Notre langue est riche et elle est le fruit de notre culture, de notre vision du monde. Il y a un rapport entre ce que nous désignons dans le langage et ce que nous pensons, et le domaine des relations commerciales n'y échappe pas. Pour certains, un client est un User, pour d'autres, c'est un patient, un usager, un encarté, un membre, un sportif ou un Pax. A chaque appellation sa vision du monde, et pour ceux qui prétendent comme moi qu'une bonne relation avec ses clients se construit avec la réconciliation des points de vue à l'intérieur d'une organisation (lire mon billet de tendance Le client sera réconcilié), il est intéressant de se pencher sur les façons de nommer un client.
Le qualificatif interne.
L'ENCARTE, le COMPTE, (et même les NON ou les MORIBOND)
En septembre 1998, j'étais Directeur marketing dans une entreprise qui pratiquait les envois de masse aux clients pour leur vendre un abonnement à un magazine. Nous utilisions alors la technique efficace (à l'époque) du Sweepstake (une loterie avec un pré-tirage qui permettait d'annoncer au destinataire qu'il avait peut-être en main le numéro gagnant). Les personnes qui renvoyaient leur bulletin avec un abonnement étaient appelés les "OUI" et ceux qui renvoyaient leur bulletin de participation sans commander étaient appelés les "NON". Dans mon rapport d'étonnement au Président quelques semaines après mon arrivée, je lui disais que je ne pouvais pas appeler une personne qui participait au tirage au sort et prenait soin de mettre son bulletin dans une enveloppe timbrée un "NON".
Jamais dans cette entreprise on ne parlait de clients, on achetait des fichiers d'adresses qu'on transformait en abonnés qu'on revendait aux éditeurs. Notre fichier n'était qu'une suite de noms auxquels ont ajoutait le qualificatif OUI ou NON. Et in fine, j'étais certain que le fait de ne jamais parler de client avait une influence sur de nombreuses décisions.
Je fais référence ici au nom qu'on donne au client en interne, ce qui est souvent très révélateur de la culture de l'entreprise. Avouez qu'utiliser "encarté" pour désigner les membres d'un programme de fidélité, ou "compte", ce n'est pas très valorisant...
Les entreprises qui nomment les segments de leur base de données avec des noms peu flatteurs pour les clients doivent savoir en outre que cette pratique est répréhensible. Alors que j'étais plus jeune (en 1995, il y a prescription) j'avais eu la bonne idée de nommer le segment des clients n'ayant pas acheté depuis deux ans les "moribonds", ce qui m'a valu un avertissement de la CNIL. Cette leçon m'a servi et j'avoue avoir eu honte. Dans mes deux expériences suivantes, comme responsable de projets de CRM, j'ai eu à cœur de nommer les segments de façon explicite et valorisante, ce qui est en outre une bonne pratique lorsqu'on communique aux équipes le fonctionnement d'une base de données. C'est une façon de partager sa vision du monde et témoigner du respect qu'on porte au client.
La vision du métier.
Le SINISTRE, la COURSE, le CHANTIER, l’ENTRÉE, le COUVERT...
La liste est longue et mon ami Christian Barbaray avait lancé en 2009 un challenge sur son blog pour établir la liste de toutes les variations possibles du mot client (repris dans son livre dont j'avais fait la chronique sur mon blog). Un assureur qui considère ses clients comme des sinistres, un chauffeur de taxi qui vous appelle "une course", un professionnel de l'immobilier qui parle de "chantier", un cinéma qui compte ses "entrées", un restaurant qui ne parle que de ses "couverts", autant d'exemples qui illustrent des points de vue de professionnels, souvent le fruit de leur culture et de leur regard singulier. Trop souvent, à ne pas vouloir appeler un chat un chat, c'est à dire un client un client, on perd l'objet de la relation et le sens de l'action. On désincarne et on affaiblit le service qui est rendu.
La façon de traiter un client
Le CONTACT, l'APPEL
On qualifie volontiers les services d'assistance, les services client de "Centres de contact" ou "centres d'appels". Ainsi dans certains de ces centres, on mesure aussi la DMT, durée moyenne de traitement. Traiter des contacts ou des dossiers finit par faire penser qu'on n'a pas de conversations avec des êtres humains, des clients mais des appels avec des numéros de compte, des dossiers à traiter à la chaîne. Cette vision du monde est héritée de la relation client de masse, l'industrialisation du service qui conduit à sa déshumanisation.
L'acronyme.
Le PAX
Par exemple, "Pax" est un acronyme employé par les professionnels du tourisme désignant un passager. Les abréviations ou les acronymes finissent par déshumaniser le client. On remplit son village de vacances ou son avion de Pax et, pour peu que ce Pax soit un mineur non accompagné par exemple, on le qualifiera d'UM. Je me souviens d'avoir pris l'avion un jour, à côté d'un adulte et d'un enfant qui portait autour du cou ses documents d'identification. Une hôtesse s'approche de moi et s'adresse à son collègue en civil assis à côté de moi en lui disant : "Tu t'occupes de l'UM ?" (Unaccompanied Minor, ou mineur non accompagné). Je souris et m'adresse aux deux adultes "Vous êtes des PNC ?" (Personnel Navigant Commercial). Elle me répond "Vous travaillez chez Air France aussi ?".
Cette vision du monde est celle d'ingénieurs, de techniciens qui sont à l'aise avec les acronymes. Si son usage se justifie par des questions d'organisation, si celui-ci est très conforme à la culture de l'entreprise, il conduit selon moi à une façon de traiter les clients comme des numéros de siège ou de réservation et pas comme des individus.
La vision des experts.
Le USER ou le SHOPPER
De nos jours, les techniques de design d'expérience sur des interfaces digitales se nomment UX design. Le U étant User, "utilisateur" en français. J'entends souvent que le User n'a rien à voir avec un client. Si je conçois que les techniques d'UX design sont vraiment spécifiques et répondent à des règles et des connaissances dans le domaine de l'ergonomie, un User est un client. Sinon, on finit par penser les choses pour un utilisateur en oubliant qu'à la fin (dans la plupart des cas) il doit faire une transaction.
Il m'est arrivé d'assister à des conférences ou lire des tribunes d'experts qui prétendent que le shopper n'est pas un client comme les autres (un peu comme le "user"). L'usage d'un terme de ce genre pour qualifier le client qui fait des achats dans un magasin (du "shopping"), montre que les experts qui basent leur méthode ou leur analyse sur un angle original ne peuvent s'empêcher de trouver un terme nouveau pour qualifier notre bon vieux client. Un mot pour une vision du monde...
Le sujet d'étude, le client anonyme.
Le CONSOMMATEUR
"Personne qui achète pour son usage des produits quelconques" nous dit le Larousse. Les anglo-saxons diront Consumer pour consommateur et Customer pour client. Ils utilisent d'ailleurs "Client" pour designer plutôt un client professionnel.
En français, on utilise le mot Consommateur généralement comme un sujet d'étude, comme un client anonyme appartenant à un groupe social, un segment marketing. Ainsi, sur mon paquet de riz Oncle Ben's par exemple (c'est le premier qui me tombe sous la main) je lis, comme sur la plupart des produits de grande consommation vendus dans la grande distribution (vous remarquez que l'adjectif grand nous pousse à avoir un point de vue plus haut, moins proche du client) la formule "Service consommateurs". Alors que sur mon paquet de Boulgour Bio de Monoprix, je lis "Service client". Le Service consommateurs de Monoprix est devenu un Service client en 2012 pour être précis (je le sais pour avoir écrit un billet Irritant et noté ce changement à l'époque), au moment ou le distributeur développait son site de commande en ligne. Ce changement est un symbole : on passe d'un consommateur lointain et anonyme qui pousse son chariot dans un magasin, à un client à qui on offre plusieurs canaux d'interaction et de commande. A mesure que les marques entrent en relation avec les consommateurs, le consommateur se transforme en client...
La vision idéologique et presque philosophique.
L'USAGER et le PATIENT
L'usager fait référence à une personne qui a recours ou utilise un service public. Les défenseurs du Service Public adoptent un point de vue très idéologique, comme dans cet -excellent- document de l'Institut Vaugirard dans lequel on peut lire "Le service public est une forme de promesse faite à l’usager et au citoyen. Promesse d’être un « service » pour chacun des membres de la société et d’être public au sens de ne pas être porté par l’intérêt privé.". Si je comprends le noble point de vue des auteurs (que j'ai la chance de connaître et que je respecte) du document intitulé "Non, l’usager n’est pas un client !", j'y trouve aussi de quoi renforcer mon point de vue personnel : "Le citoyen usager du service public, lui aussi client, importe ses attentes et ses exigences à toutes les formes de service. La frontière entre secteur privé et secteur public, se modifie.".
Ainsi, je me demande si les agents savent que le "sens du service public" est théoriquement plus fort que le "sens du client". Cette promesse plus noble devrait produire théoriquement un service bien supérieur à celui qui est offert dans le secteur privé, non ? Je sens que je vais avoir des problèmes avec certains lecteurs...
Autre sujet idéologique, le client malade. Si vous tapez "Quand le patient devient client" sur Google, vous obtenez une interview de l'auteur du livre "capital santé" sur le site de NPA (nouveau parti anticapitaliste) et une tribune d'un consultant dans le Journal du Net. Les deux points de vue s'opposent à l'extrême : les défenseurs du Service public tiennent à ne pas utiliser le terme client qui serait un véritable gros mot dans un établissement de soins et les autres pensent qu'un patient devrait être traité avec les égards d'un client. Le sens du client ne fait donc pas l'unanimité, et l'usage du mot client traduit une vision du monde qui parfois empêche de rendre un bon service tout simplement.
Le nom lié au concept.
Les MEMBRES, les SOCIÉTAIRES
Il existe des appellations valorisantes pour le "client" et j'en citerais deux. On ne s'étonnera pas du fait que ces noms sont utilisés par des entreprises qui sont souvent citées et récompensées dans les classements de la relation client. Ainsi, chez Nespresso, on parle de membre du club, tout comme chez Vente-privée ou chez Blablacar. Le terme sociétaire qui fait référence au statut de l'entreprise, c'est à dire que chaque client est détenteur d'une part sociale, est utilisé au Crédit Mutuel et à la MAIF, deux entreprises présentes également sur les podiums de la relation client (lire mes billets sur le prix des prix).
Quand on a la chance de travailler dans une entreprise ayant un concept fort ou bien un statut juridique particulier, on le met à profit d'un point de vue marketing. C'est ce que font ces sociétés, et je pense que leur succès tient aussi à leur façon de nommer le client. Dès lors que la vision du client est en phase avec celle des collaborateurs (tout le monde nomme le client de la même façon), on a moins de mal à s'accorder sur ce qu'on veut lui faire vivre, c'est à dire l'expérience client cible.
Le nom unique, signature, fruit du positionnement.
Les FREENAUTES, les GENTILS MEMBRES
Au sommet des appellations se trouvent pour moi les noms donnés aux clients qui sont l'expression unique de leur positionnement ou bien l'héritage de leur passé, indépendamment de leur statut. Au Club Med, les clients sont depuis toujours des GM (gentils membres) et les employés des GO (gentils organisateurs). Chez Free, on dit Freenaute pour désigner les clients, une façon de rappeler le groupe de geeks fans de la première heure de la marque. C'est une chance exceptionnelle que d'avoir un terme unique pour désigner ses clients. On pourrait y ajouter "Habitant" pour Leroy Merlin et "Sportif" pour Decathlon, deux termes qui montrent à quel point ces enseignes sont proches de leurs clients et ont à coeur, au moins en interne, de partager leur vision du monde.
Cela favorise le sentiment pour les collaborateurs d'avoir affaire à une communauté de clients qui partagent un certain nombre d'attentes et de valeurs, et cela peut avoir une influence sur l'expérience du client.
La façon de nommer le client est très représentative de la culture de l'entreprise et de sa vision du monde, et comme disait Camus "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde".
821ème article écrit par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Customer relationship Storyteller à l'Académie du service.
Le qualificatif interne.
L'ENCARTE, le COMPTE, (et même les NON ou les MORIBOND)
En septembre 1998, j'étais Directeur marketing dans une entreprise qui pratiquait les envois de masse aux clients pour leur vendre un abonnement à un magazine. Nous utilisions alors la technique efficace (à l'époque) du Sweepstake (une loterie avec un pré-tirage qui permettait d'annoncer au destinataire qu'il avait peut-être en main le numéro gagnant). Les personnes qui renvoyaient leur bulletin avec un abonnement étaient appelés les "OUI" et ceux qui renvoyaient leur bulletin de participation sans commander étaient appelés les "NON". Dans mon rapport d'étonnement au Président quelques semaines après mon arrivée, je lui disais que je ne pouvais pas appeler une personne qui participait au tirage au sort et prenait soin de mettre son bulletin dans une enveloppe timbrée un "NON".
Jamais dans cette entreprise on ne parlait de clients, on achetait des fichiers d'adresses qu'on transformait en abonnés qu'on revendait aux éditeurs. Notre fichier n'était qu'une suite de noms auxquels ont ajoutait le qualificatif OUI ou NON. Et in fine, j'étais certain que le fait de ne jamais parler de client avait une influence sur de nombreuses décisions.
Je fais référence ici au nom qu'on donne au client en interne, ce qui est souvent très révélateur de la culture de l'entreprise. Avouez qu'utiliser "encarté" pour désigner les membres d'un programme de fidélité, ou "compte", ce n'est pas très valorisant...
Les entreprises qui nomment les segments de leur base de données avec des noms peu flatteurs pour les clients doivent savoir en outre que cette pratique est répréhensible. Alors que j'étais plus jeune (en 1995, il y a prescription) j'avais eu la bonne idée de nommer le segment des clients n'ayant pas acheté depuis deux ans les "moribonds", ce qui m'a valu un avertissement de la CNIL. Cette leçon m'a servi et j'avoue avoir eu honte. Dans mes deux expériences suivantes, comme responsable de projets de CRM, j'ai eu à cœur de nommer les segments de façon explicite et valorisante, ce qui est en outre une bonne pratique lorsqu'on communique aux équipes le fonctionnement d'une base de données. C'est une façon de partager sa vision du monde et témoigner du respect qu'on porte au client.
La vision du métier.
Le SINISTRE, la COURSE, le CHANTIER, l’ENTRÉE, le COUVERT...
La liste est longue et mon ami Christian Barbaray avait lancé en 2009 un challenge sur son blog pour établir la liste de toutes les variations possibles du mot client (repris dans son livre dont j'avais fait la chronique sur mon blog). Un assureur qui considère ses clients comme des sinistres, un chauffeur de taxi qui vous appelle "une course", un professionnel de l'immobilier qui parle de "chantier", un cinéma qui compte ses "entrées", un restaurant qui ne parle que de ses "couverts", autant d'exemples qui illustrent des points de vue de professionnels, souvent le fruit de leur culture et de leur regard singulier. Trop souvent, à ne pas vouloir appeler un chat un chat, c'est à dire un client un client, on perd l'objet de la relation et le sens de l'action. On désincarne et on affaiblit le service qui est rendu.
La façon de traiter un client
Le CONTACT, l'APPEL
On qualifie volontiers les services d'assistance, les services client de "Centres de contact" ou "centres d'appels". Ainsi dans certains de ces centres, on mesure aussi la DMT, durée moyenne de traitement. Traiter des contacts ou des dossiers finit par faire penser qu'on n'a pas de conversations avec des êtres humains, des clients mais des appels avec des numéros de compte, des dossiers à traiter à la chaîne. Cette vision du monde est héritée de la relation client de masse, l'industrialisation du service qui conduit à sa déshumanisation.
L'acronyme.
Le PAX
Par exemple, "Pax" est un acronyme employé par les professionnels du tourisme désignant un passager. Les abréviations ou les acronymes finissent par déshumaniser le client. On remplit son village de vacances ou son avion de Pax et, pour peu que ce Pax soit un mineur non accompagné par exemple, on le qualifiera d'UM. Je me souviens d'avoir pris l'avion un jour, à côté d'un adulte et d'un enfant qui portait autour du cou ses documents d'identification. Une hôtesse s'approche de moi et s'adresse à son collègue en civil assis à côté de moi en lui disant : "Tu t'occupes de l'UM ?" (Unaccompanied Minor, ou mineur non accompagné). Je souris et m'adresse aux deux adultes "Vous êtes des PNC ?" (Personnel Navigant Commercial). Elle me répond "Vous travaillez chez Air France aussi ?".
Cette vision du monde est celle d'ingénieurs, de techniciens qui sont à l'aise avec les acronymes. Si son usage se justifie par des questions d'organisation, si celui-ci est très conforme à la culture de l'entreprise, il conduit selon moi à une façon de traiter les clients comme des numéros de siège ou de réservation et pas comme des individus.
La vision des experts.
Le USER ou le SHOPPER
De nos jours, les techniques de design d'expérience sur des interfaces digitales se nomment UX design. Le U étant User, "utilisateur" en français. J'entends souvent que le User n'a rien à voir avec un client. Si je conçois que les techniques d'UX design sont vraiment spécifiques et répondent à des règles et des connaissances dans le domaine de l'ergonomie, un User est un client. Sinon, on finit par penser les choses pour un utilisateur en oubliant qu'à la fin (dans la plupart des cas) il doit faire une transaction.
Il m'est arrivé d'assister à des conférences ou lire des tribunes d'experts qui prétendent que le shopper n'est pas un client comme les autres (un peu comme le "user"). L'usage d'un terme de ce genre pour qualifier le client qui fait des achats dans un magasin (du "shopping"), montre que les experts qui basent leur méthode ou leur analyse sur un angle original ne peuvent s'empêcher de trouver un terme nouveau pour qualifier notre bon vieux client. Un mot pour une vision du monde...
Le sujet d'étude, le client anonyme.
Le CONSOMMATEUR
"Personne qui achète pour son usage des produits quelconques" nous dit le Larousse. Les anglo-saxons diront Consumer pour consommateur et Customer pour client. Ils utilisent d'ailleurs "Client" pour designer plutôt un client professionnel.
En français, on utilise le mot Consommateur généralement comme un sujet d'étude, comme un client anonyme appartenant à un groupe social, un segment marketing. Ainsi, sur mon paquet de riz Oncle Ben's par exemple (c'est le premier qui me tombe sous la main) je lis, comme sur la plupart des produits de grande consommation vendus dans la grande distribution (vous remarquez que l'adjectif grand nous pousse à avoir un point de vue plus haut, moins proche du client) la formule "Service consommateurs". Alors que sur mon paquet de Boulgour Bio de Monoprix, je lis "Service client". Le Service consommateurs de Monoprix est devenu un Service client en 2012 pour être précis (je le sais pour avoir écrit un billet Irritant et noté ce changement à l'époque), au moment ou le distributeur développait son site de commande en ligne. Ce changement est un symbole : on passe d'un consommateur lointain et anonyme qui pousse son chariot dans un magasin, à un client à qui on offre plusieurs canaux d'interaction et de commande. A mesure que les marques entrent en relation avec les consommateurs, le consommateur se transforme en client...
La vision idéologique et presque philosophique.
L'USAGER et le PATIENT
L'usager fait référence à une personne qui a recours ou utilise un service public. Les défenseurs du Service Public adoptent un point de vue très idéologique, comme dans cet -excellent- document de l'Institut Vaugirard dans lequel on peut lire "Le service public est une forme de promesse faite à l’usager et au citoyen. Promesse d’être un « service » pour chacun des membres de la société et d’être public au sens de ne pas être porté par l’intérêt privé.". Si je comprends le noble point de vue des auteurs (que j'ai la chance de connaître et que je respecte) du document intitulé "Non, l’usager n’est pas un client !", j'y trouve aussi de quoi renforcer mon point de vue personnel : "Le citoyen usager du service public, lui aussi client, importe ses attentes et ses exigences à toutes les formes de service. La frontière entre secteur privé et secteur public, se modifie.".
Ainsi, je me demande si les agents savent que le "sens du service public" est théoriquement plus fort que le "sens du client". Cette promesse plus noble devrait produire théoriquement un service bien supérieur à celui qui est offert dans le secteur privé, non ? Je sens que je vais avoir des problèmes avec certains lecteurs...
Autre sujet idéologique, le client malade. Si vous tapez "Quand le patient devient client" sur Google, vous obtenez une interview de l'auteur du livre "capital santé" sur le site de NPA (nouveau parti anticapitaliste) et une tribune d'un consultant dans le Journal du Net. Les deux points de vue s'opposent à l'extrême : les défenseurs du Service public tiennent à ne pas utiliser le terme client qui serait un véritable gros mot dans un établissement de soins et les autres pensent qu'un patient devrait être traité avec les égards d'un client. Le sens du client ne fait donc pas l'unanimité, et l'usage du mot client traduit une vision du monde qui parfois empêche de rendre un bon service tout simplement.
Le nom lié au concept.
Les MEMBRES, les SOCIÉTAIRES
Il existe des appellations valorisantes pour le "client" et j'en citerais deux. On ne s'étonnera pas du fait que ces noms sont utilisés par des entreprises qui sont souvent citées et récompensées dans les classements de la relation client. Ainsi, chez Nespresso, on parle de membre du club, tout comme chez Vente-privée ou chez Blablacar. Le terme sociétaire qui fait référence au statut de l'entreprise, c'est à dire que chaque client est détenteur d'une part sociale, est utilisé au Crédit Mutuel et à la MAIF, deux entreprises présentes également sur les podiums de la relation client (lire mes billets sur le prix des prix).
Quand on a la chance de travailler dans une entreprise ayant un concept fort ou bien un statut juridique particulier, on le met à profit d'un point de vue marketing. C'est ce que font ces sociétés, et je pense que leur succès tient aussi à leur façon de nommer le client. Dès lors que la vision du client est en phase avec celle des collaborateurs (tout le monde nomme le client de la même façon), on a moins de mal à s'accorder sur ce qu'on veut lui faire vivre, c'est à dire l'expérience client cible.
Le nom unique, signature, fruit du positionnement.
Les FREENAUTES, les GENTILS MEMBRES
Au sommet des appellations se trouvent pour moi les noms donnés aux clients qui sont l'expression unique de leur positionnement ou bien l'héritage de leur passé, indépendamment de leur statut. Au Club Med, les clients sont depuis toujours des GM (gentils membres) et les employés des GO (gentils organisateurs). Chez Free, on dit Freenaute pour désigner les clients, une façon de rappeler le groupe de geeks fans de la première heure de la marque. C'est une chance exceptionnelle que d'avoir un terme unique pour désigner ses clients. On pourrait y ajouter "Habitant" pour Leroy Merlin et "Sportif" pour Decathlon, deux termes qui montrent à quel point ces enseignes sont proches de leurs clients et ont à coeur, au moins en interne, de partager leur vision du monde.
Cela favorise le sentiment pour les collaborateurs d'avoir affaire à une communauté de clients qui partagent un certain nombre d'attentes et de valeurs, et cela peut avoir une influence sur l'expérience du client.
La façon de nommer le client est très représentative de la culture de l'entreprise et de sa vision du monde, et comme disait Camus "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde".
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