11 janvier 2020

Le client sera culpabilisé - Tendances relation client 2020 (2/6)

Le client doit désormais faire des choix impossibles. Bombardé d'informations plus anxiogènes les unes que les autres, engagé dans une consommation plus responsable, il peine à trouver le produit ou le service qui fera qu'il se sente en confiance et apaisé. Face à des injonctions contradictoires, en recherche de davantage d'éthique et de morale, il est culpabilisé.
Connaissez-vous le köpskam ? C'est un terme suédois qui signifie "la honte d'acheter". Ce mouvement pris très au sérieux par les professionnels, culpabilise les clients plus particulièrement pour les achats de vêtements en mettant en lumière leur irresponsabilité écologique. Les clients présentant leurs achats sur les médias sociaux sont montrés du doigt et invités à réduire leurs achats ou préférer l'occasion.
En France, un client sur 2 dit boycotter les vêtements fabriqués dans les pays lointains, selon l’Observatoire Economique de l’Institut Français de la Mode (IFM) cité dans Le Monde et on observe des actions menés par des ONG (dont le collectif Ethique sur l'étiquette) qui mènent des actions de protestation et de sensibilisation, autant de signaux faibles produits par des clients qui ne veulent plus se sentir coupables.

Les Français encore plus défiants et sensibles.
Le client veut savoir ce qu'il consomme, il veut avoir les moyens de choisir en toute conscience.
L'étude citée plus haut nous apprend que seuls 22 % des Français sont capables de citer une marque de mode vendant des modèles éco-conçus. Et 40 % d’entre eux affirment ne pas savoir où trouver des vêtements de ce type...
A ce sujet, le Baromètre greenflex-ademe de la consommation responsable 2019 nous révèle que 64% des Français ont l’impression d’avoir de plus en plus de mal à s’informer correctement. Une proportion de 3 clients sur 4 considèrent que les entreprises ne leur donnent pas assez d’informations sur les conditions de fabrication des produits.
Vers qui se tourner pour s'assurer qu'un produit est conforme à ses attentes ?
Saviez-vous que la France détient le record européen de la défiance envers les marques comme envers les distributeurs ? Le Baromètre Greenflex a interrogé les clients des six plus grands pays d'Europe et on y apprend que les Français sont 17% à se fier aux informations de la marque (vs 25% dans les autres pays) et 15% à faire confiance aux grandes surfaces où ils font leurs courses (contre 24% dans les autres pays).
Les Français s'inquiètent davantage de leur consommation : ils sont 80% à avoir le sentiment que le commerce génère trop de pollution contre 55% aux Etats-Unis selon le Havas shopper observer de septembre 2019.
Le client français serait donc le plus sensible et potentiellement le plus culpabilisé.

Six conséquences ou réponses au client culpabilisé
  • Le développement d'entreprises défendant la consommation responsable et offrant toutes les garanties d'origine ou proposant des solutions alternatives. On peut citer ici la marque de jeans française 1083 dont le fondateur a écrit un manifeste sur le "re-made in France".
  • Les nouveaux engagements des géants de la mode. Lors du dernier G7, trente marques de prêt-à-porter ont présenté un "fashion pact" de l’environnement, immédiatement dénoncé par Green peace qui y voit une "démarche scandaleuse" et appelle la puissance publique à agir.
  • Le boom de l'occasion. C'est en France que Vinted a connu son plus grand succès, avec 11 millions de clients, 2.8 millions de visiteurs par jour. A lui seul, Vinted représente la moitié du marché du vêtement d'occasion (sachant que 40% des Français ont acheté un vêtement de seconde main en 2019). Lire l'article du Monde à ce sujet.
  • La récente période de promotion du Black Friday en France s'est accompagnée d'une campagne de boycott de plusieurs enseignes (dont la CAMIF) et de nombreux articles de presse (lire l'article de Libération par exemple qui en faisait sa une) se faisaient l'écho des préoccupations des clients face à cette période où culmine le sentiment de culpabilité.
  • Le développement des applications. Je vous invite à lire mon billet de tendance au sujet du client scrutateur et vous renseigner sur les nouvelles applications qui influencent plus d'un Français sur 3 (selon IPSOS). On peut citer Ethic advisor qui va plus loin que Yuka et mesure entre autres l'impact social des marques, ou encore Moral Score qui vous invite à consommer les marques qui respectent les principes auxquels vous êtes sensible.
  • L'implantation des centres de contact en France. BVA a interrogé les Français à l'occasion de son observatoire des services clients 2019 pour l'Election du Service Client de l'année dont il ressort que 61% des personnes interrogées pensent qu'une loi à l'étude sur l'obligation de transparence sur la localisation des centres d'appel est "une nécessité pour sauvegarder des emplois en France".
Extension du domaine de la culpabilité : trois exemples
  • Le transport aérien. Le köpskam suédois est de la même famille que le flygskam (le honte de prendre l'avion, un terme ayant intégré la langue suédoise en 2018) qui commence à se ressentir sur le trafic aérien en Suède et fait son apparition dans notre pays (lire l'article des Echos à se sujet).
  • Les produits électroménagers et électroniques. UFC-Que choisir a lancé en novembre 2019 son "observatoire des pannes", Darty propose un label sur ses produits durables : deux initiatives pour répondre à une défiance extrême des Français sur le sujet de la durabilité des produits. L'enquête sur les tendances de consommation du CREDOC nous apprend en effet que 9 Français sur 10 pensent que certains fabricants raccourcissent volontairement la durée de vie des produits électroniques, ordinateurs, smartphones, appareils électroménagers, machines à laver et autres produits domestiques.
  • La livraison. 2019 aura été une année très agitée sur le plan social dans le domaine de la livraison avec une grève d'ampleur chez Deliveroo dont les livreurs ont appelé au boycott de la plateforme et de nouvelles formes de livraison plus responsables socialement ont fait leur apparition (lire l'initiative des coursiers de Montpellier dont le manifeste exprime les prémices d'un mouvement qui grandit : "Les livreurs se retrouvent contrôlés par des algorithmes, peuvent être mis à la porte en un clic et la qualité des services proposés par les géants se détériore au fil des jours pour prioriser la quantité. Nous souhaitons nous démarquer par notre qualité de service irréprochable et notre éthique locale."). Sur le sujet de la livraison, je vous invite à approfondir avec mon billet de tendance "le client sera livré".
Les clients encore plus sensibles à la morale et à l'éthique
55% des clients affirment que l’éthique et la morale d’une entreprise jouent un rôle important dans leurs décisions d’achat, notamment 58% des 35-44 ans, selon l'étude Future Shopper 2019.
Il faut s'attendre à un niveau d'exigence accru et une défiance qui ne faiblit pas vis-à-vis des entreprises.
Pour un Français sur deux, la communication des entreprises et des marques sur leurs engagements sociaux, économiques et environnementaux ne correspond pas à la réalité de ce qu’elles font, selon l'observatoire du goodvertising Viavoice septembre 2019. Les beaux discours ne suffisent plus, le client veut des preuves et des engagements.

En France, aux deux extrêmes, on trouve deux champions de la relation client.
  • La MAIF, entreprise la plus primée en 2019 dans le domaine de la relation client (lire mon billet Le prix des prix), s'est engagée dans le cadre de la loi Pacte en adoptant le statut d'entreprise à mission dont la raison d'être est admirablement formulée et synthétise les attentes futures du client : « Convaincus que seule une attention sincère portée à l’autre et au monde permet de garantir un réel mieux commun, nous la plaçons au cœur de chacun de nos engagements et de chacune de nos actions. C’est notre raison d’être. ».
  • Amazon, leader mondial de l'e-commerce, reconnu pour la qualité de sa relation client est sous les feux des projecteurs ces derniers mois (lire l'article du Parisien). 17% des clients français sont prêts à choisir un autre commerçant qu’Amazon en raison de l’éthique de la marque, ce qui constitue la plus forte proportion parmi ces pays : Belgique, Espagne, Royaume Uni, Pays bas, Allemagne, République Tchèque et Etats-Unis (selon The future shopper Wunderman Thompson commerce 2019). Si je rapproche cette proportion du nombre de clients d'Amazon en France (21.5 millions selon Kantar), j'obtiens le chiffre de 3.6 millions d'acheteurs du site d'e-commerce susceptibles de mettre l'enseigne en danger.
Le client est tiraillé entre un besoin de garantir son pouvoir d'achat, une recherche de solutions pour se faciliter la vie, l'attrait pour les marques d'un côté, et de l'autre, la culpabilité dans ses actes d'achat liée à l'origine des produits, le traitement des animaux, la politique sociale comme fiscale des entreprises, l'usage de moyens de transport polluants...
La culpabilité crée le remords, le remords fait naître des changements de comportements, de nouveaux arbitrages qui peuvent devenir des boycotts revendiqués.

Les enjeux de cette tendance :
  • Faire face à la défiance accrue des Français.
  • Favoriser une logique de preuve et d'engagement.
Comme le dit Pascal Demurger, le Dircteur général de la MAIF dans son livre "L'entreprise du XXIème siècle sera politique ou ne sera plus".

Retrouvez l'intégralité des tendances sous la forme d'un livre blanc disponible gratuitement sur le site de l'Académie du Service.
893ème billet signé Thierry Spencer, créateur du blog Sens du client, Customer Experience Storyteller à l'Académie du Service, et auteur du livre Avez-vous le Sens du client ? qui vient de sortir aux Editions KAWA.

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