10 novembre 2018

Le nouveau portrait du client réclamant

Je me réjouis toujours lorsqu’une nouvelle étude est publiée dans le domaine de la relation client et de l’expérience client. Et je suis d’autant plus heureux que cette étude concerne un de mes sujets favoris : la réclamation.
La réclamation client est le plus grand moment de vérité de la relation client. C’est un peu ce que j'appelle un «moment compte triple» : plus d’enjeux pour le client, plus d’émotions, plus d’attentes… La réclamation est à la relation avec une marque ce qu’un événement grave est à vos relations amicales. C’est dans les moments difficiles qu’on reconnaît ses amis, dit-on. C’est à la suite de l’expression d’une insatisfaction qu’un client sait faire le tri entre les marques qui le considèrent et les autres.
La réclamation est un formidable test de l’orientation client d’une entreprise. La plupart des entreprises qui affirment « mettre le client au cœur de leurs préoccupations », le font vraiment quand tout va bien. La réclamation se traite comme une honteuse poussière balayée sous le tapis de l'image de marque qu'on confie à un service placé le plus loin possible de la direction de l'entreprise.
La gestion de l’insatisfaction en dit long sur les intentions véritables des marques, c’est un marqueur essentiel de l’excellence. Vous ne vous étonnerez pas d’apprendre que la gestion de la réclamation est un des critères du prix Excellence Client créé par l’Académie du Service, IPSOS et Trusteam Finance.
Mais revenons à cette étude réalisée par Qualimétrie en juillet 2018 auprès d’un échantillon représentatif de la population française de plus de 18 ans. Elle a été présentée hier au Club Cultures Services de l'Académie du Service, et le 18 octobre dernier lors d'un petit-déjeuner dont vous pouvez voir la video de synthèse en suivant ce lien.
Pour son étude, Qualimétrie retient une définition de la réclamation qui est la suivante : La réclamation est l'expression d'un mécontentement adressé à un organisme concernant ses produits/services, et de laquelle une réponse ou une solution est attendue par le client.

TOUT LE MONDE RÉCLAME !
En France on dénombre 62 millions de réclamations au cours des 12 derniers mois. Selon Qualimétrie, tout le monde réclame, jeunes ou vieux, hommes ou femmes. On note tout de même une sur-représentation très significative de CSP+ parmi les réclamants (13% pour être exact vs 7% pour les non-réclamants).

UNE FORTE ENVIE DE RÉCLAMER
7 Français sur 10 ont eu envie de manifester leur mécontentement envers une marque, une enseigne ou un organisme dans les 12 derniers mois, soit 2,7 fois en moyenne.

ETAT D’ESPRIT DU RÉCLAMANT
Qualimétrie nous apprend ce qui passe par la tête des Français lorsqu’ils se lancent dans une démarche de réclamation. Les trois plus grosses inquiétudes sont :
  1. Ça va être LONG (35% des réponses)
  2. Je vais devoir me JUSTIFIER (32%)
  3. Ça va être COMPLIQUÉ (29%)
Les suivantes sont :
Je n’obtiendrai pas gain de cause (19%)
Je vais perdre mon sang froid (14%)
Je vais y laisser de l’argent (8%)

Si je résume, les Français ont peur de perdre leur temps, craignent d’avoir face à eux des entreprises qui ne leur font pas confiance et savent à l’avance qu’ils vont devoir faire un effort. Le fait est que je me suis fait la remarque dans mes dernières réclamations : il faut être vraiment très motivé pour exprimer son mécontentement. On ne s'étonnera pas de constater que les Catégories socio-professionnelles sont sur-représentées parmi les réclamants.

PASSAGE A L’ACTE
63% des clients passent à l’acte, ce qui donne 37% de détracteurs silencieux, bombes à retardement de la satisfaction. Ce chiffre vous étonnera certainement car on cite souvent à ce propos l’étude de la société TARP qui nous apprend que seuls moins de 4 % des clients s’estimant insatisfaits ou trompés par leur prestataire prennent la peine de se plaindre. Cette étude souvent citée aura bientôt dix ans et elle prend en compte les réclamations formelles, les "plaintes", transmises par écrit à l’entreprise, alors que Qualimétrie prend en compte toutes les expressions du mécontentement. On pourrait en conclure toutefois que les clients ont de plus en plus de moyens de s'exprimer, ce qui fait fondre cette majorité silencieuse mécontente. Un phénomène dont se désolent certaines entreprises et dont les entreprises gagnantes se réjouissent car elles savent que la réclamation est un cadeau fait par le client à l'entreprise et que le secret est de "transformer un pépin en pépite", comme le dit si justement l'AMARC, l'Association pour le MAnagement de la Réclamation Client dans son fameux slogan.

LES CANAUX DE RÉCLAMATIONS PRÉFÉRÉS
Qualimétrie a pris soin de bien qualifier les réclamations et leurs canaux d’expression en distinguant les entreprises disposant de points d’accueil physiques et les autres.
Lorsque l’entreprise dispose d’un point d’accueil physique, le premier destinataire de la réclamation est l’interlocuteur en face-à-face à hauteur de 36%, suivi du mail ou du formulaire internet (32%), du téléphone et click to call (20%), du courrier (6%) et du Chat ou des réseaux sociaux (7%).
Lorsque l’entreprise est présente uniquement sur Internet, le premier réceptacle est le mail ou le formulaire internet, -évidemment- à hauteur de 62%, suivi du téléphone et du click to call (24%), du courrier (4%) et enfin du Chat et des réseaux sociaux (10%).
Ces résultats me font dire que les entreprises opérant exclusivement en ligne ont une chance inouïe : ils peuvent capter davantage de réclamations que les entreprises « bricks and clicks » (opérant dans le monde réel et sur internet). Les entreprises présentes sur internet ont deux fois moins de réclamations informelles que les entreprises disposant aussi de points d’accueil physiques. Pour faire mon calcul, je compare les réclamations par téléphone et j’ajoute les réclamations en face à face, deux canaux où on n’est pas certain de capter, de traiter et d’historiser le mécontentement.
Ça donne 20% (téléphone)+36% (face à face) = 56% pour l’un vs 24% (téléphone) pour l’autre.

LES RÉSEAUX SOCIAUX
Qualimétrie a fait un zoom sur les réseaux sociaux, sites d’avis et forum comme canal d’expression du mécontentement. Il en ressort que 58% des réclamants se sont déjà manifestés au moins une fois sur les réseaux sociaux et que la motivation pour cette expression est :
  1. Vous êtes IRRITÉ par la manière dont la demande a été traitée 49%
  2. Vous n’êtes PAS SATISFAIT de la solution apportée 45%
  3. Vous êtes SANS RÉPONSE via les autres médias 30%
  4. Vous voulez partager votre expérience, faire du BUZZ 18%
LES MARQUEURS DU PARCOURS DU RÉCLAMANT
Qualimétrie a divisé les réclamations en deux groupes : celles qui se sont bien passées, celles qui se sont mal passées.

  • Premier enseignement : la bonne gestion c’est une gestion courte : 1,8 échanges lorsque « ça s’est bien passé » et 2,8 échanges lorsque « ça s’est mal passé ». On pourra objecter que les réclamations plus complexes nécessitant plus d’échanges ont une plus grande probabilité de mener à une insatisfaction, mais il faut retenir que les échanges qui tendent vers le « once and done » (tout bon du premier coup) génèrent une plus grande satisfaction.
  • Qualimétrie a mesuré le Customer Effort Score (une très bonne idée s’agissant de la réclamation) et il en ressort que plus de la moitié des réclamants mécontents du traitement déclarent avoir fait un effort élevé ou très élevé pour que leur demande soit traitée, soit 3 fois plus que les réclamants jugeant que « ça s’est bien passé ».
  • Parmi ce que Qualimétrie qualifie de marqueur, je ne citerai que cette proposition : "Je suis écouté et compris". Les réclamants ayant connu une issue satisfaisante sont d'accord à 80% avec cette proposition alors 13% des réclamants ayant connu une issue insatisfaisante à leurs yeux sont d'accord avec cette proposition. Un chiffre qui montre à quel point la réclamation est une affaire de respect et de considération du client, deux attitudes de service dont peu d'entreprises sont capables.

AMAZON CHAMPION DE LA GESTION DES RÉCLAMATIONS
Voilà la partie croustillante de l’étude. Qualimétrie a demandé aux Français de citer une marque auprès de qui ils ont réclamé. En tête du classement des marques du côté des réclamations qui se sont bien passées : Amazon, avec 10% de citations spontanées.
Vous voulez savoir pourquoi ? La réponse est assez simple. Reprenez les premiers chiffes de cette étude (cités précédemment) à propos des inquiétudes des Français face à la réclamation. Les 3 premières sont : « Ça va être LONG », « Je vais devoir me JUSTIFIER » et « Ça va être COMPLIQUÉ ». Dans toutes mes expériences, ces 3 inquiétudes sont balayées par Amazon. Qualimétrie a mené des tests mystères sur plusieurs marques, dont il ressort que Amazon répond à un mail en 20 minutes, propose un renvoi immédiat d’un nouveau produit sans justification et expédie en 48h celui-ci avant même le retour du produit défectueux. Dans le test de Qualimétrie la comparaison avec les concurrents est très cruelle et démontre que la supériorité d'Amazon tient non seulement à des moyens mis en oeuvre mais également à une culture très ancrée sur le sujet de la réclamation.
Amazon est l'entreprise qui a le plus fait évoluer les standards de la relation client dans les 20 dernières années, et par voie de conséquences les attentes des clients. Pour vous en convaincre, je vous invite à lire un de mes livres de référence : The best service is no service dont j'ai fait la chronique lors de sa sortie. Vous pouvez aussi relire mon billet L'effrayante orientation client d'Amazon et l'interview de Bill Price, le premier vice-président d'Amazon

843ème billet de Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client, Customer Relationship Storyteller à l'Académie du Service 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Effectivement Amazon est le champion de la réponse aux réclamations, d'une part du fait d'une relation client efficace (mais globalement délocalisée dans des pays à bas coût de main d’œuvre, ce qui permet un délai de réponse bas grâce à des coût de relation faible), d'autre part parce qu'Amazon fait porter les coûts et les risques à l'amont (fournisseurs, prestataires, centres logistiques) dans une relation déséquilibrée d'oligopole.

Peut-on vanter l'efficacité d'un système sans en avoir une vision globale ?