10 septembre 2016

Libraires et taxis face aux nouveaux standards de l'expérience client

Taxis et libraires face à l'expérience client
L'expérience client est en mouvement et ses nouveaux standards affectent des professions de plein fouet. Au premier rang des métiers impactés depuis quelques années : les libraires et les chauffeurs de taxi, deux exemples qui devraient alerter tous les professionnels.
Les taxis obsédés par leur concurrence
Au mois de juin dernier, Harris Interactive et la FFTPR révélaient que 69% des Français avaient une bonne image des VTC, contre 54% d'entre eux pour les taxis. Appelés à évaluer la qualité du service, les utilisateurs de VTC sont 91% à se dire satisfaits, contre 75% des utilisateurs de taxis. 7% des utilisateurs de VTC affichent leur insatisfaction, contre 24% des utilisateurs de taxis.
Depuis l'arrivée d'Uber en France et le développement des sociétés de VTC (voiture de transport avec chauffeur) telle que Chauffeur-privé, les clients ont fait de nouvelles expériences à bord d'un véhicule. Cette expérience se compose, selon les sociétés et les chauffeurs, des attributs suivants :
- Localiser son véhicule, le réserver en un instant, connaître à l'avance le prix de la course, ne pas payer à bord et recevoir le ticket par mail.
- Un chauffeur aimable, en cravate qui sort du véhicule pour vous ouvrir la porte, mettre les bagages dans le coffre.
- Une expérience à bord enrichie avec une bouteille d'eau, des bonbons, des journaux, de quoi recharger votre mobile, le choix de la station de radio et le réglage de la température selon vos désirs.
- La possibilité de faire part de son insatisfaction après la course.
Jusque là réservé aux véhicules au service haut de gamme (type Club Affaires de G7), le service proposé aux clients lambda ne cesse de s'enrichir, affectant inexorablement le niveau d'attente.
Si les compagnies de taxi réagissent en enrichissant leur offre et en imposant des standards à leurs chauffeurs affiliés, les taxis indépendants campent sur des positions et se concentrent sur le maintien de leur statut, et la concurrence qu'ils jugent déloyale des nouveaux entrants. J'étais frappé cette semaine par une affiche de revendication collée à la borne de taxi du quartier de la Défense intitulé "La vérité sur Uber" et qui concluait par ces mots "Si vous voulez préserver notre modèle social, si vous voulez être assuré en cas d'accident, si vous voulez financer les services publics : n'utilisez plus le service Uber". Même s'ils sont fondés, je crains que ces arguments ne trouvent que peu d'écho auprès des clients, attentifs à la qualité de service rendu par leur chauffeur et la facilité avec laquelle ils peuvent utiliser le service. Plutôt que de cristalliser leurs efforts dans une lutte perdue d'avance, ils feraient meilleur usage de leur énergie à imposer des standards de qualité de service dans leur profession.

Les libraires repliés sur eux-mêmes
La France compte 2.237 librairies (chiffres au 31 décembre 2013) avec un effectif total de 12350 personnes (13% de moins qu'en 2006). Le réseau français des librairies est l'un des plus denses au monde selon le Syndicat de la libraire française.
Le nombre de librairies se maintient mais leur santé est très fragile. La plupart ne doit sa survie qu'à un certain nombre de mesures visant à les protéger telles que la loi Lang qui fixe un
prix unique pour le livre, une TVA sur le livre à 5,5 %, les subventions dont un quart des libraires bénéficie et plus récemment une loi nommée "loi anti-Amazon" de 2014 qui oblige le vendeur en ligne à ne pas cumuler le rabais autorisé de 5% et la gratuité des frais de port. J'ajouterais à cette liste, la faible dématérialisation des livres en France ralentie par les éditeurs soucieux de préserver leur modèle économique.
Ces mesures et situations forment un épais brouillard dans l'esprit des libraires qui n'ont pas conscience selon moi que le problème réside dans l'expérience du client, véritable arbitre et danger létal pour leur profession. Dans un article de France Info intitulé "les librairies vont-elles disparaître ?", un ancien libraire tient ces propos : "Il faut se méfier de l'approche nostalgique et mélancolique du métier de libraire. S'ils refusent leur mutation, les libraires se tirent eux-mêmes une balle dans le pied" (...)"Dans certaines libraires en France, on entre quelquefois en s'excusant presque d'être là. Ca ne se passe pas comme ça dans les librairies anglo-saxonnes, où il y a des fauteuils, des banquettes et où on peut se poser pour lire quelques pages. En France, le livre se consomme debout et où on a à peine  le droit d'ouvrir le livre de passer à la caisse. C'est une culture qui est en train de desservir la librairie ".
Selon FranceInfo, "Depuis cinq ans, les librairies françaises voient leurs ventes chuter de 10 % par an. On estime qu'en 2017, à peine plus d'un livre sur trois sera encore vendu par le canal des librairies", concurrencés par les grandes surfaces et surtout par les vendeurs en ligne, dont le premier rang est occupé par Amazon.
Les libraires avec qui j'ai l'occasion de discuter tiennent peu ou prou le même discours au sujet d'Amazon que les chauffeurs de taxi avec Uber. Si j'entends bien leurs arguments sur l'optimisation fiscale et sur le modèle social discutable des concurrents, j'ai du mal à leur faire prendre conscience de la qualité du service d'Amazon et de la réalité de l'expérience client délivrée. Les atouts d'Amazon sont nombreux : la recommandation, les options de livraison, la possibilité de réserver un livre et le recevoir le jour de sa sortie, la possibilité de renvoyer le colis facilement, sans oublier par exemple ce qui pourrait constituer un détail mais qui n'en est pas un à mes yeux : la qualité du paquet cadeau.
J'écrivais sur ce blog en mai 2015 un billet intitulé "Manuel de survie à l'usage des libraires" destiné aux libraires se considérant comme des commerçants, et dans lequel je listais les nombreuses voies d'amélioration de l'expérience client trop souvent inexploitées.
Lorsque le mouvement de dématérialisation sera en marche en France, les libraires ne devront leur survie qu'à l'expérience qu'ils feront vivre à leur client dans leur boutique.

Rester connecté à la réalité du client
Pour les chauffeurs de taxi, pour les libraires comme pour tous les professionnels, la première étape d'un projet visant à faire grandir la culture client dans une entreprise est la prise de conscience de la réalité de l'expérience client dans son secteur et en dehors de celui-ci. Obsédés par leur concurrence ou repliés sur eux-mêmes, les professionnels prennent le risque d'être déconnectés des attentes du client et des standards de l'expérience qui évoluent chaque jour.
Les taxis n'auraient pas grand chose à faire pour se hisser aux nouveaux standards de l'expérience client. Quant aux libraires, ils ont une (maigre) chance de survie en faisant valoir leurs différences par rapport à la vente en ligne.
Si j'ai choisi ces deux exemples, c'est que parmi les libraires et les taxis, on trouve une population qui refuse de faire face à la réalité et campe sur des positions rétrogrades, un état d'esprit qu'on retrouve dans tous les secteurs d'activité.
Alors que le client devient collectionneur d'expérience (comme je le prétendais dans un billet de tendance de mon blog au début de cette année), les professionnels doivent affirmer plus que jamais leur différence et avoir à cœur de faire vivre au client une expérience singulière

Un billet écrit par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service. 

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