Je me rends il y a quelques semaines dans mon supermarché local et démarre mon parcours de client par un irritant : il y a plusieurs types de chariots à disposition des clients, ce qui a pour conséquence d'empêcher un rangement correct étant donné qu'ils sont incompatibles entre eux. Dans la zone de chariots, les clients se bousculent, s'énervent, attendent, se trompent, rangent n'importe comment... A la caisse livraison, je suis choqué que la caissière parle avec le préparateur devant moi dans une autre langue pendant la durée de la saisie des produits, ce dont je me suis déjà offusqué par le passé auprès d'eux mais je pense ne pas avoir été bien compris.
L'ambiance du service livraison est bonne, les préparateurs chahutent entre eux, crient, jouent, ce dont je ne peux que me réjouir, mais le client n'est pas invité à la fête, il n'est pas considéré. J'ai l'impression d'être transparent, comme un fantôme qui traverse un parc d'attractions.
Lorsque le ticket sort, je constate plusieurs produits portant la lettre A dans la marge et je comprends qu'il s'agit d'annulations de saisie. Je demande à la caissière qui me dit "c'est le scanner, il est trop sensible". "Ce n'est pas plutôt vous qui manquez de concentration ?" lui rétorque-je, un peu irrité.
A la recherche du cahier
Je décide de passer à l'accueil avant de quitter le magasin pour faire part de mes irritants. Je demande à la personne au comptoir le cahier de réclamations ou suggestions.
- "Il n'y en a plus Monsieur".
- "Vous voulez dire, qu'il n'y en a pas en ce moment ?"
- "Ben non, on l'a supprimé"
- "Pourquoi ?"
- 'Parce que les clients disaient toujours la même chose et nous, on n'avait pas les réponses. Ça sert à rien d'avoir un cahier avec toujours les mêmes problèmes. Si vous avez une remarque, il faut écrire. Vous trouverez l'adresse sur le site."
Derrière cette maladresse que je pardonne, je comprends un message qui passe parmi les collaborateurs : pour supprimer les problèmes, on supprime la façon de les collecter. Plus de cahier, plus de problèmes !
Je me souviens d'une époque pas si lointaine ou cette enseigne avait un très beau cahier accordé à son nouveau logo, et comme je suis toujours à l’affût des bonnes pratiques, je n'ai pas manqué d'en faire une photo. C'est celle qui illustre ce billet. J'avais même noté une très bonne pratique de plus à l'époque : le directeur donnait rendez-vous aux clients pour les rencontrer, un peu comme le maire de la commune qui ouvre les portes de son bureau aux concitoyens. Mais ça, c'était avant.
La réponse du Directeur
Revenons à l'histoire : à l'invitation de la personne de l'accueil qui était très peu intéressée par mes réclamations, j'ai cherché la façon de m'exprimer. Sur le site de ce distributeur, j'ai donc rempli le formulaire pour raconter dans le détail mon aventure. 3 jours après, le directeur du supermarché m'a téléphoné (ce qui est une bonne pratique). Puis, ne réussissant pas à me joindre, il m'a envoyé un email (ce qui est une autre bonne pratique), sans fautes (ce qui est un must).
S'agissant de ma remarque sur le cahier, voici sa réponse "Nous n’avons plus de cahier d’échanges sur notre magasin. Dans le cadre d’une centralisation des remarques, des idées, des suggestions, des remontées faites par nos clients, nous invitons notre clientèle à contacter notre service consommateurs. Mon équipe et moi-même restons toutefois à l’écoute de nos clients pour toute observation".
Je n'en veux pas à la caissière ni à la responsable de l'accueil, ni même au directeur. Ils travaillent pour une enseigne qui n'a tout simplement plus la volonté de collecter les sources d’amélioration des produits et des services.
En supprimant le cahier (ou tout autre moyen facile de réclamer), on supprime le symbole de l'écoute aux yeux des collaborateurs et on aboutit à ce qu'ils ne soient plus en posture d'écoute (cf sa réponse "il faut écrire"), on les déresponsabilise, on augmente l'effort pour le client, on le décourage, on fait croître son insatisfaction, on rate la plupart des irritants, on a une vision déformée de l'insatisfaction client, et les petits problèmes faciles à régler deviennent de gros dossiers de contentieux qui remontent au directeur qui perd du temps à les traiter.
L'écoute client dans la grande distribution
Pour donner un peu de perspective à ce billet, je citerais l'étude BVA pour l'AMARC (Association pour le MAnagement de la Réclamation Client), citée par RelationClient magazine :
Avec ce billet irritant, j'observe que le sujet de l'écoute des clients est fragile et semble dépendre dans le cas décrit ici d'une volonté de l'enseigne. Dans le cas de celle-ci (que j'ai choisi de ne pas citer, c'est un peu hypocrite de ma part car on peut reconnaître le logo dans la photo), il y a une forte régression. Cela explique peut-être pourquoi la marque se trouve dans la zone de "status quo" selon la nouvelle étude Change / BVA sur les marques qui améliorent la vie des gens...
Et enfin, je dirais que le cahier de réclamations est inutile si tous les collaborateurs sont prêts à résoudre les problèmes des clients, s'ils sont suffisamment autonomes pour le faire. Mais ça, c'est une autre histoire...
Billet irritant écrit par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service. L'ambiance du service livraison est bonne, les préparateurs chahutent entre eux, crient, jouent, ce dont je ne peux que me réjouir, mais le client n'est pas invité à la fête, il n'est pas considéré. J'ai l'impression d'être transparent, comme un fantôme qui traverse un parc d'attractions.
Lorsque le ticket sort, je constate plusieurs produits portant la lettre A dans la marge et je comprends qu'il s'agit d'annulations de saisie. Je demande à la caissière qui me dit "c'est le scanner, il est trop sensible". "Ce n'est pas plutôt vous qui manquez de concentration ?" lui rétorque-je, un peu irrité.
A la recherche du cahier
Je décide de passer à l'accueil avant de quitter le magasin pour faire part de mes irritants. Je demande à la personne au comptoir le cahier de réclamations ou suggestions.
- "Il n'y en a plus Monsieur".
- "Vous voulez dire, qu'il n'y en a pas en ce moment ?"
- "Ben non, on l'a supprimé"
- "Pourquoi ?"
- 'Parce que les clients disaient toujours la même chose et nous, on n'avait pas les réponses. Ça sert à rien d'avoir un cahier avec toujours les mêmes problèmes. Si vous avez une remarque, il faut écrire. Vous trouverez l'adresse sur le site."
Derrière cette maladresse que je pardonne, je comprends un message qui passe parmi les collaborateurs : pour supprimer les problèmes, on supprime la façon de les collecter. Plus de cahier, plus de problèmes !
Je me souviens d'une époque pas si lointaine ou cette enseigne avait un très beau cahier accordé à son nouveau logo, et comme je suis toujours à l’affût des bonnes pratiques, je n'ai pas manqué d'en faire une photo. C'est celle qui illustre ce billet. J'avais même noté une très bonne pratique de plus à l'époque : le directeur donnait rendez-vous aux clients pour les rencontrer, un peu comme le maire de la commune qui ouvre les portes de son bureau aux concitoyens. Mais ça, c'était avant.
La réponse du Directeur
Revenons à l'histoire : à l'invitation de la personne de l'accueil qui était très peu intéressée par mes réclamations, j'ai cherché la façon de m'exprimer. Sur le site de ce distributeur, j'ai donc rempli le formulaire pour raconter dans le détail mon aventure. 3 jours après, le directeur du supermarché m'a téléphoné (ce qui est une bonne pratique). Puis, ne réussissant pas à me joindre, il m'a envoyé un email (ce qui est une autre bonne pratique), sans fautes (ce qui est un must).
S'agissant de ma remarque sur le cahier, voici sa réponse "Nous n’avons plus de cahier d’échanges sur notre magasin. Dans le cadre d’une centralisation des remarques, des idées, des suggestions, des remontées faites par nos clients, nous invitons notre clientèle à contacter notre service consommateurs. Mon équipe et moi-même restons toutefois à l’écoute de nos clients pour toute observation".
Je n'en veux pas à la caissière ni à la responsable de l'accueil, ni même au directeur. Ils travaillent pour une enseigne qui n'a tout simplement plus la volonté de collecter les sources d’amélioration des produits et des services.
En supprimant le cahier (ou tout autre moyen facile de réclamer), on supprime le symbole de l'écoute aux yeux des collaborateurs et on aboutit à ce qu'ils ne soient plus en posture d'écoute (cf sa réponse "il faut écrire"), on les déresponsabilise, on augmente l'effort pour le client, on le décourage, on fait croître son insatisfaction, on rate la plupart des irritants, on a une vision déformée de l'insatisfaction client, et les petits problèmes faciles à régler deviennent de gros dossiers de contentieux qui remontent au directeur qui perd du temps à les traiter.
L'écoute client dans la grande distribution
Pour donner un peu de perspective à ce billet, je citerais l'étude BVA pour l'AMARC (Association pour le MAnagement de la Réclamation Client), citée par RelationClient magazine :
- Un tiers des Français qui ont déjà vécu une ou plusieurs insatisfactions au cours des 12 derniers mois, n'ont jamais réclamé, ni par oral, ni par écrit (ils ont peu de chance d'être touchés par la disparition du cahier si l'on met ce résultat en parallèle de mon histoire).
- La moitié des clients disent ne pas aimer réclamer et ne pas avoir le temps (même si le cahier existe, ils n'ont pas le temps. Se rendre sur le site internet après ses courses est un gros effort.)
- Entre 70% à 80% se sont déjà sentis découragés et estiment que la réclamation ne sert à rien (c'est mon cas car la réponse du directeur sur les chariots n'est pas satisfaisante et le comportement du personnel en caisse n'a pas changé).
J'ajouterais le chiffre du Baromètre Cultures Services 2015 : seuls 60% des Français pensent, à propos des enseignes de la grande distribution, qu'ils "prêtent une forte attention aux réclamations et avis des clients", un chiffre en dessous de la moyenne des 8 secteurs étudiés, et qui place ce secteur en avant-dernière position, loin derrière le secteur le mieux noté (la restauration, 73%) et à peine au dessus de la Téléphonie et FAI (57%). L'écoute du client est donc un sujet pour le secteur tout entier.
Et enfin, je dirais que le cahier de réclamations est inutile si tous les collaborateurs sont prêts à résoudre les problèmes des clients, s'ils sont suffisamment autonomes pour le faire. Mais ça, c'est une autre histoire...
3 commentaires:
Bref, si tu as de la fièvre, casse le thermomètre ! ... ou mieux ! ... Si tes clients t'embêtent ferme ta boutique ! ;-) ou quand logique de crétin rime avec futur incertain.
Bonjour,
Même genre de surdité sur les sites Web marchands.
Dans la traditionnelle section "Service Client", à côté des habituelles solutions fermées pour résoudre des problèmes élémentaires de paiement ou de livraison, on a du mal à trouver la possibilité de saisir une question ouverte, pour signaler un "irritant" non prévu par les "experts" en marketing et communication de l'entreprise.
Si la question n'est pas prévue, votre problème n'existe pas ...
C'est d'autant plus bête que, dans mon cas, c'est pour suggérer des améliorations.
Et, non, le compte Twitter ou Facebook ne remplace pas, car les modérateurs suppriment les messages de réclamation (ça fait désordre dans la vitrine), au lieu de les faire suivre aux services internes concernés. La "communauté", c'est du pipeau marketing, pas un vrai levier d'amélioration :-(
Bonjour,
Même genre de surdité sur les sites Web marchands.
Dans la traditionnelle section "Service Client", à côté des habituelles solutions fermées pour résoudre des problèmes élémentaires de paiement ou de livraison, on a du mal à trouver la possibilité de saisir une question ouverte, pour signaler un "irritant" non prévu par les "experts" en marketing et communication de l'entreprise.
Si la question n'est pas prévue, votre problème n'existe pas ...
C'est d'autant plus bête que, dans mon cas, c'est pour suggérer des améliorations.
Et, non, le compte Twitter ou Facebook ne remplace pas, car les modérateurs suppriment les messages de réclamation (ça fait désordre dans la vitrine), au lieu de les faire suivre aux services internes concernés. La "communauté", c'est du pipeau marketing, pas un vrai levier d'amélioration :-(
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