"Debout-payé" est un roman qui s'inscrit dans la lignée des ouvrages écrits par des employés au service du client, c'est pour cette raison que j'ai pris soin de le lire. Il s'agit du témoignage d'un vigile, qui selon l'auteur est "à la sécurité ce que la Vache qui rit est au fromage". M'étant beaucoup intéressé aux vigiles que je qualifie de "destructeurs d'expérience client", je n'avais pas eu la chance d'avoir le point de vue d'un de leur représentant.
Dans ce billet, je ne traiterai qu'une partie du roman "Debout-payé" -sorti en septembre dernier-, celle qui concerne l'expérience de vigile de l'auteur, l'autre étant le récit émouvant de sa famille entre la France et l'Afrique.
Ses expériences sont narrées avec beaucoup de poésie et d'humour, je vous en propose quelques extraits choisis.
Billet écrit par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service. Dans ce billet, je ne traiterai qu'une partie du roman "Debout-payé" -sorti en septembre dernier-, celle qui concerne l'expérience de vigile de l'auteur, l'autre étant le récit émouvant de sa famille entre la France et l'Afrique.
Ses expériences sont narrées avec beaucoup de poésie et d'humour, je vous en propose quelques extraits choisis.
- Un auteur à la grande liberté de ton. Gauz, le romancier, est un étudiant entré en France sans papier, issu d'une famille ivoirienne vigile à Paris de père en fils. Tout comme Anna Sam, la caissière devenue blogueuse (lire mon billet au sujet des "tribulations d'une caissière"), il a le talent de l'écriture et le goût du partage. Le statut de roman de ce livre, l'origine de l'auteur et son recul sur ce métier confèrent à "Debout-Payé" un ton unique.
- A la découverte d'un autre monde. Nul besoin d'être anthropologue pour savoir que le groupe social des vigiles parisiens partage un certain nombre de codes, à commencer par ceux relatifs au langage. Le titre du livre, "Debout-payé", désigne pour les ivoiriens "l'ensemble des métiers où il faut rester debout pour gagner sa pitance", "Zagoli" correspondant à celui de vigile (en référence à un gardien de but de l'équipe de football de Côte d'Ivoire). La communauté africaine est sur-représentée chez les vigiles. On y trouve principalement selon l'auteur des Congolais, des Ivoiriens, des Maliens, des Guinéens, des Beninois et des Sénagalais.
- Les clichés du métier. "Les noirs sont costauds, les noirs sont grands, les noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur. Impossible de ne pas penser à ce ramassis de clichés du bon sauvage qui sommeillent de façon atavique à la fois dans chacun des blancs chargés du recrutement, et dans chacun des noirs venus exploiter ces clichés en sa faveur." écrit l'auteur qui décrit le processus d'embauche du vigile à Paris. Puis il ajoute ce qu'il appelle "la théorie du PSG" : "A Paris, la concentration élevée de mélanine dans la peau prédispose particulièrement au métier de vigile.", c'est à dire que "tous les vigiles ou presque sont des hommes noirs" et répondent au 3 paramètres que sont "Pigmentation de la peau, Situation sociale et Géographie (PSG)"
- Un regard cocasse sur les clients. L'auteur s'amuse des réactions des clients de différentes nationalités (en tant que vigile chez Sephora sur les Champs Elysées) lorsque sonne le portique de sécurité (sachant que dans 90% des cas c'est un produit payé non démagnétisé). Il finit par définir quelques comportements avec beaucoup d'humour :
- "Le Français regarde dans tous les sens comme pour signifier que quelqu'un d'autre que lui est à l'origine du bruit et qu'il cherche aussi, histoire de collaborer.
- Le Japonais s'arrête net et attend que le vigile vienne vers lui.
- Le Chinois n'entend pas ou feint de ne pas entendre et continue son chemin l'air le plus normal possible.
- Le Français d'origine arabe ou africaine crie au complot ou délit de faciès.
- L'Africain pointe son doigt sur sa poitrine comme pour demander confirmation.
- L'Américain fonce directement vers le vigile, sourire aux lèvres et sac entrouvert.
- L'Allemand fait un pas en arrière pour tester et vérifier le système.
- L'Arabe du Golfe prend un air le plus hautain possible en s'arrêtant.
- Le Brésilien lève les mains en l'air
- Un jour, un homme s'est carrément évanoui. Il n'a pas pu donner sa nationalité."
- Seuls face aux situations de service délicates. Plus d'une fois dans ce livre, l'auteur nous fait partager des situations pour lesquelles il ne semble pas avoir de lignes de conduite. Dans le magasin dont il parle, on n'entre pas en capuche, mais on tolère le voile pour les femmes. Que faire si la femme voilée porte une capuche ? s'interroge-t-il. Autre anecdote : en charge de fermer le rideau de l'entrée à l'heure de la fermeture, il applique en bon soldat une règle sans discernement face à des clients qui le supplient ou le bousculent. Quelle est la conduite à tenir, les mots à employer ?
- Une vision en symétrie. J'avais abordé sur mon blog la vision de Paris par une japonaise "Nââândé, ou Paris vu par les japonais", et j'avais écrit un billet sur "le client premier destructeur d'expérience". Gauz nous apporte un éclairage en symétrie sur les clients asiatiques par exemple. Ce qui me fait dire que, dans les boutiques à la clientèle cosmopolite, les employés tireraient profit des publications comme "Do you speak touriste ?" dont je me suis fait l'écho l'été dernier. Le monde y gagnerait en tolérance et en qualité de service.
- "Le Chinois est toujours habillé comme Dédé ou Henriette du bar des sports" (...)"Le Chinois est toujours dans un groupe" (...) "Le Chinois crie, même pour demander des renseignements au vigile".
- "Le Japonais est souvent seul ou tout au plus en couple" (...) "Le Japonais susurre, surtout pour demander des renseignements au vigile".
- Au delà de l'esprit de service. J'avais trouvé dans un de mes précédents billets, une fiche de poste d'un vigile dans laquelle était précisé comme aptitude : "l’attitude courtoise animée d'un esprit de service envers le visiteur". En lisant le livre, je n'ai pas l'impression qu'un vigile soit particulièrement formé ou incité à faire preuve d'esprit de service. L'auteur qui semble avoir des aptitudes naturelles, n'en dit pas un mot. En revanche, ce qu'on apprend dans ce livre c'est que les occasions de rendre service sont évidemment fréquentes et l'auteur a cette sensibilité qui est certainement à l'origine de son témoignage. Il est parfois le confident de clients perdus, l'amical soutien de clients en difficulté, bref il va bien au delà de ce qu'on lui demande, ce qui me fait dire que cette fonction est sous-exploitée et conduit par obligation à ce que le vigile soit uniquement un cerbère destructeur d'expérience (lire mon billet à ce sujet).
- Un poste d'observation unique. Le vigile, par sa position et sa mission d'observateur est potentiellement lui aussi une source d'amélioration de la qualité de service. Par exemple, il est commun de nos jours que des boutiques de prêt-à-porter proposent lors des soldes des sacs indiquant "SALES" (du nom anglais pour soldes). Gauz nous raconte que des clients français refusent ces sacs du fait des sa signification dans la langue de Molière. Je ne suis pas certain qu'on demande à ces observateurs que sont les vigiles de participer à l'amélioration du service. Ils sont pourtant payés à étudier les clients et doivent être riches d'histoires et "d'insights" très utiles. Gauz nous fait partager ses observations de clients aveugles, handicapés, ses histoires de parents et d'enfants, de personnes âgées qui découvrent le magasin et en font l'expérience.
Pour parler à nouveau de Symétrie des attentions sur ce blog, prendre soin de ses clients, c'est prendre aussi soin de ceux qui en assurent la sécurité. Améliorer l'expérience, c'est donner aux vigiles la mission de dire bonjour, sourire, rendre service. Ce n'est pas incompatible avec le cœur de leur mission qui est une des plus délicates et difficiles dans un point de vente. Je rappelle qu'il y a en France plus de 120.000 agents de sécurité et que les enseignes ont une source d'amélioration de la satisfaction client immense qui leur tend les bras.
Découvrez mes autres billets à propos d'employés au service du client :
- "Moi vivant, vous n'aurez jamais de pauses" (une BD de 2009)
- L'interview d'Anna Sam, l'auteur des "Tribulations d'une caissière"
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