Client mystère est le second roman de ma sélection de livres pour l’été. L’ouvrage de Mathieu Lauverjat est une histoire tragique prenant pour décor le monde des services et de la relation client, c’est son premier roman. Cette combinaison est assez unique pour être signalée, c’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’en faire la chronique. Pour commander le livre, suivez ce lien.

Présentation du livre Client mystère par l’éditeur

Alors qu’il pédale comme un dératé dans les rues de Lille pour livrer toujours plus de repas chauds, le narrateur de Client mystère est percuté par une voiture. S’il sort de l’accident sain et sauf (avec un bras mal en point), il se retrouve néanmoins « indisponibilisé » par les algorithmes de l’application pour laquelle il travaillait. Et donc, sans ressources. C’est alors qu’il entend parler d’un métier curieux : les « clients mystères », des particuliers mandatés par les entreprises pour jouer aux clients afin d’évaluer les performances des employés à leur insu. Notre héros devient donc l’un de ces hommes invisibles à la solde du management contemporain. Client mystère dépeint avec tension et vivacité le monde du travail au temps de l’ubérisation : dictature de l’algorithme, culte de l’efficacité, déshumanisation progressive des interactions sociales, consumérisme débridé… autant de thématiques explorées dans ce roman, récit d’un passage à l’ennemi – avec toutes les conséquences que cela peut entraîner.

Présentation de l’auteur de Client Mystère, Mathieu Lauverjat

Mathieu Lauverjat est un auteur et éditeur né en 1987 à Bordeaux. Après un zigzag en droit puis un crochet par les sciences politiques, il s’engage dans le métier d’éditeur et jongle entre la non-fiction et les livres illustrés pour diverses maisons et revues. (Source Babelio)

Pourquoi lire le roman Client mystère

Parce qu’il nous plonge dans la vie d’une personne au service et nous invite à l’empathie.

Ce roman s’inscrit dans la lignée des deux romans chroniqués sur mon blog Roule Yann, roule ! de François Julia (lire ma chronique) et Better and more, de Didier Goutman (lire ici ma chronique récente). Des romans introspectifs, des chroniques sociales qui se déroulent dans un milieu qui m’est familier. Client mystère est proche de ces deux romans, aussi vertigineux que Roule Yann, roule ! et aussi réaliste que Better and more. Mais ce roman est plus cruel encore, plus douloureux dans son récit à la première personne. Le personnage principal fait l’expérience de deux métiers : livreur de repas et client mystère. L’auteur en fait une description parfaitement documentée, à la manière de Jules Salé, l’auteur du livre « L’exploitation à la cool » sur les livreurs (lire mon billet à ce sujet de 2020), de « Debout-payé » de Gauz (un livre de 2015 chroniqué sur mon blog) sur les agents de sécurité ou encore du plus fameux « Tribulations d’une caissière », un blog devenu un livre puis un film (lire l’interview de son autrice Anna Sam sur mon blog). Si vous parcourez mes chroniques et si vous lisez le roman de Mathieu Lauverjat, vous noterez que les récits sont de plus en plus durs et tragiques. « Client mystère » est une immersion dans deux métiers, l’un au service dont on connait la dictature aveugle des algorithmes et la paupérisation croissante, je veux parler du métier de livreur. C’est la première invitation à faire preuve d’empathie, et je dirais que l’expérience d’un jeune homme blanc éduqué (le profil du personnage) est une bien sage description de l’horreur des courses contre la montre au service du client. La seconde invitation prend pour décor le métier des études client, ce qui est à ma connaissance inédit. Le personnage principal du roman devient un redoutable visiteur mystère qui va faire preuve de zèle et adopter sans discernement la part de cynisme de sa fonction. Les conséquences tragiques de ses actes sur les personnes en contact avec les clients (qualifiées pdans le roman d' »automates-interfaces d’un service ») plongent le lecteur dans un quotidien cauchemardesque qu’on ne peut pas ignorer en tant que professionnel de l’expérience client. Ce roman est une belle mais douloureuse invitation à l’empathie envers les livreurs comme les visiteurs mystères. C’est sa première vertu et je suis heureux de m’en faire l’écho.

Parce qu’il décrit avec talent l’enfer de la conformité.

L’auteur ne s’embarrasse pas de nuances sur le métier et égratigne tous les professionnels, y compris les associations représentatives de la visite mystère qui ont du lire quelques lignes avec embarras. Mais là n’est pas le propos car vous savez comme moi que certains professionnels font aussi ce métier avec le cœur. Si le client n’est pas roi, l’auteur d’un roman est libre de tous les excès, toutes les caricatures. Et parmi ces derniers, je suis très en phase avec la formule qu’il exploite et développe tout au long de son récit. Le visiteur mystère est en quête de « satisfaisant-conforme », rendant des comptes à des personnes qui s’enrichissent en notant sans discernement des personnes comme on remplit une check-list désincarnée, sans prendre en compte la fantaisie, l’inattendu, l’émotion. La recherche de la conformité tue notre métier, elle déshumanise la relation, l’encorsette, l’étouffe. La moyennisation, l’alignement sur des standards, le respect de la règle sont les ennemis d’une expérience client réussie. L’auteur tire ce fil jusqu’à la nausée et la tragédie. Il en fait le symbole d’un management cynique et déconnecté du quotidien et je dois dire qu’il n’est pas loin de la réalité, comme Didier Goutman dans Better and more. S’il n’y avait qu’un seul message dans ce roman pour celles et ceux qui me lisent, ce serait cette notion de « satisfaisant-conforme ». Mathieu Lauverjat n’est pas un professionnel de la relation client ou de l’expérience client, mais il pointe avec talent la fatale inclinaison de beaucoup d’entreprises qui confondent expérience produite avec expérience perçue, mise en œuvre de process et réalité d’un échange interpersonnel. Ce livre est une fable sur les excès d’un management déconnecté de la réalité, mis en œuvre par une armée de lâches. Rien que pour ça, ce roman est important à mes yeux. Alors, bien sûr, comme le livre Better and more, la lecture peut être éprouvante, d’autant que Mathieu Lauverjat termine son roman par une fin palpitante et tragique, une sortie de route étourdissante. Mais je ne vous en dis pas plus…

Il vous faudra un peu plus de 3 heures pour lire ce roman, soit légèrement davantage que le temps d’un trajet entre Lille (ville où se déroule une grande partie du roman) et Lyon. Pour le commander, suivez ce lien.

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1126ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next et amateur de bons livres.

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Pour aller plus loin.

Qu’est-ce qu’un client mystère ?

Un client mystère est une personne dont la mission est de vérifier la réalité de l’expérience client produite. Le client mystère, ou visiteur mystère, est anonyme – ou prend une fausse identité – pour réaliser des tests suivant un scénario établi et va noter la conformité, le respect des process et normes en vigueur au sein d’une entreprise. Le client mystère va contrôler la qualité et noter son expérience au regard de ce qui est attendu par l’entreprise via des critères liés à des points de contact précis. Cette technique est utilisée dans les entreprises à réseau et notamment la distribution comme pour les centres d’appel par exemple. Bien utilisée, cette méthode peut apporter des retours précieux et détaillés à l’entreprise, et idéalement, elle vient compléter les études faites auprès des clients. Mal utilisée, la technique du client mystère enferme l’entreprise dans une vision de l’expérience conforme et normée. Il n’est pas rare en outre qu’au sein des réseaux, les collaborateurs détectent rapidement un visiteur mystère par son comportement ou son scénario improbable. Le roman Client Mystère de Mathieu Lauverjat est une illustration outrée des conséquences néfastes de cette technique.