08 juillet 2023

Le classico de l'expérience client : Taxis vs VTC.


Alors que nous allons accueillir des touristes du monde entier à l'occasion de la Coupe du monde de rugby et des Jeux Olympiques, c'est le moment de se pencher sur une expérience qui concentre depuis toujours les critiques et qui incarne les bouleversements de l'expérience comme ceux des changements de modèle économique : le transport de particuliers.

Souvenez-vous, c'était il n'y a pas si longtemps que ça... En déplacement à Paris en 2009 pour assister au salon LeWeb, Garrett Camp, Travis Kalanick et Oscar Salazar vivent un irritant majeur de l'époque : trouver un taxi disponible. De retour à San Francisco, ils vivent la même expérience et décident de monter un service de chauffeurs privés à la demande qu'ils nomment UberCAb. Deux ans plus tard, après une levée de fonds de 32 millions de dollars (une modeste mise de départ avant les milliards qui suivront), ils annoncent leur développement international et s'installent à Paris. La grande aventure commence. En 2023, Uber revendique 24 millions de trajets par jour dans 70 pays, en croissance de 19% sur le premier trimestre. Pas mal pour un business né d'un irritant client !

Dans l'actualité, le 13 juillet prochain, l'Etat de Californie devrait se prononcer sur l'autorisation de circulation 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 des taxis autonomes sans chauffeur selon le Washington Post. Les sociétés Waymo et Cruise opèrent déjà dans des plages horaires et des zones limitées dans plusieurs villes et font de celles-ci des zones d'expérimentation qui ne plaisent pas à tout le monde...

Nouveaux opérateurs, nouvelles expériences, nouveaux standards, nouveau match... 

Mon billet s'intéresse uniquement à ce que je nomme le classico de l'expérience client : les taxis contre les VTC, un match bien français. 

Pourquoi le classico ? Le "Classico" désigne les rencontres sportives devenues classiques, tels les matchs de football OM contre PSG en France, ou Real Madrid vs FC Barcelone en Espagne. On les nomme ainsi pour la force de la rivalité entre les adversaires. Les Taxis contre les VTC est un véritable classico de l'expérience client. Depuis l'arrivée des nouveaux venus, à savoir les VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur), cette concurrence se fait chaque jour plus intense. Il n'est pas rare qu'on évoque les deux modes de transport en les comparant sur le thème de l'expérience.

Taxis vs VTC : le match

Passons en revue les critères de ce classico de l'expérience client et l'évolution des standards de l'expérience client :

Réservation : les applications mobiles permettent de réserver un VTC facilement et rapidement. Les passagers peuvent suivre en temps réel l'arrivée du chauffeur, ce qu'offrent les grandes compagnies de taxi désormais. Beaucoup de taxis traditionnels sont encore à la réservation par téléphone, avec tous les irritants qui y sont attachés (temps d'attente, absence de confirmation,...) mais avec l'avantage de la relation humaine. Notons que sur l'Apple Store par exemple, l'application Uber obtient une note de 4,8 sur 5 et G7 4,7. Autant dire que la grande compagnie française est au niveau de son concurrent emblématique américain sur les outils digitaux.

Disponibilité : en plus d'être disponibles sans réservation, les taxis peuvent être plus facilement disponibles dans certaines zones, en particulier dans les grandes villes ou dans les zones moins bien desservies par les services de VTC. Les articles de presse sur le sujet ou les comparaisons oublient souvent le maillage territorial (Uber est présent dans 24 villes de France). Le marché français des VTC est concentré à plus de 70 % en région parisienne et en Île de France. Selon les dernières études du gouvernement, l’activité reste dominée par les taxis qui représentent 58% de l’offre de transport public particulier de personnes, alors que le nombre de véhicules inscrits au registre des VTC continue de progresser de manière importante. En valeur absolue, on peut retenir qu'il y a environ un peu moins de 60 000 taxis en France et un peu plus de 40 000 VTC.
Sur le sujet de la disponibilité, on peut rappeler que l'obligation d'être équipé d'un "lumineux" pour un taxi date de juillet 2017. Ce n'est que depuis 6 ans que vous pouvez savoir facilement en regardant un taxi s'il est disponible (lumière de toit verte) ou occupé (lumière rouge). 
Autre expérience récente et innovation au bénéfice du client : depuis décembre 2021, l’ensemble des taxis de France a l’obligation de se connecter au registre de disponibilité des taxis, dit « Le.taxi ». Le client peut désormais héler depuis son smartphone un taxi à moins de 500 mètres via une application de mobilité.
Et enfin, je pourrais citer un irritant majeur des VTC : les chauffeurs étant inscrits sur plusieurs plateformes, certains arbitrent en fonction de la course la plus rémunératrice dans les zones et les moments où les tarifs sont les plus élevés (le matin à 9h dans l'ouest de Paris par exemple). C'est mon dernier irritant personnel, celui qui m'a fait faire un signalement et une réclamation carabinée.

Prix : les tarifs des VTC peuvent être très compétitifs par rapport aux taxis traditionnels dans certaines situations. De plus, les applications de réservation de VTC offrent souvent une estimation du coût du trajet avant la réservation, permettant ainsi aux passagers d'avoir une idée claire du prix à payer. Mauvais point pour les VTC, selon une étude de 2020 : (les clients) "ont souvent l’impression d’être « arnaqués » par un système qui tire parti de l’évolution de la demande ou des conditions de circulation et qui ne tient compte des « erreurs » de calcul de prix qu’a posteriori après une demande auprès du service clients." L'arrivée des VTC en France a aussi accéléré le mouvement de la régulation de certaines courses pour les taxis : le "forfait aéroport" (qui plafonne la course vers les aéroports depuis la capitale) a été mis en place le 1er mars 2016. 

Confort : Les VTC peuvent offrir des véhicules de qualité supérieure, souvent plus récents et mieux entretenus que certains taxis. Certains services de VTC proposent même des catégories de véhicules haut de gamme, offrant un confort accru. Wheely par exemple, ne propose que des Mercedes, et Caocao propose l'option "Elegance" avec des véhicules LEVC-TX, aux allures de taxis londoniens, équipés d’une rampe d’accès et d’un marchepied permettant un accès facile pour les personnes à mobilité réduite. 

Sécurité : les taxis professionnels sont réglementés par des autorités locales et doivent respecter des normes de sécurité et de service spécifiques. Les chauffeurs de taxi doivent généralement obtenir une licence, ce qui peut être perçu comme une garantie de professionnalisme et de sécurité pour les passagers. Cependant, les applications mobile de VTC ou de Taxis offrent des sécurités, telles que la trace de la réservation, l'identification du chauffeur et le suivi du trajet en direct. Sur le sujet de la sécurité à bord, les VTC souffrent d'une image dégradée. La preuve : Uber vient d'annoncer il y a quelques jours un investissement de 500.000 euros pour aider les chauffeurs à équiper leur véhicule de caméra embarquée.  Objectif : rassurer les clients et les clientes. Cette fonctionnalité financée par Uber est plébiscitée par 80% des chauffeurs selon un sondage interne. 

Connaissance locale : les chauffeurs de taxi peuvent avoir une meilleure connaissance de la région et des itinéraires alternatifs. Cela peut être avantageux pour les passagers qui cherchent à éviter les embouteillages ou à trouver le chemin le plus rapide vers leur destination. Vous me direz que Waze est souvent plus fiable qu'un humain pour trouver la route... En termes d'expérience, un chauffeur de taxi expérimenté connait au moins l'endroit où vous vous rendez et ne vous fait pas répéter plusieurs fois le nom de votre rue.

Ecoute client. Révolution majeure des VTC : le fait de pouvoir noter le chauffeur ou la course. Avec cette fonctionnalité, la voix du client se fait plus forte, le client est plus présent et son avis compte. Adieu le courrier à la Préfecture de Police pour se plaindre, bonjour les 5 étoiles sur l'application en dix secondes ! Mais ce système ne s'est pas arrêté à l'expression du client. Certaines compagnies (Uber, FreeNow et Bolt) proposent aux chauffeurs de noter le client. Leur note, pour citer un article de BFM TV, est de 4,78 sur 5 pour Uber. Ce système conduit a des situations peu vertueuses pour les deux parties comme le soulignait au mois de mai dernier Brahim Ben Ali, secrétaire général de l’intersyndicale nationale des VTC : "Le système de notation est répressif d’un côté comme de l’autre. Quand un chauffeur a une mauvaise note, il a moins de courses. Quand un passager a une mauvaise note, il va plus attendre car les chauffeurs voudront moins le prendre. C’est mensonger de dire que ça n’a aucune incidence".

Services à bord : l'arrivée des VTC a indéniablement fait évoluer les standards de service à bord. Ce qu'on connaissait autrefois comme des services réservés aux abonnés ou aux VIP est désormais assez répandu. 

  • Le paiement de la course se fait désormais via une application et l'obligation d'accepter la carte bancaire date de 2018 (soit 7 ans après l'arrivée d'Uber en France). Vous n'entendrez la phrase "la machine est en panne" que dans un taxi. 
  • Wi-Fi et chargeurs : de nombreux VTC et taxis offrent maintenant un accès Wi-Fi gratuit à bord du véhicule, ainsi que des ports USB ou des chargeurs pour permettre aux passagers de recharger leurs appareils électroniques pendant le trajet.
  • Musique : certains chauffeurs de VTC ou de taxis peuvent également proposer une sélection de musique ou de stations de radio aux passagers. Vous n'êtes donc pas obligés d'écouter les grosses têtes de RTL. Les expériences sont aussi diverses que les stations et les goûts des chauffeurs. Dans les véhicules Uber, la radio la plus demandée par les clients est SkyRock et dans l'étude Harris de 2021, on apprend que 58% des clients choisissent la station de radio.
  • Climatisation : la plupart des véhicules de VTC et de taxis sont équipés de climatisation et il est de bon ton de demander si la température convient au passager. Rien de bien neuf dans ce service de bon sens et de respect pour le client.
  • Rafraîchissements et friandises : certains VTC ou taxis peuvent offrir des bouteilles d'eau, des rafraîchissements ou encore des bonbons aux passagers. Cela peut varier en fonction de l'entreprise ou de la catégorie de service choisie.
  • Lecture et divertissement : on a tous trouvé un vieux Paris Match ou le Parisien de la semaine passé dans la pochette arrière. Le Covid est passé par là et la source semble se tarir à bord des véhicules. On est loin des écrans à l'arrière des taxis new yorkais...

Comportement : sujet sensible pour lequel je commencerais en citant un travail de recherche (publié par The Conversation en 2020) qui nous apprend que "Les clients ont tendance à juger l’entreprise de VTC globalement fiable s’ils vivent une bonne expérience avec le chauffeur lors de leur course." 
Il est bon de rappeler que l'expérience dans un véhicule est exceptionnel dans le sens ou l'on partage un espace réduit pendant un temps limité avec un inconnu. C'est une expérience humaine dans des conditions souvent stressantes (arriver à destination à l'heure convenue pour un rendez-vous, pour prendre son train ou son avion). Au Japon, on en a parfaitement conscience et la culture du pays a fait du trajet en taxi un modèle d'expérience (relire mon billet sur les aventures d'une japonaise à Paris).
Revenons en France où le fort développement des VTC a eu comme conséquence mécanique l'arrivée au volant des véhicules de personnes n'ayant pas toujours les codes de politesse élémentaires. Le sommet ayant été atteint lorsque UberPop a autorisé les chauffeurs amateurs à transporter des clients dans leur voiture personnelle (un service interdit en France depuis 2017). 
Plus de 76% des chauffeurs Uber, pour citer l'étude d'Harris interactive de 2021 déclarent que le métier de chauffeur leur a permis de renforcer les attitudes de respect, de rigueur et de politesse. Ils sont même 87% à déclarer que Uber leur a apporté "le goût de la relation client".
Ce qu'on observe en tant que client, c'est que le lancement flamboyant des VTC en France a laissé place aujourd'hui a une qualité qui se dégrade du fait de la forte croissance et de l'arrivée sur le marché de chauffeurs moins motivés par le service que par un gagne-pain abordable. Souvenez-vous, le premier logo de Chauffeur privé était une cravate, symbole de la tenue. Chauffeur privé est devenu Kapten pour se nommer aujourd'hui Free Now. On oublie la cravate, place au survêtement à capuche (un des motifs d'une de mes réclamations personnelles).
Abordons le sujet d'un point de vue plus positif. On apprend dans une étude réalisée en 2021 (par Harris interactive pour Uber) que "pouvoir travailler au contact des clients" est la 4ème motivation des chauffeurs Uber avec 33% de réponse (vs 16% en 2016). Ce n'est pas la première motivation, mais elle est en progression.
L'arrivée des VTC a eu l'effet naturel de la concurrence : la montée des standards et la compétition sur le niveau de service. Une concurrence plus forte crée des tensions sur le thème de la qualité de service et Yann Ricordel, directeur général délégué des Taxis G7 déclarait à la Croix en 2021 : "certains voudraient supprimer des épreuves des examens d’entrée dans la profession de taxi comme la gestion ou le français.", illustrant le reflexe naturel d'un marché attaqué par le prix et une offre plus importante de baisser le niveau de service. Il ajoutait : "Face aux VTC, la qualité de service des taxis est devenue premium : que ce soit dans l’accueil, le confort ou la propreté des véhicules. D’ailleurs, avec cette émulation, nous nous apercevons aujourd’hui que nous avons gardé les meilleurs chauffeurs." 
Autres thèmes du comportement : le fait de parler quelques mots en langue étrangère, l'assistance du chauffeur qui va vous ouvrir les portes, mettre votre bagage dans le coffre, vous aider à monter si vous avez des difficultés à vous déplacer,... Les plus anciens et les meilleurs taxis vous diront qu'ils le font naturellement et c'est souvent exact. Les plus réticents savent désormais qu'ils pourraient être jugés sur ces critères. Sur ce sujet, vous pouvez relire mon billet de 2014 intitulé "Courtoisie et bonnes manières des taxis parisiens".

Les enseignements du classico

Les deux acteurs du marché du transport de particuliers, les taxis et les VTC, sont les acteurs du classico de l'expérience dont l'arbitre est le client. Leur évolution depuis près de quinze ans est une belle illustration de ce qui se joue entre les acteurs sur tous les marchés concurrentiels. 

  • Les acteurs traditionnels ne voient pas arriver les nouveaux standards de l'expérience, comme les taxis très occupés à se battre contre leur nouvel ennemi plutôt que d'améliorer l'expérience des passagers (On retrouve ce même discours chez les libraires face à Amazon par exemple). En prenant du recul aujourd'hui, on voit que les standards ont évolué, de la réservation digitale aux services à bord, jusqu'au comportement. L'effet est évident pour les clients.
  • Les leaders mettent trop de temps à se mettre à niveau, en pensant que les nouveaux entrants resteront modestes et inoffensifs. C'est oublier l'effet produit sur le client qui va poursuivre sa "collection d'expérience", pour reprendre un de mes thèmes favoris. Le client collectionne les expériences, favorise celles qui lui procurent la plus grande satisfaction et voit en conséquence son niveau d'attente évoluer. C'est naturel, c'est mécanique. Les taxis ont beau vous dire qu'ils se sont endettés pour payer leur licence et que les VTC sont de mauvais concurrents, vous voulez un bonbon et votre bouteille d'eau en écoutant FIP pour le même tarif. C'est cruel, c'est légitime.
  • Les collaborateurs ne sont pas sensibilisés aux nouveaux standards. Combien de taxis ont réservé un VTC, fait l'expérience de l'application, sont montés à bord pour vivre l'expérience offerte par leur nouveau concurrent ? C'est l'image des collaborateurs d'une entreprise qui ne sont pas incités à s'ouvrir aux nouvelles pratiques, comparer les expériences, faire des comparaisons, collecter les bonnes idées. Je reconnais que les taxis ont été secoués par l'arrivée de concurrents sans scrupules et qu'ils ont du consacrer du temps et de l'énergie à participer à la régulation du marché. Cependant, cet épisode doit apprendre à toutes les entreprises à rester en éveil et maintenir un niveau d'orientation client élevé en leur sein.
1071ème billet du blog Sens du client, rédigé par Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client et co-fondateur de KPAM Next. Dédicace à mon ami Damien Nuyttens avec qui j'échange depuis de nombreuses années sur le sujet traité dans ce billet.

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