01 mars 2020

IRRITANT : "Quel est votre numéro de chambre ?", quand la gestion l'emporte sur l'expérience client.

C'est le matin, vous avez passé une nuit dans un hôtel, vous vous rendez dans la salle de petit-déjeuner et au moment de votre arrivée, l'employé vous demande "Quel est votre numéro de chambre ?" C'est un des grands irritants du parcours du client dans un hôtel. Pourquoi est-ce un irritant et comment le traiter ? Mes tentatives de réponse dans ce billet...
Pourquoi est-ce un irritant ?
  • Le petit-déjeuner est un moment propice pour l'échange, le premier contact de la journée. Stressé par son déplacement ou détendu par la perspective de prendre le premier repas de ses vacances, les émotions du client sont à leur maximum et les attentes sont plutôt simples : passer un bon moment et être accueilli.
  • Les clients ne comprennent pas pourquoi il faut donner son numéro de chambre, d'autant qu'ils sont habillés comme des clients de l'hôtel, avec leur clé/carte à la main, sans manteau ou valise.
  • On fait sentir au client au propre comme au figuré qu'il n'est qu'un numéro.
  • Trop souvent la formule "quel est votre numéro de chambre ?" tient lieu de "bonjour", j'en ai fait l'expérience récemment. 
  • Pour la plupart des clients, c'est un des trois points de contact humain dans un hôtel, avec l'enregistrement et le départ. Il arrive même que ce soit le seul point de contact, si vous faites votre check-in sur une borne et si vous déposez vos clés (plutôt votre carte désormais) à l'accueil dans une boîte prévue à cet effet. Vous pourriez donc entendre pendant votre séjour six mots de la bouche d'un être humain, six mots désincarnés, automatiques et froids.
  • Plus on monte en gamme, plus cet irritant devient insupportable. Ma dernière expérience de petit déjeuner dans un hôtel 5 étoiles en France était calamiteuse. Un employé assis derrière un comptoir assénait des "what's your room number ?" ou des "votre numéro de chambre ?" selon l'origine présumé des personnes qui descendaient de ascenseur. Ni bonjour, ni sourire. Vous imaginez qu'à la question "Tout s'est bien passé ?" au moment de partir, j'ai raconté cette histoire.
  • Situation extrême : je prends rendez-vous avec un client un matin dans un hôtel 4 étoiles à Versailles pour un petit-déjeuner d'affaires. J'arrive avec mon manteau et ma sacoche et l'employé me dit "quel est votre numéro de chambre ?", sans me saluer et le stylo à la main. Je lui dis que je n'ai pas de chambre et que j'ai rendez-vous ici. Il me dit que le petit-déjeuner est réservé aux personnes qui séjournent dans l'hôtel. J'insiste gentiment en lui faisant remarquer que la salle de petit-déjeuner est vide. Il me dit le mot qui tue : "c'est la règle". Je tourne les talons en affichant un visage mécontent et je vais m’asseoir au bar en fulminant. Un homme ayant des allures de manager vient me voir en me demandant si tout va bien. Je lui fais part de mon insatisfaction et il m'accompagne dans la salle de petit-déjeuner. Quelques secondes plus tard, il recadre son collaborateur sans ménagement devant les clients. Moralité : les règles sont faites pour être appliquées par des personnes dont les managers ont pris soin de les briefer et de leur donner suffisamment d'autonomie pour résoudre les problèmes par eux-mêmes. Je suis plein d'empathie pour le collaborateur mal briefé et maladroit et je me dis que je tiens un sujet pour mon blog (et lui une bonne raison de travailler ailleurs).
  • Ajoutons à cette liste l'irritant maximum, à savoir le fait de séjourner plusieurs nuits dans un hôtel et de s'entendre demander pour la cinquième fois votre numéro de chambre. Preuve que les collaborateurs, en plus d'être peu formés ou briefés, ne sont pas physionomistes.
Comment résoudre cet irritant ?

Un irritant universel
"Quel est votre numéro de chambre ?" est une formule qui s'apparente à d'autres phrases prononcées dans d'autres secteurs et qui remplacent le "bonjour".
Au guichet de la banque : "quel est votre numéro de compte ?"
A la caisse livraison de mon magasin "quel est votre numéro de téléphone ?"
A la caisse de mon magasin "Avez-vous la carte de fidélité ?"
Au téléphone avec votre assureur "quel est votre numéro de client ?"
Dans une boutique d'un opérateur de téléphonie "quel est votre numéro de téléphone ?"
A l'accueil d'une grande entreprise en tant que visiteur "Votre pièce d'identité"
Au contrôle des frontières à l'aéroport face à un policier... Pas de formule. Ni bonjour, ni merci, ni sourire. Bienvenue en France ! (relire mon billet à ce sujet).

Le point des vue des professionnels.
Pour prendre le point du vue du professionnel de l'hôtellerie (sur Tripadvisor j'ai lu beaucoup de réponses d'hôteliers à des clients se plaignant qu'on leur demande leur numéro de chambre), la première raison est de vérifier que vous avez bien payé votre petit-déjeuner ou que le nombre de personnes qui se présentent correspond bien à ce qui a été réservé ou payé (raison financière), la seconde raison est de prévoir le réassort du buffet ou la présence des employés pour le reste du temps dévolu au petit-déjeuner (raison d'organisation).
Le petit-déjeuner est une source de rentabilité essentielle et un service rendu dans la plupart des hôtels, mais son usage est très variable selon les établissements (leur emplacement, leur gamme) et le mode de réservation (seul ou assisté par un site ou une agence en ligne). Ce qui explique que les hôteliers soient si attentifs à ce qu'ils appellent généralement le TCpdj (taux de captage petit-déjeuner), c'est à dire le nombre de repas du matin rapporté au nombre de personnes logées. Un bon TCpdj se situe aux alentours de 90%.

Résoudre l'irritant
Le problème est que cette procédure devient une routine, une tâche sans valeur, effectuée avec ennui par les collaborateurs à qui on a dit qu'il est important de bien capter les numéros et pas d'accueillir les clients.
Cet irritant provient donc d'une cause universelle : on donne la priorité aux procédures et on oublie le client. La gestion l'emporte sur l'expérience. 
Résoudre cet irritant consiste tout d'abord à aider les collaborateurs à prendre conscience de l'état d'esprit du client et de ses attentes : être bien traité dans un moment particulier et fort. La formule la plus importante aux yeux du client est un vibrant et sincère "Bonjour".
J'ai demandé à une de mes collègues à l'Académie du Service, Valérie Bignon qui est une professionnelle de l'hôtellerie et une véritable artiste du bonjour à mes yeux, comment concilier exigence de bonne gestion et réussite de l'accueil.

  1. Tout d'abord, elle rappelle l'importance d'aider les collaborateurs à voir le parcours du client avec les yeux du client, et pour cela on peut s'aider des feedbacks des clients ou des millions d'avis publiés sur les sites d'avis en ligne qui font prendre conscience de ce à quoi les clients sont attentifs. 
  2. Ensuite, avoir un solide management de proximité pour apprendre aux collaborateurs les gestes, la tenue, les postures, les paroles adaptées et cohérentes avec le positionnement de l'hôtel. Quand je dis cohérence avec le positionnement de l'hôtel, je veux parler de design d'expérience, du fait de concevoir un ensemble d'attitudes à adopter dans des moments importants de la vie du client, en ligne avec les attentes du client.
  3. Et enfin, faire preuve de bon sens et de créativité. C'est à dire trouver des formules originales ou adaptées pour briser la routine et transformer une contrainte (le numéro de chambre) en opportunité de contact et pourquoi pas d'enchantement. Par exemple, Valérie me racontait comment dans un de ses hôtels, on utilisait la formule "Bonjour, avez-vous passé une bonne nuit ?", et après la réponse du client lui demander "Et dans quel chambre passe-t-on une si bonne nuit ?".
"Quel est votre numéro de chambre, de client, de contrat, de compte, de téléphone...?" ne doit pas devenir une façon d'accueillir ou de dire bonjour. Les impératifs de gestion ne doivent jamais l'emporter sur la qualité de l'expérience client.
Rappelez-vous que 66% des clients sont susceptibles de changer de marque si celle-ci leur fait sentir qu’ils sont traités comme un numéro plutôt que comme un individu, selon une étude de Salesforce (citée dans mon billet de tendance client "le client sera unique").

900 ème billet signé Thierry Spencer, créateur du blog Sens du client, Customer Experience Storyteller à l'Académie du Service, et auteur du livre Avez-vous le Sens du client ? qui vient de sortir aux Editions KAWA.

1 commentaire:

VALERIE BIGNON a dit…

Merci beaucoup Thierry pour cet article qui a souvent été au centre de nos conversations. cela nous rappelle l'une de tes tendances qui évoque,notamment, le fait que les moments de vérité deviennent des minutes de vérité. L'indice de satisfaction d'un séjour d'une ou plusieurs nuits peut se "jouer" sur une simple question mal formulée à cet instant précis où le client n'attend qu'une chose : être accueilli et passer un bon moment.