L'expérience client est le résultat des sentiments et émotions lors de toutes les interactions vécues par le client, son ultime ressenti après un stimulus, un échange, une relation, un achat ou une mésaventure avec une marque. Et à vrai dire, les entreprises rêvent de produire des expériences qui provoqueraient un syndrome de Stendhal en évitant le Syndrome de Paris, autrement dit, elles se donnent pour objectif de créer des émotions mémorables sans jamais décevoir. Explorons ensemble ces deux syndromes que je considère comme de potentiels repères de l'expérience client.
Qu'est-ce que le Syndrome de Stendhal ?
"J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber." écrivait Stendhal en 1817 en sortant de sa visite de la basilique de Florence. C'est à partir de ces mots que la psychiatre et historienne de l'Art Graziella Magherini décrivit Le Syndrome de Stendhal comme le mal dont seraient affectés les touristes ébahis par la beauté et terrassés par l'émotion.
Qu'est-ce que le Syndrome de Paris ?
Dans la capitale française, le professeur Hiroaki Ōta, psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne, a diagnostiqué dans les années 80 des cas du syndrome de Paris, une affection qui touche les touristes japonais, troublés par l'écart entre le Paris de carte postale, l'image idéalisée de la ville et la réalité vécue sur place. J'y avais fait référence en 2013 dans un de mes billets intitulé "IRRITANT : Nââândé, ou Paris vu par les japonais".
Le nouveau terrain de jeu de l'expérience client
Vous avez remarqué qu'on ne parle plus beaucoup "d'enchantement client" ni d'"effet Wahou" dans les couloirs et les visio des directions de l'expérience client. C'est comme si l'article de la Harvard Business Review de 2010 "Stop Trying to Delight Your Customers" (Cessez d'essayer d'enchanter vos clients) avait fait son chemin dans les esprits des professionnels et finalement douché les doux rêveurs de l'expérience client enchanteresse. Les auteurs y posaient les bases du fameux Customer Effort Score, arguant du fait que la base du métier était d'éradiquer les irritants et de produire une expérience fluide et sans coutures, ce en quoi on ne peut pas leur donner tort... Et si l'expérience client était encadrée, balisée par ces deux syndromes, ces deux impératifs : éviter le syndrome de Paris d'une part et favoriser le syndrome de Stendhal d'autre part ?
Le syndrome de Paris fait écho au respect de la promesse, à l'exécution du contrat, autrement dit la dette. Le syndrome de Stendhal est le don. Il fait écho à la culture client d'une entreprise, sa volonté d'enchanter, sa conviction partagée en son sein qu'on peut produire une émotion positive et durable.
Eviter le syndrome de Paris.
L'ambition de tout bon professionnel de l'expérience client est d'éviter ce tragique destin des marques qui déçoivent, comme Paris aux yeux des touristes japonais admis à Sainte-Anne dans le service du professeur Ota. La déception nait d'un écart entre ce qui est promis et ce qui est produit effectivement, entre ce qui est conçu et ce qui est ressenti.
On ne s'étonnera pas que ce syndrome porte le nom de la capitale d'un pays où les clients se déclarent les plus déçus. L'étude BVA de novembre 2020 (l'excellent Observatoire des services client pour Elu service client de l’année) nous révélait que la France est championne d'Europe de la déception. 23% des Français déclaraient que "La qualité de la relation à distance était en dessous de ce qu'ils attendaient" vs 12% en Allemagne (plus faible score). 22% d'entre nous estimons la même chose pour la relation en face-à-face, vs 8% en Allemagne et 13% au Royaume-Uni par exemple. Les clients français sont déçus.
Je suis un grand contributeur de la page Facebook "Bien plus qu'une page" qui recense toutes les publicités dont le slogan a des allures de promesse creuse et presque absurde. Je ne citerai qu'une seule entreprise - aujourd'hui disparue - un transporteur maritime nommé SeaFrance dont le slogan était "bien plus que traverser la Manche". Le client pensait certainement "ben non, c'est juste traverser la Manche..." ou bien "ah bah d'accord, vous pourriez faire un crochet et me déposer aux Canaries ?". RIP SeaFrance. Tout ça pour vous dire que beaucoup trop d'entreprises sur-promettent et produisent des bataillons de clients déçus. La faute aux communicants hors sol et aux agences de publicité déconnectées, mais pas seulement. Le client réalise son achat et les ennuis commencent après celui-ci, nous apprend KPAM dans son étude sur l'enchantement client : la partie du parcours client qui suit la transaction est la plus génératrice de désenchantement, avec plus de 6 sujets sur 10 exprimés spontanément par les clients dans l'analyse.
Tenir ses promesses est aujourd'hui essentiel. Promesse de délai de livraison, promesse de résolution de problème, promesse de virement, promesse de rappel, promesse de rendez-vous, promesse de stock... le parcours d'un client est jalonné de promesses et les conséquences sont terribles si on ne les honore pas. Selon Ipsos, 42% des clients déclarent acheter moins ou ne plus acheter d'une marque dont le résultat de l'expérience était moins bon que promis.
Faisons donc le calcul : 22 clients sur 100 pensent que la relation était en dessous de ce qu'ils attendaient, 9 d'entre eux (les 42% cités plus haut) achèteront moins ou n'achèteront plus.
Le syndrome de Paris, c'est potentiellement 9% du chiffre d'affaires en danger.
Favoriser le syndrome de Stendhal
Je prétendais au début de ce billet (et dans un billet précédent "L'enchantement du client n'est plus ce qu'il était") que le customer delight, l'enchantement client, n'avait plus la côte.
Seuls 36% des Français déclarent "qu'il y avait quelque chose de particulièrement bien / ou une ou plusieurs petites choses qui m'ont plu" dans leurs expériences des 12 derniers mois, contre 51% aux Etats-Unis et 50% en Allemagne (source Medallia- Ipsos)
L'Observatoire des services client BVA pour Elu service client de l’année nous révélait que la part de clients "surpris agréablement" dans leur expérience est de 26%.
En général, dans mon expérience et mes observations, la part de clients dits "promoteurs" dans une enquête NPS (c'est à dire le cumul des notes 9 et 10) est en moyenne de 20%.
Ca fait donc moins d'un tiers des Français potentiellement enchantés, on est encore loin de la basilique de Florence... mais toutefois, considérons que 86% des consommateurs ayant vécu une excellente expérience sont susceptibles de renouveler leur achat auprès de la même entreprise (source Qualtrics Temkin group) et qu'une même proportion (87%) partagent de bonnes expériences avec d’autres personnes (Zendesk).
Faisons donc le calcul : prenons 25% de clients très satisfaits ou potentiellement "enchantés" et 80% d'entre eux prêts à acheter à nouveau ou recommander. On obtient 20 clients sur 100 fidélisés et prêts à recommander du fait d'une bonne expérience. Et tout de suite, on se met à aimer Stendhal...
L'enchantement du client est une noble cause, si ce n'est la plus haute.
La culture client des entreprises, c'est à dire les convictions partagées au sein de celles-ci à propos des clients et de leur satisfaction, se nourrit de cette ambition. Je me souviens d'un patron d'une société d'assurances qui me disait dépité et pessimiste : "je ne vois vraiment pas comment on peut enchanter quand on fait notre métier". Les personnes qui composaient cette entreprise partageaient le point du vue du grand patron et pensaient : "on n'est pas là pour enchanter et notre métier ne le permet pas". Pour convaincre mes interlocuteurs, je commence par admettre qu'il est humainement impossible d'enchanter tous les clients tous les jours sur tous les canaux. C'est un fait. Puis je leur raconte des histoires, je leur demande de me raconter leurs histoires personnelles pour conclure sur le fait que l'enchantement client, la très grande satisfaction fleurissent même sur les sols les plus ardus, dans les métiers les plus ingrats, les prestations les plus techniques. Pourquoi ? Parce que l'expérience client est une affaire d'émotion. Nous sommes des êtres sensibles, attentifs aux marques de considération, aux bonnes surprises, aux relations chaleureuses et intenses. C'est un moment, un geste, une parole, une attention qui vont nous ravir.
Selon Motista, les clients qui ressentent une connexion émotionnelle à une marque (étude faite dans le secteur de la distribution) ont deux fois plus de valeur que les clients qui s'estiment simplement satisfaits. Ces clients émotionnellement connectés ont une valeur (lifetime value) supérieure de 306%, restent avec la marque plus de 5 ans vs 3.4 ans et recommanderont la marque à hauteur de 71% vs 45%.
Cette connexion nait d'un effort collectif de l'entreprise, une ambition partagée dans tous les services, dans tous les métiers, du plus éloigné au plus proche du client. C'est ce que Nespresso appelait la quête du geste parfait. C'est l'obsession d'Apple de produire sur tous ses points de contact une expérience remarquable. Deux exemples les plus utilisés dans les conférences et les publications sur le thème de l'enchantement... A tel point qu'on finit par oublier qu'ils sont toujours là et qu'ils ont découvert la recette qui consiste à transformer un produit banal (le café ou un produit technique) en expérience exceptionnelle. Cette recette n'est-elle par l'ambition d'enchanter ?
Revenons à Stendhal et à l'objet de son enchantement (la basilique de Santa Croce à Florence) qui a inspiré le syndrome de Stendhal. Pour vous rassurer, sachez qu'au départ, il ne s'agissait que d'une modeste église qui a connu de nombreux remaniements et constructions successives pour atteindre cette capacité d'émerveillement. Si votre expérience client à la taille d'un petit édifice, aidez vos collègues et vos collaborateurs à penser à la basilique qu'ils construisent chaque jour !
Pour illustrer ce billet, j'ai choisi un tableau de Gustave Courbet et le premier gif animé qui s'affiche dans ma recherche "japanese scared".
1037ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next, visiteur enchanté de Florence.
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