06 mai 2018

Les angles morts de l'expérience client

A vrai dire, je ne sais plus très bien comment ça a commencé. Certainement au milieu des années 1990 avec un de mes amis qui se qualifie lui-même de citoyen du monde, arpentant inlassablement pour son travail les contrées les plus reculées de la planète. Nous avons ensemble un certain nombre de rituels et l'un d'entre eux est absurde et difficile à confesser.
Mon ami Patrick m'envoie depuis plus de vingt ans tous les Air-sickness bags (sacs pour mal de l'air) de toutes les compagnies aériennes, même les plus improbables du monde, faisant de moi certainement un des plus grands collectionneurs de la planète -rien de moins-, ce dont je ne suis pas peu fier comme vous pouvez l'imaginer. Je suis toutefois loin de Steve Silberberg qui a créé un musée virtuel du Air-Sickness bag qui recense tous les sachets de la planète.
En recevant mon lot de nouveaux sachets hier par la Poste (dont celui de CR Airways Hong Kong et de KLM), je me suis dit qu'il y avait finalement de quoi transformer cet absurde rituel en leçon pour l'expérience client, ce qui vous intéresse si vous lisez ce blog.
Je m'explique.
L'association internationale du transport aérien, recense plus de 250 compagnies aériennes dans le monde. Elles offrent chacune une expérience client singulière, de la pire (Onuair) à la meilleure (Qatar Airways selon le classement Airhelp).
Mais très peu d'entre elles se soucient du design du sachet, et même de l'expérience client elle-même pour certaines, il est vrai.
Le design de ce sachet est une très bonne illustration du fait que les marques négligent souvent les points de contact les plus obscurs, ce que j'appelle les angles morts de l'expérience client. Par exemple, rares sont les enseignes de distribution qui soignent les messages imprimés sur les tickets de caisse, et pourtant, il s'agit d'un point de contact majeur qui finit dans un portefeuille et sur la table du salon lorsqu'on fait ses comptes. Dans un autre secteur, avez-vous le souvenir d'un couloir de sortie du cinéma qui ne soit pas glauque ? Etes-vous déjà tombé au cours de votre navigation sur le web sur une triste page d'erreur ?

Le sachet pour le mal de l'air, qui sert aussi à collecter les déchets, est un point de contact comme un autre. Le passager s'assoit à sa place, et il n'est pas rare qu'il mette la main dans la pochette pour y trouver un magazine, un menu, les instructions de sécurité et notre fameux sachet.
Deux sachets dans ma collection se détachent des autres (dont l'un ne figure pas dans le Musée de Steve Silbergerg) et ils figurent en illustration de ce billet.
Le sachet de KLM est bleu et il est illustré simplement sur ses deux faces par les fameuses petites maisons en faïence offertes aux clients business de la compagnie. Ces maisons sont le symbole de l'attention que KLM réserve à ses clients, elles constituent aussi un des plus vieux programmes de fidélité du monde, dont j'ai fait le descriptif dans un de mes billets "Applaudissement".
Sous le sac, une simple phrase est imprimée : "Welcome home", au dessus du logo de la compagnie aérienne. Avouez que ce design est malin et tout à fait en ligne avec leur souci d'enchanter le client (cf les campagnes Small acts of kindness et KLM surprise sur Youtube). KLM cultive sa différence sur ce point de contact négligé.
Autre exemple, le sac de Vueling, filiale d'Iberia. Sans faire référence à des éléments particuliers de la marque, car à vrai dire cette marque a très peu d'aspérités, elle propose un design très malin du sac. Une cinquantaine de pictogrammes sont reproduits sur le sac et les passagers sont invités à jouer en reliant les pictogrammes identiques ("Use me if you feel sick or try to find the matching pairs"). Utile pour distraire les enfants, le design de ce sac est une façon très maline d'exploiter ce point de contact délaissé et de mettre un peu de fun dans l'expérience Vueling, qui je l'avoue n'est pas exceptionnelle.

Bien entendu, un sac de mal de l'air, tout comme un joli ticket de caisse, ne font pas une expérience client, mais ils illustrent bien le fait que la plupart du temps, certains points de contact sont méprisés, et pourtant, ils sont susceptibles de toucher presque tous les clients et de véhiculer un message ou prolonger subtilement l'expérience de la marque.

Après cette démonstration, il ne vous reste plus qu'à imaginer les angles morts du parcours de vos clients. Pour cela, rien de tel que de faire vous même l'expérience du client, recenser les points de contact -même les plus insignifiants- et de vous poser la question "Comment faire de ce point de rencontre avec le client un véhicule de ma marque ?". L'étape d'après consiste à faire preuve de connivence avec votre client, et pour ça, je vous invite à relire un de mes billets intitulés "le client sera connivent".

822ème article écrit  par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Customer relationship Storyteller à l'Académie du service. Merci à Patrick pour son amitié fidèle et ses air-sickness bags qui finalement, 25 ans après, me sont utiles.

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