La "symétrie des attentions" est un principe qui prétend que la qualité de la relation client doit être égale à la qualité du management. Intéressons-nous au management d'Amazon à la lumière de cette actualité.
Les niveaux d'exigence en croissance
Au nombre de 14, les "Leadership Principles" rendus publics sur le site d'Amazon doivent guider l'action des managers au quotidien. Le New York Times y fait d'ailleurs référence plusieurs fois.
Le premier de ces principes est l'obsession du client (Customer Obsession) et il y est fait beaucoup référence. C'est ce principe qui, appliqué avec soin depuis 1995, donne les résultats qu'on connait. Dans un billet récent à propos d'Amazon, je parlais à ce sujet "d'effrayante orientation client d'Amazon" pour qualifier l'insolente réussite du site américain.
Dans les principes de management suivants, on apprend que les managers doivent "insister" sur les plus hauts standards (N°6) et "embaucher et développer les meilleurs" (N°5). Les managers sont invités à être impliqués et "propriétaires" (N°2 Ownership), inventifs (N°3), avoir un bon jugement (N°4), penser en grand ("Think Big", principe N°7, un grand classique américain) et "creuser profond" (N°12). Un sacré challenge !
Alors que l'on parle aussi de "gagner la confiance" (N°11), il est indiqué qu'il faut faire preuve de courage et d'engagement dans les désaccords : "Have Backbone; Disagree and Commit" (N°13).
Ce principe est on ne peut plus clair sur cet aspect : "Les dirigeants ont des convictions et sont tenaces. Ils ne font pas de compromis par souci de cohésion sociale. Une fois que la décision est prise, ils s'engagent complètement." ("Leaders have conviction and are tenacious. They do not compromise for the sake of social cohesion. Once a decision is determined, they commit wholly."). On comprend au travers de ces principes que le niveau d'exigence est élevé, et c'est un euphémisme ! Pour reprendre le point de vue des défenseurs d'Amazon, on ne construit pas un leader mondial en 20 ans sans convictions et sans courage, une qualité qui manque à bon nombre d'entreprises et de dirigeants qui ne publient pas, qui plus est, leurs principes de management.
On pourra aussi dire que la mise en oeuvre au quotidien et en permanence de ces 14 principes relève de l'exploit à grande échelle. Si ces principes qui vantent le courage, la frugalité (N°9) et la prise de risque (N°8) s'appliquent parfaitement à une startup, qu'en est-il d'une entreprise mondiale de 130.000 collaborateurs ? Les managers savent-ils tous maintenir l'indispensable équilibre entre une exigence sans concession et le plaisir au travail ? Sont-ils incités à se préoccuper de la satisfaction des collaborateurs alors que le turn-over est élevé ? Amazon serait-il entré dans une phase de plus haute exigence sur la qualité de vie au travail ? Après tout l'exigence de qualité demandée pour la relation client devrait être égale à celle -tout aussi légitime- du management, c'est ce qui se révèle en filigrane des témoignages d'amazoniens rapportés par le New York Times. Les cadres prendraient conscience de la nécessité de la symétrie des attentions.
De la transparence au réalisme
Comme nombre d'entreprises nées dans les 30 dernières années, portées par internet, comme mode de commercialisation et outil de communication, la transparence est un impératif absolu. Rappelons qu'Amazon a été le premier site d'e-commerce a publier des avis consommateurs, contre l'avis des marchands et des éditeurs, une initiative de transparence au bénéfice du client. Dans sa plus récente lettre aux actionnaires, il annonçait avoir accueilli 24.000 visiteurs dans ses entrepôts, une possibilité qui vous est offerte en France.
S'agissant du management, on ne compte plus le nombre de livres, d'enquêtes, de reportages sur les coulisses d'Amazon, et ce, encore davantage depuis que le géant du web est venu bousculer des marchés dans chaque pays où il s'est implanté. J'ai lu beaucoup de ces livres et articles, de l'hagiographie du fondateur (Amazon, les secrets de la réussite de Jeff Bezos), jusqu'au livre du journaliste infiltré dans l'usine ("En Amazonie: infiltré dans le "meilleur des mondes"). Amazon ne semble plus avoir de secret.
Amazon assume son organisation du travail qualifié de "tayloriste", son mode de gestion frugal et exigeant (l'impression que m'a donné la visite de leurs bureaux en France, rien à voir avec l'ambiance de fête de sa filiale Zappos aux Etats-Unis, lire mon billet à ce sujet). J'ai l'impression qu'on découvre avec une certaine naïveté que pour livrer un produit en 24 heures chez vous, suivant un achat en un clic, il ne faut pas beaucoup d'efforts. Pour ceux d'entre les lecteurs de ce blog qui travaillez dans la distribution, vous savez de quoi je parle... Je me pose donc en défenseur du réalisme de ce point de vue et reconnaissons à Amazon le fait que rien n'a été caché ou travesti à ce sujet.
A la lecture de la synthèse des témoignages des 100 cols blancs interviewés par le New York Times, on découvre une autre face du management, qualifié de brutal ou peu empathique. Amazon semble traverser une crise de croissance dans son management et les réponses de Jeff Bezos me font penser qu'il ne réalise pas l'incompréhension des lecteurs.
Ces débats constituent un vrai progrès car on sent que les contributeurs n'arrivent pas à faire correspondre dans leur esprit la qualité de la relation client et celle du management. Et du coup, comme pour nombre d'entreprises industrielles, on se sent moins à l'aise en jouissant des bénéfices offerts par l'entreprise. Les baskets fabriqués par des enfants, ma tranche de jambon qui appauvrit les éleveurs de porc, mon tee-shirt fait dans une usine misérable à l'autre bout du monde... Tous les clients voudraient se sentir mieux avec ce qu'ils consomment, et le cynisme économique est une souffrance.
Personne ne pourra dire, à la lecture des principes de management cités plus haut, qu'il n'était pas prévenu. De même, en lisant l'introduction de la plus récente lettre aux actionnaires, Jeff Bezos déclare en introduction : "Une entreprise de rêve offre au moins quatre caractéristiques. Les clients l'aiment, elle peut grandir pour atteindre une grande taille, elle a un fort retour sur investissement et elle est durable dans le temps.".
Au réalisme économique que j'évoquais, va venir s'ajouter celui du réalisme du top management. On ne construit pas une entreprise durable sans un investissement dans la qualité du management. La culture d'Amazon doit certainement évoluer à en croire l'article du New York Times.
La place du leader
On connait les grandes sagas du web et la biographie de leurs créateurs. Nous avions en France les Peugeot et les Michelin de l'ancienne économie, nous avons les Zuckerberg, les Page, les Brin, les Jobs et les Bezos outre-Atlantique. Des entreprises du groupe dénommé GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), on connait les leaders, leur enfance, leurs obsessions, leurs réussites et leurs échecs.
La Symétrie des attentions pose la question de l'exemplarité du manager, et la polémique sur le management d'Amazon devrait nous interroger sur les qualités du leader nécessaires à construire une entreprise profitable pour tous. S'il doit avoir de fortes convictions, un grand courage, des idées innovantes, une ténacité sans faille, la réussite des nouveaux patrons de ces grandes entreprises tendrait à nous faire penser qu'il faut être "colérique" (Steve Jobs), "humiliant" (Larry Page), "plus apte à communiquer avec un microprocesseur qu'avec un être humain" (Mark Zuckerberg)...
Jeff Bezos est un analytique compulsif. Il a choisi son épouse en fonction de critères définis, tout comme le premier produit vendu sur Amazon. La bonne épouse devait être celle qui saurait lui sauver la vie dans un pays étranger s'il lui arrivait quelque chose, le meilleur produit devait avoir un identifiant international, devait être facile à décrire, emballer et transporter. Ce sera donc le livre (deux anecdotes tirées du livre "les secrets de la réussite de Jeff Bezos").
La culture de l'entreprise est largement influencée par l'attitude du leader et Jeff Bezos est un grand calculateur et un remarquable organisateur. Le style de management d'Amazon devrait s'en ressentir.
En appliquant cette logique algorithmique si je puis dire, il a fait graver au panthéon de ses principes "l'obsession du client", partant du principe qu'on pouvait mathématiquement gagner des parts de marché en satisfaisant ses clients sur la planète. La preuve est faite et je ne cache pas mon admiration face à cette réussite très inspirante.
Je souhaite qu'il remette à jour son logiciel afin de le conduire à la résolution de cette nouvelle équation : des employés heureux font des clients satisfaits. Il lui suffit simplement de s'inspirer des principes de sa filiale, Zappos : "Délivrez un service remarquable à tout le monde : clients, employés et fournisseurs" (principe N°10, lire mon billet de 2010 à ce sujet).
Jeff Bezos dirige sans partage et depuis sa création Amazon et son succès l'a conduit au plus haut niveau des entrepreneurs du monde. Comme le rappelle Le Monde dans son édition d'hier, "Le cours de Bourse du groupe n’a jamais été aussi haut et Jeff Bezos est devenu la 5ème personne la plus riche au monde, avec une fortune estimée récemment, dans un classement du magazine Forbes, à 47,8 milliards de dollars.".
A la lecture de la presse sur Amazon et Jeff Bezos ce jours-ci, on pourra méditer sur cette phrase de Winston Churchill, "un grand pouvoir implique de grandes responsabilités" (reprise dans Spiderman, lorsque Ben Parker s'adresse à son neveu et futur super héros, pour les plus américanophiles d'entre vous).
La Symétrie des attentions est un principe développé et une marque déposée par l'Académie du service.
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