Le 24 avril est le jour de la Saint Fidèle et c’est l’occasion pour moi, depuis maintenant 11 ans (pour vous prouver que je suis fidèle à mes marronniers) de faire un point sur la fidélité des clients.
Cette année, qui nous a réservé des surprises en nous projetant dans une situation inédite à l’échelle de la planète, est une année où les professionnels de la relation client et de l’expérience client vont se poser de nombreuses questions sur l’engagement des clients et leur fidélité. Avec quelques résultats d’étude et des observations, je vous propose de contribuer à cette réflexion.
Nouvelles expériences, nouvelle fidélité ?
Pour beaucoup de professionnels dans l’obligation de baisser leur rideau ou stopper leur activité du fait de la pandémie qui nous frappe, c’est comme si on avait mis sur « pause » la relation client. Pour certains, l’exercice de leur métier prend une nouvelle forme. Les cartes risquent d’être rebattues dans plusieurs secteurs, à commencer par celui de la distribution et des produits de grande consommation. Sans qu’on en mesure encore les effets, les clients vont faire de nouvelles expériences (lire mon billet à ce sujet, écrit avant la période de confinement le 7 mars). Confinés à leur domicile, ils vont tester de nouveaux produits, de nouveaux services, de nouvelles solutions. Restreints à une zone de déplacement, ils vont visiter de nouveaux points de vente alimentaires ou se faire livrer. Face à des situations d’embarras financier, ils vont faire appel à leur banque ou à leur assureur. Dans l’obligation de travailler à distance, ils vont faire l’expérience de nouveaux outils numériques.
Dans le domaine de la grande distribution, on assiste à un basculement comme l’observe l’Obscoco dans sa nouvelle et passionnante étude « Le jour d’après ». 62 % des Français interrogés disent faire confiance aux enseignes de la grande distribution, à comparer au même chiffre en 2019 qui était de 37%. Cependant, ce regain de confiance cache des incertitudes quant aux impacts sur la fidélité. Derrière ces 62% de clients en confiance, 7 %  seulement  font « tout à fait » confiance. Alors que le budget alimentation des Français croit mécaniquement du fait des mesures qui les frappent (10% selon l’INSEE), 62% des clients constatent que « les promotions sont moins nombreuses qu’en temps normal » et 42 % des personnes interrogées ont le sentiment que « les prix pratiqués par les grandes surfaces alimentaires ont eu tendance à augmenter ». A l’issue de la crise, le client risque d’arbitrer selon ce qu’il aura retenu de la posture des marques et des enseignes et il est fort à parier qu’il deviendra fidèle à des solutions, des produits ou des enseignes avec lesquels il aura eu une bonne expérience et qui n’auront pas trahi sa fidélité sous contrainte.
A ce sujet, PMP et Mediatech ont publié cette semaine avec l’Ifop une étude très riche sur les parcours client dans laquelle ils démontrent une corrélation entre l’expérience client et l’intention d’engagement. Selon eux, l’expérience vécue a un impact réel sur l’intention de fidélité des des clients et se traduit aussi par une forte corrélation avec le NPS. Le taux d’engagement net (différence entre intention d’achat ou de souscription et souhait de résiliation ou de changement) varie par exemple dans le secteur de l’équipement de la personne ou de la maison (la distribution spécialisée) de 5% à 45%, et le NPS varie de -17 à +30. L’engagement net est fortement corrélé au NPS dans ce secteur, ce qui fait dire à juste titre aux auteurs de cette étude (qui porte sur de nombreux secteurs) que l’expérience a un impact sur la fidélité. Vous pouvez télécharger les résultats complets en suivant ce lien : Observatoire des parcours clients.

La prime à la considération et au respect des valeurs.
Le champion de la relation client dans le domaine de l’assurance, la MAIF (entreprise la plus primée en 2019, cf mon billet à ce sujet) a su avant ses concurrents s’appuyer sur ses valeurs et son capital confiance pour prendre une initiative spectaculaire. L' »assureur militant » a décidé de reverser la somme de 100 millions d’euros à ses sociétaires détenteurs d’un contrat auto et à jour de leurs cotisations (lire sur le blog Cultures Services la liste des initiatives de la MAIF). Une annonce de nature à renforcer la fidélité des sociétaires et envoyer un message à tous les clients assurés chez un concurrent.
On peut donc penser que les marques et les enseignes qui auront montré à leurs clients pendant la crise une certaine considération, celles qui auront su renforcer leur capital confiance, pourraient bien gagner des points sur la fidélité de leurs clients. Dans mon exercice de tendance pour l’année 2020 (le client sera considéré), je citais les résultats d’un étude menée par le cabinet Roland Berger pour Club Med dans laquelle on apprenait que 66 % des clients déclarent être prêts à arrêter leur relation avec une marque en l’absence de considération.

Une amplification des tendances ?
Comme le note l’Obscoco dans son étude : « il semble que certaines remises en cause fondamentales soient à l’œuvre pour une petite part de la population qui avait déjà entamé des trajectoires de transformations que la crise pourrait renforcer. » Deux de mes tendances 2020 portaient sur le client culpabilisé et le client fragile. J’y révélais que 55% des clients affirment que l’éthique et la morale d’une entreprise jouent un rôle important dans leurs décisions d’achat selon l’étude Future Shopper 2019. Cette crise est l’occasion de faire ses preuves pour garantir la fidélité de ses clients, et surtout de montrer qu’on accompagne le mouvement des clients qui réclament plus d’éthique et davantage d’engagement.
On pourra à ce sujet s’interroger bientôt sur les conséquences de la crise que traverse Amazon en France. Le géant américain du commerce en ligne a du se plier à une décision de justice limitant les activités de ses centres de distribution, en raison de risques liés à l’épidémie. Je reviendrai plus tard sur Amazon dans un prochain billet, car cette situation m’interpelle, mais je rappelle ici que 17% de ses clients français sont prêts à choisir un autre commerçant qu’Amazon en raison de l’éthique de la marque, ce qui constitue la plus forte proportion parmi les clients de sept pays dans l’étude The future shopper Wunderman Thompson commerce 2019. En rapprochant cette proportion du nombre total de clients d’Amazon en France (21.5 millions selon Kantar), on obtient le chiffre de 3.6 millions d’acheteurs du site d’e-commerce susceptibles d’être infidèles au site américain.

Les nouveaux ressorts de la fidélité
En cette journée de la Saint Fidèle, les entreprises gagneraient à s’interroger sur les nouveaux ressorts de la fidélité du client, qu’on confond souvent avec l’appartenance à un programme de fidélité ou la souscription à un contrat. Selon une étude McKinsey citée par emarketing en février dernier, 58% des clients n’utilisent pas le programme de fidélité auquel ils ont souscrit, de quoi faire réfléchir les distributeurs qui persistent à offrir des points ou des remises alors que le client attend, outre ces récompenses financières, une véritable reconnaissance et un surcroît de considération.
Dans le domaine de la banque, Deloitte nous apprenait dans la 9ème édition de son étude sur la relation client dans le secteur, que les clients sont globalement insatisfaits des services associés à certains moments de leur vie. Par exemple, 61% des clients sont insatisfaits de l’accompagnement de leur banque lorsqu’ils sont au chômage (rappelons que la France compte près de 9 millions de salariés en chômage partiel actuellement, une situation qui n’est pas comparable au chômage « classique » mais qui précipite le client dans l’inconfort). Les clients des banques, selon Deloitte « dénoncent un manque de conseil et d’écoute » et 20% d’entre eux considèrent que le conseiller ne les connait pas suffisamment, ce qui pose la question de l’exploitation des données croissantes sur le client, un phénomène qui touche tous les secteurs dont peu en tirent profit. Et pourtant le taux d’attrition en France est deux fois inférieur à celui des autres pays européens. Le pourcentage de clients perdus s’élevait en France à 4.3% en 2016, 4.5% en 2017, 4.8% en 2018, à comparer aux 8 et 9% de nos voisins. 95% des clients des banques sont « fidèles » et seulement 54% sont satisfaits (selon le baromètre de la Symétrie des attentions de l’Académie du service). De quoi expliquer que plus d’un client sur cinq (22 %) déclare avoir déjà acheté un produit ou service financier auprès d’un acteur non bancaire (selon Bain & Company cité par Boursorama).
Voir la réalité de son portefeuille client en face, s’interroger sur sa proposition de valeur, rester fidèle à ses valeurs et à sa promesse, et enfin prendre en compte les nouvelles aspirations du client semblent être les nouveaux ressorts de cette fidélité dans cette année si particulière.

Photo en illustration de ce billet signée Charles Etoroma tirée du site Unsplash

908 ème billet signé Thierry Spencer, créateur du blog Sens du client, Customer Experience Storyteller à l’Académie du Service, et auteur du livre Avez-vous le Sens du client ? qui vient de sortir aux Editions KAWA.

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