négatives sur celui qui produit à l'autre bout et sur l'environnement, c'est notre idée. Pourquoi ne pas rassembler ce pouvoir d'achat et aller voir les entreprises pour leur demander où va notre argent, comment il aide les producteurs à se développer, comment il sert des choses utiles. Un acte d'achat va mille fois plus vite que n'importe quelle loi, on change le monde avec son acte d'achat."
988ème billet signé Thierry Spencer, créateur du blog Sens du client
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