03 septembre 2016

Ecoute des collaborateurs : l'oreille cassée ?

relation client
La démarche d'amélioration de la relation avec les clients s'appuie sur leur écoute mais tout autant sur celle des collaborateurs. A l'aide de divers résultats d'études et d'un article paru dans la Harvard Business review, je vous propose un panorama et une analyse du sujet qui me font dire qu'une des deux oreilles de l'entreprise serait cassée.

L'écoute du client plus forte que l'écoute des collaborateurs
Dans la dernière édition du Baromètre Cultures Services de l'Académie du service, les collaborateurs étaient interrogés sur un certain nombre d'attitudes de service et parmi elles : "Les suggestions des équipes au contact du client pour améliorer le service sont écoutées et appliquées".
Seuls 24% des collaborateurs sont tout à fait d'accord avec cette proposition.
Sur les 13 attitudes de service essentielles identifiées par ce Baromètre, cette proposition arrive en dernière position quand on compare la proportion de collaborateurs "tout fait d'accord".
Les populations qui estiment que les collaborateurs au contact du client sont moins écoutées sont :
  • les personnes travaillant dans des entreprises de plus de 1000 salariés 
  • les salariés travaillant dans des entreprises opérant dans le secteur B2B, avec un chiffre de 20% (vs 27% pour le B2C)
  • les salariés les plus jeunes (moins de 25 ans) qui ne sont que 15% à être tout à fait d'accord
  • les femmes qui sont 22% tout à fait d'accord (vs 27% pour les hommes).
Ce chiffre est à comparer avec le taux de collaborateurs "tout à fait d'accord" avec la proposition "Une forte attention est prêtée aux réclamations et avis des clients", qui est de 37%, soit 13 points de plus que la proposition sur l'écoute des collaborateurs.

Je constate que très souvent dans les entreprises, les processus d'écoute client sont bien plus perfectionnés que ceux concernant les collaborateurs. Selon Focus RH "plus de 50% des entreprises récupèrent lors d'enquêtes internes ou de climat social les ressentis de leurs salariés.", alors que 93% des entreprises réalisent des enquêtes de satisfaction client (source Observatoire culture client).
Alors qu'on interroge les clients sur tous les canaux, de façon de plus en plus régulière, structurée ou pas, les collaborateurs n'ont le droit qu'à une enquête de climat social annuelle et très peu d'occasions de faire remonter leurs idées ou les dysfonctionnements qu'ils ont identifié. Ils pourraient même souffrir du fait de voir l'avis des clients devenir prépondérant par rapport au leur, déséquilibrant la nécessaire Symétrie des attentions, qui prétend que la qualité de la relation client doit être égale à la qualité de la relation entre l'entreprise et ses collaborateurs.

L'expression des salariés
Dans son édition de septembre, la Harvard Business Review publie un article de James Detert et Ethan Burris intitulé "Vos salariés peuvent-ils vraiment s'exprimer librement ?".
D'après les recherches des auteurs, la plupart des salariés ont tendance à se taire plutôt que de remettre en question des initiatives ou de suggérer de nouvelles idées.
Ils expliquent ce phénomène par l'action de deux grands facteurs :
  • la peur, bien installée dans de nombreuses entreprises dans lesquelles on peut entendre "On ne peut pas être en désaccord avec son patron". Les auteurs considèrent que les invitations à se manifester sont bien trop passives et prétendent que les enquêtes internes anonymes confortent l'opinion selon laquelle il existe des risques à parler librement. Face à ce blocage, les managers ignorent qu'ils mettent souvent en place des barrières empêchant l'expression des collaborateurs : des barrières physiques (bureaux fermés, barrière de hiérarchie...) et des barrières psychologiques (les collaborateurs n'osent pas donner un feedback sur une initiative que le patron se sera appropriée et à laquelle il sera identifié.
  • le facteur "A quoi bon ?". Les auteurs citent le cas d'une étude menant à des recommandations sur la liberté d'expression au sein d'une entreprise. Les cadres supérieurs en charge de la restitution ont omis de présenter les recommandations sur le comportement de la direction, ce qui fait dire aux auteurs qu'il faut incarner la liberté d'expression. Deuxième point développé à propos du "A quoi bon ?", le fait de ne pas être clair sur les informations qu'on veut obtenir, la "pseudo-participation" à des études internes concentrées sur les sujets de préoccupation des managers plutôt que sur les sujets des collaborateurs. Les auteurs illustrent ce point avec l'exemple d'un centre d'appels. Interrogés sur ce qu'ils voudraient améliorer, les employés de première ligne se concentrent sur la satisfaction des clients, alors que les managers cherchent dans leurs questions des moyens d'augmenter le chiffre d'affaires et de réduire le temps de transaction. Troisième argument pour ce facteur "A quoi bon ?", le fait, selon les auteurs, de ne pas allouer de ressources pour traiter les questions : "Allouer des ressources à la collecte d'idées sans prendre d'engagements, financiers ou autres, pour en voir au moins quelques-une ses concrétiser ne peut que donner le sentiment que la contribution des employés ne changera rien".
Pour installer cette culture de l'écoute interne, les deux auteurs listent un certain nombre de recommandations :
  • Faites en sorte que le feed-back devienne régulier et spontané.
  • Soyez transparent sur les processus de feedback et les engagements suite à cette collecte.
  • Cherchez le contact, aller voir vos collaborateurs, même de façon informelle auprès de personnes qui savent ce que vous ne savez pas.
  • Réduisez les signes de pouvoir en étant attentif au lieu des échanges, au comportement dans les situations d'écoute.
  • Evitez d'envoyer des messages contradictoires, notamment dans le processus de collecte et des restitution des idées avec des cadres et des règles trop contraignants.
  • Donnez l'exemple. Les auteurs citent une étude faite auprès de 10.000 collaborateurs qui prouvent que lorsque ceux-ci n'ont pas le sentiment que leur supérieur hiérarchique transmet leurs problèmes et suggestions à la direction générale, ils ont une grande impression d'inutilité. "Les employés se sentent motivés lorsqu'ils voient que vous plaisez en leur faveur" concluent les auteurs.
  • Bouclez la boucle, ne pas négliger le suivi en disant à vos collaborateurs la suite donnée à leurs feedbacks. Le fait de ne pas "boucler la boucle" augmente de 30% la conviction des subordonnés que s'exprimer était vain.
L'écoute des collaborateurs est une source d'amélioration
Les feedbacks des collaborateurs sont une source d'amélioration d'un service ou d'un produit tout aussi précieuse que celle des clients. D'autant que la majorité d'entre les collaborateurs sont aussi des clients, c'est ce que nous apprenait le Baromètre Cultures Services de 2015 : 61% des salariés sont clients de leur entreprise (dont 16% par obligation et 45% par choix).
Les collaborateurs au contact du client sont destinataires des feedbacks formels et informels des clients et sont en mesure d'identifier la cause du problème et les moyens de sa résolution en interne.
Je vous invite à lire l'article publié par Seemy, florilège de 15 entreprises qui ont gagné à écouter leurs salariés, et parmi lesquelles Amazon et Amazon PrimeNow dont je parlais récemment sur mon blog, la société Gore ou bien encore l'assureur Aviva et son initiative Customer Cup (à découvrir sur leur excellent site dédié).
La pratique de l'innovation ouverte, pour laquelle seules 24% des entreprises françaises sont matures (lire mon billet à ce sujet), conduit à l'amélioration de l'offre et participe au bien-être et à l'engagement des collaborateurs.
Une étude de l'Université de Berkeley que je citais dans mon billet de tendance 2014 (le client sera collaborateur) montre que la première source d'innovation est le collaborateur, devant le client et les fournisseurs de l'entreprise.
D'où la nécessité de garder ses deux oreilles ouvertes et ne pas avoir celle tournée vers les collaborateurs inopérante ou cassée...

Un billet écrit par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service. 
L'illustration de ce billet vient d'une photo de la statuette Arumbaya de l'album de Tintin "L'oreille cassée".

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