Comme quelques millions de Français, j'ai vécu l'angoisse du plein d'essence ce week-end. Et manque de chance, ma résidence principale est dans un département qui cumule à lui seul un quart des stations service en rupture totale et partielle et le seul (à date) à avoir produit un arrêté préfectoral pour rationner la distribution à la pompe (30 litres de carburant maximum) et interdire les bidons. Voici mon histoire irritante de client et ce que j'en retire en termes d'expérience client.
J'ai donc fait l'expérience du client qui cherche de l'essence pour sa voiture dans un rayon de 10 kilomètres autour de chez moi dimanche matin à 10h00.
Le stress de la recherche, l'irritation du contact
Je commence par chercher les dernières informations sur le sujet et je choisis des sources fiables. C'est dans ces moments où le stress vous guide que vous êtes encore plus irrité par le consentement des cookies, les publicités que vous avez du mal à fermer et les articles - traitant pourtant d'un sujet important qui devrait être disponible pour tous - réservés aux abonnés.
Une fois l'article que je juge fiable trouvé (le site du journal Le Parisien...), je suis les conseils des journalistes et je télécharge l'application Essence & Co sur mon téléphone. L'application est indisponible... Je me rends sur le site penurie.mon-essence et la station la plus proche de moi (dans un supermarché) n'apparait pas. Je cherche sur mon téléphone les stations les plus proches sur Google. La station TotalEnergies Access semble ouverte. Je les appelle...et j'entends au bout de quelques sonneries : "Le répondeur ne peut plus prendre de message". J'appelle la station Esso la plus proche de mon domicile qui est aussi indiquée ouverte sur Google. "Bonjour Monsieur, je vous appelle pour m'assurer que vous êtes ouvert et vous demander si vous avez du carburant ?". L'homme me répond d'une forte voie irritée : "On est fermés !", et il raccroche. C'était donc ma conversation avec Esso-ExxonMobil en pleine pénurie.
Le plein d'irritants
Je pousse un peu plus loin et je cherche les coordonnées de la station-service Auchan qui semble ouverte selon Google. Sur le site du centre commercial, le prix du Sans plomb est à "0.001663 € / litre Prix constaté le 07/10/2022" La bonne affaire ou la grosse erreur ? Je me dis que le site n'est pas habitué à désactiver les prix, donc ils ont du saisir un prix aberrant. Sur le site d'Auchan, pas de trace d'une information. Je tente ma chance au supermarché Casino ouvert ce dimanche à quelques kilomètres de distance et j'appelle. Une jeune femme assez aimable cherche la réponse à ma question et me confirme que la station service du supermarché est approvisionnée en Gasoil et Sans Plomb. je saute dans ma voiture et je m'y rends immédiatement. Sur place, c'est la totale confusion, les pistes sont accessibles depuis une voie étroite qui elle-même est accessible par 3 routes. Vous imaginez... en l'absence de signaux ou de personnes pour réguler le trafic, chaque voiture qui s'engage est une négociation. Les conducteurs (plutôt des hommes) sont assez prompts à descendre de leur véhicule pour faire leur loi, élever la voix, sauf si leur 4x4 imposant ou leur camionnette défoncée parlent seuls et menacent les portières des concurrents au plein.
De nombreuses affiches griffonnées à la hâte, scotchées de travers, dégoulinantes de pluie, indiquent qu'il est interdit de remplir des bidons. J'observe avec effroi les scènes de tension pendant 55 minutes, le temps d'arriver à la pompe. La personne devant moi prend un temps anormalement long et je ne la vois pas. Je sors de la voiture et je vois le conducteur accroupi, caché derrière sa portière en train de remplir de nombreux jerricans. Il me fixe droit dans les yeux et m'assène le fameux "Quoi, y'a un problème ?", en signe de défi.
Je suis donc venu faire le plein d'émotion ce dimanche matin et m'engage à mon tour vers les pompes, soulagé de ne pas avoir de tôle ou de susceptibilité froissés. Manque de chance, il n'y a plus d'essence sans plomb, le Gasoil est le seul carburant disponible. Je vais demander à tous les clients des 3 autres pompes, dont un est dans mon cas. La carte bancaire du 3ème client est bloquée, il ne parle pas français. Le sol est glissant, il pleut, les clients klaxonnent, l'atmosphère est extrêmement tendue. J'ai perdu une heure trente de mon week-end.
En rentrant chez moi je passe devant la station-service TotalEnergies et je m'arrête pour prendre en photo le superbe affichage fait maison (en visuel de ce billet). Visiblement, pas un seul euro sur les 179 milliards d'euros de Chiffre d'affaires pour assurer une image à la hauteur du fleuron de notre industrie française. C'est dans cette même station que TotalEnergies a fait un effort de prix spectaculaire récemment et provoqué un afflux massif de clients. Voilà comment on détruit en quelques jours des semaines de satisfaction...
Cette aventure, billet de la catégorie irritant, m'inspire quelques remarques et enseignements. Je mets de côté le conflit social à l'origine de cette pénurie et je ne parlerais pas de la qualité du dialogue social et du jusqu'au-boutisme des représentants syndicaux... Je me concentre sur les conséquences et la gestion de la crise.
Nul n'est infaillible, il faut s'y préparer (et s'y faire). Les entreprises prennent pour acquis le stock d'un produit essentiel et n'imaginent pas dans leurs scénarios qu'ils viendraient à en manquer. Les crises que nous traversons devraient servir de leçon. Qui aurait pu imaginer des confinements, des restrictions de circulation, des arrêts d'activité, la guerre en Ukraine il y a encore deux ans ? Nul n'est infaillible. Je pensais naïvement que les grandes sociétés pétrolières, comme on les nomme, auraient mis sur place un dispositif spécial, des affichages adaptés, un serveur vocal, un site dédié, des instructions pour les stations telles que : changez le message de votre répondeur, mettez à jour les informations sur Google, alimentez les sites collaboratifs, affichez l'adresse du site internet et un message d'excuses... Au lieu de ça, on enlève le service à la station.
Un bon service se rend aussi quand tout va mal. Les stations-service ne méritent pas ce nom car nul service n'y est rendu en cas de problème dans cette expérience. Pour les enseignes de distribution dont les stations servent de produit d'appel ou de commodité pour la vente de produits alimentaires, la fermeture d'une station est le cadet de leur souci vraisemblablement. Elles non plus ne mettent pas en place un affichage particulier, n'investissent pas un euro dans le salaire de personnes qui gèreraient les files et aideraient les clients. Le service n'est pas réservé aux meilleurs moments et chacun sait qu'on construit la satisfaction et la réputation sur la gestion des situations irritantes.
L'irritation est source d'incivilités. Mon exemple est frappant. En l'absence de service, la tension monte, les gens se comportement mal (la circulation, le fait de désobéir aux règles, comme remplir des bidons...) et la violence physique est proche entre clients et contre les installations de la marque. On ne peut pas blâmer des clients qui comme moi consacrent une partie de leur journée (en week-end qui plus est) à essayer de résoudre un problème vital et se heurtent à une absence totale de considération. On relira mon billet sur "le pire de la relation client" ou j'arrive à la même conclusion.
Personne ne tire profit de cette situation. Je me suis demandé si cette situation n'était pas une formidable occasion pour certaines sociétés dont je suis client fidèle de me rendre un service. Pourquoi le constructeur automobile de mon véhicule à qui je laisse des centaines d'euros d'entretien ne me propose pas un service (à commencer par une information fiable) ? Et mon assureur, pour anticiper les dépannages à venir de personnes qui vont tomber en panne... Ne serait-ce pas le moment d'aider ses fidèles client ?
1038ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next, en panne de sans plomb.
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