Quatre ans après la mesure précédente (lire mon billet à ce sujet), l’AMARC (Association pour le MAnagement de la Réclamation Client) a souhaité faire un nouvel état des lieux de la gestion des réclamations auprès de 170 adhérents avec la société INIT. Nommée Cartographie sur le papier et radiographie à l’oral, il ne m’en fallait pas plus pour lancer mon visuel et mes métaphores…
Les objectifs affichés de cette étude étaient les suivants :
- Comprendre comment sont gérées les réclamations en France aujourd’hui
- Mesurer les évolutions de pratiques dans la gestion des réclamations depuis 2021
- Identifier les progrès restant à réaliser
Mon analyse de cette radiographie en synthèse
J’enfile ma blouse blanche pour conclure que cette radiographie des services réclamations montre un organisme avec des signes de progrès, mais dont le diagnostic reste contrasté.
Les symptômes sont détectés dans cette analyse de l’AMARC : un manque de mesure douloureux, une sous-analyse inquiétante, et une diffusion encore trop faible des bonnes pratiques au sein de l’organisme. Et pourtant le traitement existe, mais il n’est pas encore administré partout !
La bonne nouvelle, c’est que le patient n’est pas en danger vital : il réagit bien dès que la direction s’implique et que la culture client circule dans tout l’organisme.
Mon ordonnance : une rééducation culturelle dans la durée, un suivi des fonctions auditives, un traitement pour renforcer durablement le capital immunitaire client, histoire de soigner ses insatisfactions avant qu’elles ne deviennent contagieuses.
Les principaux enseignements de l’étude AMARC 2025
- Un progrès sur la définition. 80% entreprises interrogées disposent d’une définition formalisée de ce qu’est une réclamation, 3 points de plus qu’en 2021 et 10 points de plus qu’en 2018, une bonne nouvelle si l’on considère les règles fondamentales défendues par l’association. L’AMARC ne cesse de nous dire depuis sa création que l’étape numéro un est de s’accorder sur une définition de la réclamation. Les 170 entreprises interrogées, membres de l’AMARC semblent appliquer cette règle de base qui met tout le monde d’accord sur l’expression d’insatisfaction du client. Ajoutons que 84% des entreprises diffusent cette définition au-delà des salariés en charge du traitement des réclamations, 8 points de plus qu’en 2021.
- Dans la réalité, tout n’est pas traité. Si l’envoi d’un écrit au service en charge des réclamations est considéré comme une réclamation et donne lieu à une action pour 99% des répondants, c’est moins le cas des expressions suivante :
- Commentaires, avis négatifs sur les réseaux sociaux
- Mauvaise note de satisfaction dans une enquête
- Retour négatif d’une personne lors d’un échange oral
- Verbatim négatif dans une enquête de satisfaction
- La part des réclamants en hausse. 7,4% des clients ont émis une réclamation en 2021, la proportion est de 8,5% pour l’année 2024. Bien sûr cette estimation ne reflète pas la proportion de mécontents. Il faudrait faire un calcul simple pour en connaitre le nombre si on se base sur un (vieux et classique) chiffre de TARP qui dit que 1 client mécontent sur 26 s’exprime (lire mon billet Le 26ème client est le plus important). On apprend dans l’étude parmi les différences significatives, cette proportion est de 7% en moyenne en B2C et 19% en B2B, de quoi me conforter dans mes convictions : dans le milieu professionnel, les clients sont plus exigeants, plus investis et les entreprises plus attentives aux insatisfactions. On apprend aussi que le secteur qui enregistre le plus de réclamations en proportion est l’immobilier avec 17% des clients. Rien d’étonnant quand on considère les investissements financiers et émotionnels qui s’ajoutent à des parcours client souvent plus complexes ou plus longs.
- La grande faiblesse de la mesure de la résolution. A la question « Combien de réclamations en 2024 ont été clôturées dès le 1er contact ? », 70% des entreprises ne savent pas répondre. Cette proportion m’effraie quand je pense que c’est ce qui compte le plus au yeux du client, devant la rapidité et la compétence des interlocuteurs. Saviez-vous que c’est l’obsession d’Amazon ? La résolution au premier contact est une mesure essentielle. Les 30% de répondants mettant en œuvre cette excellente pratique déclarent que 62% des réclamations ont été clôturées au 1er contact. Si le 100% est illusoire (et même impossible dans certains cas, mais rassurez-vous le client le sait…), le progrès passe par la mesure. Lorsqu’on ne sait pas clôturer, il faut donner de la visibilité au client et là, le bât blesse à nouveau car seulement 56% des répondants déclarent informer de l’avancement du traitement, une proportion en léger recul dans cette édition de l’étude de l’AMARC. On pourra se réjouir de lire que 64% des entreprises communiquent systématiquement ou souvent un délai de traitement aux clients (+11 vs 2021). Ces chiffres restent très insuffisants pour assurer une bonne gestion des réclamations dans beaucoup d’entreprises.
- Une bonne et une mauvaise nouvelle sur la sensibilisation, un peu comme la pastèque verte à l’extérieur et rouge à l’intérieur. Si 95% des entreprises ont formé ou sensibilisé les collaborateurs aux réclamations (+5 vs 2021), seulement 39% forment l’ensemble du personnel en contact avec les clients et 11% forment l’ensemble du personnel de l’entreprise. Tiens tiens… cette proportion de 11% me fait penser à la récente étude menée par KPAM sur la culture client qui indique que 11% des entreprises sont très avancées sur la culture client (lire les résultats en suivant ce lien).
- Les pépins de ceux qui les gèrent. Les principales difficultés rencontrées par les entreprises en termes de gestion des ressources humaines dédiées au traitement des réclamations sont (en se basant sur les premières réponses) :
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- Difficulté à trouver des collaborateurs compétents (25% en réponse principale, 47% au global des réponses). Le premier défi est un défi RH pour les responsables de la gestion des réclamations : trouver les bonnes personnes prêtes à lire entre les lignes et manier la langue française avec talent.
- Surcharge de travail (18% en principal et 42% au global), comme un appel à avoir plus de moyens humains pour traiter la matière première la plus noble et la plus utile qui soit en entreprise : la réclamation.
- Manque de reconnaissance du métier au sein de l’entreprise (16%/44%), en écho à la culture client des entreprises. Je pense qu’il n’y a pas de véritable et durable culture client sans culture de la réclamation établie et partagée.
- La réponse aux avis. 82% des personnes interrogées déclarent que leur entreprise répond systématiquement ou souvent aux avis négatifs. J’ai envie de dire : c’est la moindre des choses. Et je dirais même plus : la bonne pratique n’est pas de répondre aux avis négatifs mais à tous les avis. Répondre à un avis positif est un acte de reconnaissance facile et efficace (vous trouverez de bons exemples dans mon dernier livre « Merci »).
- Le dédommagement. 54% des sociétés ont une politique de dédommagement (-3 vs 2021), une faiblesse persistante des entreprises, qui, en plus de ne pas savoir dire « pardon » ou « merci », ne s’accordent pas en interne sur la contrepartie à une insatisfaction. Parmi cette part d’entreprises, les réclamations donnent lieu à un dédommagement en 2024 dans 3 cas sur 10 (en légère baisse).
- L’analyse en berne. 60% des entreprises déclarent réaliser systématiquement une analyse des motifs/causes des réclamations, autrement dit, la voix du client n’est pas une source d’amélioration inscrite dans les pratiques ancrées. C’est un immense gâchis quand on pense que peu de clients mécontents s’expriment, que des sommes faramineuses sont dépensées en recherches et en études pour améliorer la qualité alors que les réclamations n’attendent qu’une analyse sérieuse.
- Diffusion trop restreinte. 45% des entreprises interrogées diffusent le reporting dédié aux réclamations largement au sein de l’entreprise (une proportion stable à +2 points vs 2021), quand elles ont un reporting (soit 89% d’entre elles au global). La diffusion des réclamations est une des 3 bonnes pratiques identifiées dans le Panorama de la culture client.
- Du progrès ! Une bonne nouvelle pour finir cette synthèse : 75% des répondants estiment que la performance du management des réclamations clients s’améliore au sein de leur organisation depuis quelques années. Selon les répondants, le niveau de satisfaction moyen de leurs clients suite à la gestion de leur réclamation est plutôt ou tout à fait satisfaisant à hauteur de 71%
Dans son analyse présentée lors du colloque de l’AMARC, Daniel Ray (Professeur de Marketing, Directeur de l’Institut du Capital Client, Grenoble Ecole de Management), identifiait 4 facteurs clés de succès et affirmait avec justesse que « Tôt ou tard, nous devrons traiter (mieux que nos concurrents) les insatisfactions de nos clients : c’est inéluctable ! » :
- Démontrer (via des chiffres) à sa direction que le pépin peut devenir une pépite
- Développer une véritable culture réclamation en interne (perte vs. opportunité)
- Elargir la vision de la réclamation :
- Largeur : collecter toutes les insatisfactions pour pouvoir les traiter
- Profondeur : tous les collaborateurs sont concernés (diffusion des informations , formation…)
- Un challenge : arriver à mieux capitaliser sur les réclamations
Retrouvez la cartographie/radiographie des services client sur l’espace membre de l’AMARC.
Relisez mon précédent billet sur la cartographie 2021, pour laquelle j’avais fait un parallèle avec Le Seigneur des anneaux.
Et pour les fans d’archéologie, relisez mon billet de 2011.
1182ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, consultant et co-fondateur de KPAM Next, auteur du récent livre « Merci, petites et grandes histoires de l’expression de la gratitude ».