Expérience client : la perfection est-elle de ce monde ?
Prétendre qu’on doit être parfait, erreur fatale.
Dans les discours des dirigeants, dans le design d’expérience, dans les formations, dans les standards opérationnels des entreprises et ses process, on prétend souvent que l’expérience doit être parfaite, sans couture, omnicanale, fluide, enchanteresse et autres qualificatifs dont nous autres consultants et blogueurs raffolons. Cet impératif perfectionniste démotive les collaborateurs, les frustre et les éloigne de la marque qu’ils représentent dans la mesure où ils sentent une distance entre ceux qui dirigent et conçoivent l’expérience et ce qu’ils vivent au quotidien.
De même, vouloir faire plaisir à tout le monde est une façon certaine d’échouer. L’entreprise doit faire des choix, aligner ses preuves à ses promesses, affirmer son ambition de satisfaire et documenter les moyens d’y arriver.
« C’est une perfection de n’aspirer point à être parfait » disait l’écrivain français Fénelon.
Dans mon expérience personnelle récente, on observe que la conseillère en boutique a été capable de résoudre le problème créé par sa collègue, mais ce cas de figure n’a pas été pensé. C’est bien la preuve que pour des entreprises opérant des expériences complexes (c’est le cas des fournisseurs d’accès à internet), on ne peut pas prétendre être parfait ni imaginer les milliers de cas de figure et combinaisons de problèmes. Dans le design d’expérience, il faut penser dès le départ aux meilleurs moments de l’expérience pour le client mais aussi aux moments les plus douloureux. Dans les formations, il faut aider les collaborateurs à faire face aux situations difficiles. Dans le management de proximité, il faut privilégier le coaching attentif, la capacité à débriefer et encourager l’initiative face à l’inconnu. Dans l’amélioration continue, il faut permettre aux collaborateurs de signaler les dysfonctionnements et de participer à leur résolution.
Faire augmenter artificiellement les attentes, un classique de la communication de marque
C’est le sport favori de publicitaires ou de marketers très mal inspirés qui négligent le poids des slogans publicitaires sur les clients. Dans un de mes billets passés, je faisais la liste des marques ou enseignes ayant adopté la formule « Bien plus que… ». Souvenez-vous de « la Banque Postale, bien plus qu’une banque », « Ford Focus, bien plus qu’une voiture » ou encore mieux, « SeaFrance, bien plus que traverser la Manche ». On pourrait citer aussi les anciens slogans de Groupama « Toujours là pour moi » ou Mercedes « The best or nothing ». Si je ne nie pas la force de la publicité et sa capacité à inspirer, faire rêver, je suis franchement désespéré à la lecture de ces slogans ou à la découverte d’une nouvelle campagne de communication qui ne fait qu’embarrasser les collaborateurs, augmenter les attentes et prétendre produire une expérience très au-dessus de la réalité et surtout de ce que l’entreprise peut produire. Ce problème est d’autant plus sensible que les clients sont de plus en plus sensibles aux promesses et aux preuves. Ils s’expriment en public davantage (sur les réseaux sociaux et sur les sites d’avis en particulier), ils sont invités à donner leur point de vue, à être encore plus attentifs. Par ailleurs, les attentes du client ne cessent d’augmenter, en ce qu’ils sont devenus des collectionneurs d’expérience, pour reprendre ma formule favorite extraite de mon exercice de tendances client.
Considérer que le zéro défaut existe dans le service
Parce que le plus souvent elles manufacturent en usine des produits qui visent naturellement et atteignent souvent le zéro défaut, certaines entreprises considèrent qu’il en est de même avec leur service. Nous sommes ici dans une question de culture d’entreprise.
La notoriété de la marque, son image, son aura, sa part de marché, sa rentabilité aveuglent des dirigeants qui se pensent infaillibles et parfaits en tous points. Ils oublient que le service est fait d’aléas. Un camion tombe en panne, les collaborateurs sont malades, en retard, les routes sont encombrées, la météo est capricieuse, le système informatique est inopérant, la conseillère coche la mauvaise case… Chaque jour apporte son lot de surprises et d’imperfections impossibles à prévoir. L’enjeu pour les entreprises est d’abord un enjeu culturel. La culture étant un ensemble de croyances partagées au sein de l’entreprise, elle doit évoluer vers davantage d’humilité.
Admettre ses imperfections, reconnaitre sa faillibilité est donc la première étape, la condition de départ. « Celui qui reconnait consciemment ses limites est le plus proche de la perfection » disait Goethe. A ce sujet, les entreprises ne sont pas égales entre elles. Leur modèle économique les éloigne du client final et leur cache les imperfections, les failles de l’expérience. Ainsi, Apple comme Nespresso, deux entreprises souvent citées pour la qualité de leur expérience, sont confrontées à l’imperfection (ce qui avait le don d’irriter Steve Jobs). Non pas l’imperfection de leur capsules ni de leur terminal, mais l’imperfection des Genius chez Apple ou celle des Spécialistes café chez Nespresso, la faillibilité de la livraison, du point de vente, du service après-vente… Elles ont fait toutes les deux l’expérience de l’humilité. On pourrait aussi évoquer Picard, Decathlon ou encore Nike qui sont producteurs et commerçants et qui font chaque jour à des degrés divers, l’expérience de la perfection du produit et de l’imperfection du service.
La perfection est relative
Une expérience parfaite est une expérience qui est devenue tout ce qu’elle devait être aux yeux du client. Un client dira que son expérience est parfaite quand il aura jugé que celle-ci a tous les attributs attendus, lorsque la perception qu’il a de l’expérience est en ligne avec ses attentes, lesquelles sont extrêmement mouvantes pour des raisons extérieures à l’entreprise. Il est donc essentiel que tous les collaborateurs (y compris ceux qui imaginent les slogans) soient au fait des attentes, nourries par les promesses et satisfaites par les preuves.
Si l’expérience ne peut pas être parfaite, elle doit être au moins satisfaisante et viser l’excellence.
Cette ambition passe tout d’abord par la prise de conscience qu’on ne peut pas tout prévoir, mais qu’on peut tout rattraper. Mon expérience personnelle le prouve. Pour une simple demande initiale (remplacer mon décodeur), j’ai fait face à plusieurs problèmes qui ont tous été résolus. Cette résolution et donc cette satisfaction est rendue possible par le fait que au moins deux personnes parmi mes interlocuteurs ont fait preuve d’agilité, de souplesse. Ils se sont autorisés à le faire, ils ont même été peut-être soutenus par leur manager qui leur accorde le droit à l’erreur, l’initiative possible pour satisfaire un client.
La recherche de l’expérience client parfaite, la « quête du geste parfait » (pour reprendre l’ancien slogan de Nespresso qui était aussi un positionnement de marque employeur) est un chemin, une ambition permanente de s’améliorer. Dans l’histoire que je raconte en introduction de ce billet, il manque cette touche essentielle : comment Orange va savoir qu’il faut rappeler à la sympathique opératrice malgache de faire attention à la fameuse case à cocher sur laquelle elle a fait une erreur ? Comment la conseillère en boutique va prendre conscience de ma satisfaction réelle si elle ne connait que ma note de satisfaction en boutique ? Comment sera-t-elle motivée à documenter cette faille pour éviter qu’elle ne se reproduise ?
J’adore les citations et je ne vais pas manquer de vous en livrer une dernière, signée Léonard de Vinci dont les défauts de son œuvre emblématique font le charme (je veux parler de la Joconde) : « Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail ».
