23 avril 2016

Aïda Mimouni Chaabane, Virginie Pez et le Sens du client

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Le 24 avril, je célèbre la Saint Fidèle depuis 2009 sur ce blog. C'est l'occasion pour moi d'aborder chaque année le sujet de la fidélité des clients et la gestion de celle-ci par les entreprises. J'ai choisi cette année de donner la parole à deux universitaires spécialistes du sujet.
J'ai fait leur connaissance et pu apprécier la qualité de leurs travaux lors d'un réunion du Center for Customer Management (C|CM) dirigé par mon ami Pierre Volle, professeur de marketing et Customer Management à l'université Paris-Dauphine, que j'ai eu l'occasion d'interviewer sur mon blog (lire le billet) et dont j'ai chroniqué les livres (notamment l'excellent "Stratégies client").
Aïda Mimouni Chaabane et Virginie Pez ont accepté de se prêter à l'exercice de l'interview du Sens du client, enrichi spécialement d'une question pour l'occasion de la Journée de la fidélité, nom de baptême de l'événement annuel créé il y a sept ans avec Christian Barbaray (lire tous les articles).

Qui êtes-vous ? 

Je suis Aïda Mimouni Chaabane, Maitre de Conférences à l’Université de Cergy-Pontoise depuis septembre 2007. Après une école de commerce en Tunisie, j’ai choisi la voie de l’enseignement et de la recherche en effectuant une thèse de Doctorat à l’Université de Paris Dauphine. Mes recherches s’articulent autour de deux axes principaux : 1. La gestion de la relation client en général et les programmes de fidélité en particulier, 2. L’efficacité des opérations promotionnelles (prospectus, promotions multi-mécanismes ou encore produits partage). En parallèle de ces activités, j’interviens sur des missions de conseil ponctuelles.

Je suis Virginie Pez, Maître de Conférences à l’Université Panthéon-Assas. Je suis titulaire d’un doctorat soutenu en 2010 à l’Université Paris-Dauphine. Mes recherches portent sur les comportements de fidélité au sens large (compréhension et modélisation des comportements de fidélité, programmes relationnels, outils de gestion de la relation client). Je m’intéresse par ailleurs aux comportements de résistance des consommateurs, aux dimensions éthiques des pratiques commerciales et aux sujets qui touchent à la protection des consommateurs. J’interviens régulièrement auprès d’entreprises et institutions en tant que consultante autour de ces thématiques.

Selon vous, pour une entreprise, qu’est-ce qu’ « avoir le sens du client » ? 

Selon nous, avoir le sens du client c’est d’être réellement préoccupé par l’intérêt du client et n’avoir de cesse de se mettre à sa place. Au-delà des discours, les entreprises doivent mettre en place les pratiques, les KPI et l’organigramme qui placent le client au centre de son activité.
Ainsi, par exemple, une entreprise doit savoir/avoir la maturité d’abandonner certains choix qui peuvent lui être bénéfiques au détriment du bien-être du client (ex : commercialisation excessive et tout azimut des données clients, même en cas d’opt-in). Cela fonctionne sans doute à court-terme, mais cela peut entraîner des effets dévastateurs sur le long terme.
Autre exemple, recruter/développer les profils de métiers de « customer success manager », en charge d’une vision stratégique du client et de jouer le rôle de son porte parole au sein de l’entreprise.
Avoir le sens client c’est également être, constamment et de manière proactive, à l’écoute du client. Anticiper ses besoins, y répondre de manière pertinente, accepter d’être jugé par le client, se remettre en cause en permanence pour être à la hauteur de ses attentes, s’enrichir de ses avis pour améliorer la qualité de l’offre sont autant d’indicateurs du sens du client.

Que pensez-vous de l’évolution de la relation client en France ? 

Aïda Mimouni Chaabane : Je trouve que les entreprises françaises, malgré leur retard initial, se sont bien approprié la gestion de la relation du point de vue technologique. En matière de logiciels de CRM, de collecte de données et de leur exploitation, de multi-canalisation et de digital de manière générale. L’idée que la GRC est un élément de différenciation et de succès indispensable a également bien été comprise/intégrée.
En revanche, je trouve que l’accent mis sur la rentabilité financière à court terme les empêche encore d’être 100% orientées client. Il suffit de voir comment elles peinent à segmenter leur portefeuille client autrement qu’en ayant recours au fameux indicateur  RFM et comment les concepts d’engagement, de confiance et de qualité de la relation de manière générale restent sous-exploités. L’arrivée du digital, où la relation est souvent « déshumanisée », n’arrange pas les choses à mon avis.

Virginie Pez : Il est vrai qu'il a eu de nets progrès sur le plan des outils que les entreprises peuvent utiliser pour gérer leurs clients et mieux les servir. Ceci dit, il y a encore une marge de progression importante. Je rebondis sur l’exemple d’Aida en matière de calcul de la valeur des clients, qui permet d’offrir le bon traitement au bon client. On sait depuis longtemps que sous la notion de « bon » ou de « meilleur » client se cache tout un tas de comportements. Il ne s'agit pas seulement de comportements d'achats ou de chiffre d’affaire généré. Il se cache derrière cette notion beaucoup plus de paramètres, notamment l'attitude du client à l'égard de l'entreprise, sa propension à la recommander sur les réseaux sociaux, à parrainer des proches, etc. Si tout le monde s’accorde à dire que ces paramètres sont importants, très peu d’entreprises parviennent au final à intégrer ces éléments dans le calcul de la valeur des clients. De façon globale, il n’est pas rare de devoir renoncer ou adapter considérablement les programmes relationnels « idéaux » imaginés par les professionnels faute de budget ou de possibilité technique pour les opérer. Il y a donc encore des progrès à faire.

Avez-vous une anecdote, un exemple de relation client remarquable ? 

Aïda Mimouni Chaabane : J’ai récemment commandé un tableau sur le site de Maisons du Monde. En recevant l’article, je remarque que le verre est cassé. J’envoie un mail vers 22h au service client pour demander des informations sur les modalités de renvoi de la commande. Le lendemain à 10h, je reçois un appel du service client pour me dire qu’il n’y pas besoin de renvoyer l’article, et savoir si je souhaitais être remboursée ou livrée du même article de nouveau. J’ai beaucoup apprécié cette interaction car tout a été simple, rapide, efficace et sans effort. J’ai surtout apprécie le fait d’être « crue sur parole » : pas besoin de renvoyer l’article, pas besoin de prendre une photo du produit endommagé et remboursement dans la semaine !

Virginie Pez : J’ai bien peur de vous décevoir sur ce point… Pour moi ce que l’on présente comme des pratiques remarquables en relation client relève souvent du basique. Il n’y a rien de plus normal que de remplacer un produit endommagé sans que le client n’ait à fournir un quelconque effort pour que son produit soit remplacé. Nous sommes tellement habitués aux situations ubuesques avec les centres de relation client que l’on en vient à être surpris lorsque les choses se passent bien. Les suivis personnalisés et autres appels de courtoisie, que l’on cite souvent comme des exemples remarquables, sont également pour moi des éléments qui n’augmentent pas spécialement la satisfaction des clients. En revanche, s’ils sont absents, la satisfaction peut être détériorée. Vous l’aurez compris, je pense que l’on ancre le niveau d’exigence en relation client de la part des entreprises trop bas.

Et enfin, une question à l’occasion de la Saint Fidèle : « Pour vous, quels sont les attributs d’un bon programme de fidélité ? »

Un bon programme de fidélité doit être pensé dans une logique de gagnant-gagnant. Plus facile à dire qu’à faire ! Pour cela, notre avis est qu’il doit être segmentant en fonction du profil des clients. Les attentes relationnelles (par exemple une attente de proximité avec la marque, ou une attente d’efficacité maximale dans la prestation), plus que la valeur du client, sont un bon indicateur des bénéfices auxquels les clients sont sensibles. Inutile alors de donner du cash-back à des clients qui recherchent surtout le côté facile, rapide et pratique dans une transaction et inversement.
Un bon programme doit également être cohérent avec les valeurs et l’identité de la marque qui le porte (exemple, la nécessité d’une organisation par statuts hiérarchiques lorsque la marque comprend une dimension symbolique forte, comme les marques de luxe).
Enfin, un bon programme doit récompenser plusieurs types de comportements (achat, mais également prescription, recommandation, coopération, etc.) et encourager/faciliter/développer les occasions de « burn » (utilisation des points en échange des cadeaux ou services proposés), rempart contre l’inactivité et élément stimulateur de la fidélité.

Interview réalisée par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service. Retrouvez les 137 autres interviews dans la rubrique concernée.

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