La situation dans laquelle les
clients se trouvent me fait penser à une vaste fête foraine dans laquelle les
visiteurs changent de manèges, refont la queue à chaque fois, rachètent un
ticket, tournent dans un sens puis dans l'autre. Les manèges sont tous conçus
différemment pour des usages uniques et propres.
Dans la réalité, les clients vont
d’un point à l’autre de plus en plus naturellement, attendent un parcours
fluide et cohérent et je ne suis pas certain que les marques et les enseignes maîtrisent bien ces flux et la logique du client. Dans mon billet de tendance
de 2012, je prétendais « le client sera rebonds » à ce sujet. Les
chiffres ci-dessous montrent à quel point le sujet est sensible.
Les français rebondissent !
Premier enseignement issu de l’étude
OTO research et Fullsix (auprès de 25.000 personnes dans le secteur de la
distribution spécialisée) : le comportement crosscanal est avéré.
Dans les 3 derniers mois, sur 100
visiteurs d'une enseigne :
- 19 visitent exclusivement le site Internet
- 32 visitent exclusivement le magasin
- 49 visitent le site Internet ET le magasin (une proportion encore plus forte dans les enseignes de sport à 55% et de Maison et Electro-hifi avec 54%)
A la caisse en magasin
Le magasin reste très majoritairement
le lieu de la transaction. Rien de bien neuf comme nouvelle car il suffit de
comparer les ventes Internet aux ventes en magasin pour le savoir... Ce qui est
intéressant ici, c’est la proportion des clients acheteurs mixtes (1 sur 10)
auxquels on peut ajouter les 7% de purs surfers-acheteurs.
Dans les 3 derniers mois, sur 100
acheteurs d'une enseigne :
- 7 achètent exclusivement sur le site Internet
- 83 achètent exclusivement en magasin
- 10 achètent sur le site Internet ET en magasin
Nous sommes au coeur du ROPO (un
fabuleux acronyme comme seuls les marketers savent en inventer et qui signifie
Research Online Purchase Offline) et rendons grâce à Fullsix et OTO Research
qui nous livrent des chiffres complets sur les mouvements du client.
Un ROPO moderato sur la toile
Sur 100 visiteurs d’un site
d’enseigne, 72 vont en magasin, 43 achètent en magasin.
Sur 100 visiteurs d’un site
d’enseigne, 48 achètent dont seulement 13 sur le site.
Combien de sites sont conçus pour un
client qu'on imagine 100% digital, en espérant le garder sur le site et le transformer
en acheteur ? Prenez l'exemple des sites en technologie Flash (vous savez
les sites qui vous accueillent avec une pendule qui indique le temps de
chargement) dans lesquels vous mettez bien 5 bonnes minutes avant de trouver
les horaires d'ouverture du magasin ?
Tordre le cou au Showrooming
Sur 100 visiteurs d’un magasin, 60
vont sur le site de l’enseigne et 8 y achètent.
Sous cet angle, ce sont les
boutiques des FAI et des opérateurs de téléphonie qui "transforment"
le plus un visiteur de magasins en visiteur du site (SFR à 87%, Orange à 86%),
suivis des enseignes dont les produits sont plutôt plus
complexes ou techniques (FNAC, IKEA, Darty, Boulanger, Leroy Merlin...). Ils
vont vraisemblablement chercher à compléter leurs informations avant ou après
achat, et pour certains (une minorité), ils achètent.
Ces chiffres sont confirmés par ceux
de l'étude POPAI SNCD qui relève que, si rien n'a changé dans les problèmes à
résoudre pour le client, "les attentes sont plus fortes sur l'avant et
l'après pour les produits plus impliquants". La crainte des distributeurs
physiques est que leurs magasins se transforment en showrooms (d'ou
l'expression de "showrooming"). On peut dire qu'on en est loin en
regardant ces chiffres (sur 100 visiteurs magasin, 8 vont acheter en ligne).
Cette expression de "showrooming" révèle à quel point beaucoup de
distributeurs traditionnels ont peur d'intégrer plusieurs canaux dans le
parcours d'achat. Et cette peur révèle leur obsession du chiffre d’affaires par
canal et leur incapacité à se mettre dans la peau du client, à imaginer des
parcours.
Que faire ?
Une fois intégrés ces
chiffres et constats, que faire quand on est distributeur ?
- Accorder le site au point de vente pour garantir une expérience identique et un usage conforme aux attentes principales du surf. Prenez un magasin de bricolage et rapprochez le plan du magasin disponible en ligne de celui qui est à l'entrée du point de vente. Ces deux plans ont été faits par deux personnes différentes (le patron du magasin et le responsable web), distantes de plusieurs centaines de kilomètres au service d'une personne (le client) qui utilise les deux à quelques minutes ou heures d’intervalle. Ce n'est qu'un exemple mais pensez aux produits sur le catalogue virtuel indisponibles dans le point de vente, etc, etc. Il y a des chantiers de systèmes informatiques à ouvrir et des projets de décloisonnement de services au sein des sociétés. Le problème c'est qu'on a un peu laissé seuls les patrons du digital ces derniers temps, ils ont construit leur forteresse en interne, conçu des sites pour clients 100% digitaux (une minorité des clients), alors que les patrons de magasins n'ont même pas été formés à Internet. Et au milieu, il y a le client qui rebondit…de travers. J’ajoute qu’il me semble qu’en termes d’expérience client, on a créé un fossé entre Internet et le point de vente. Comme le souligne justement Jérôme Toucheboeuf de Fullsix (dans une citation de Strategies du 22/11/2012) « Avec ce shopper connecté, on est en pleine schizophrénie. Il dispose d’énormément d’informations sur le Net, mais pas en magasin ».
- Former les vendeurs à un comportement crosscanal. "Faut pas croire ce qu'ils disent sur le site" (phrase entendue). Combien de vendeurs vous répondent qu'ils ne savent pas ce qu'il y a sur le site, ou pire que le site n'a rien à voir avec le magasin ? Il est temps de dire la vérité aux vendeurs : les clients qui ne connaissent de l'enseigne que le magasin sont minoritaires. Et les vendeurs qui ne connaissent pas leur propre site seront moins bons vendeurs.
- Repenser la rémunération des vendeurs. Pour commencer, il faut imaginer de nouvelles formes de motivation. Quel intérêt à un vendeur à vous envoyer sur le site pour acheter s'il est payé sur sa vente immédiate en magasin ? Plutôt que de penser vente de produits, il faut penser "portefeuille de clients", portefeuille basé sur la base de données de clients porteurs d'une carte, basé sur une zone de chalandise...
- Repenser le rôle des vendeurs. Le vendeur qui se contente de son savoir pour vendre a de plus en plus de chance de faire du mal à son enseigne. Il doit compter sur son savoir faire unique -et éternel- de vendeur (écoute, empathie, persuasion) et l'enrichir avec de nouveaux outils. BUT, Sephora, Boulanger, Apple, SFR autant d'enseignes qui équipent –à plus ou moins grande échelle- leurs vendeuses et vendeurs d'équipements connectés à Internet, à des ressources utiles et encore mieux pour certains, d'une interface qui leur permet d'accéder à l'historique du client. Selon une étude de Keyrus Management, 60% des réseaux ont prévu de déployer des tablettes pour vendeurs.
- Concevoir un point de vente AVEC les clients et non pas pour les clients. Pour ce point capital, je vous invite à lire un de mes billets favoris de l'année en suivant ce lien. Le mobilier (vitrine, chariot, tables, rayons, gondoles…) doit devenir intelligent, les vendeurs encore plus connectés, enrichis du contenu créé par les clients eux-mêmes. La digitalisation du point de vente doit être la "customisation" du point de vente.
Quand je pense qu'on ne traite dans
ces études et ce billet que de deux canaux, mais pensons aux marques et enseignes
qui conjuguent tous les canaux (téléphone, application, site, magasin,...), la
fête foraine est encore plus grande et les manèges ne tournent pas plus rond la
plupart du temps...
1 commentaire:
Bravo ! Vous avez raison d'insister sur le rôle du vendeur dans le Cross Canal : sa formation, sa rémunération... Autant de sujets indispensables ! Les Digital Marketers ont trop souvent tendance a les occulter dans leur stratégie digitale.
Dominique PALACCI
Domi Digital Blog
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