Dans mon sondage réalisé à l’occasion du 1000ème article de ce blog, mes lectrices et mes lecteurs me disaient apprécier particulièrement ma rubrique Irritants. Je dois reconnaître que je ne publie pas assez de billets piquants à propos de mes expériences. C’est donc le moment d’une petite mise à jour pour tous les amateurs de bonnes histoires.

En fait, je ne suis pas un mauvais coucheur ni un client aigri, je suis seulement très attentif. Je suis souvent plein d’empathie pour les personnes au contact du client et si je dois blâmer quelqu’un ou quelque chose, ce sera plutôt les dirigeants ou les entreprises elles-mêmes.
Voici quelques irritants plus ou moins graves qui m’inspirent quelques réflexions et leçons pour l’expérience client.
La considération pour la parole du client
 
Chez le coiffeur. Prise de rendez-vous sur internet, accueil souriant, beau salon, 25 euros la coupe, jusque là tout va bien. Lorsque je quitte la zone réservée au shampoing, je regrette ma coiffeuse – à qui j’ai été fidèle pendant plus de 10 ans – et qui prenait soin de passer un rapide coup de peigne au sortir du bac, histoire d’être présentable sur les 5 mètres qui me séparent du siège du coiffeur. Vous voyez bien, je ne suis pas exigeant, je suis sensible à tous les petits signes qui font d’une coupe de cheveux un bon moment. Je ne me formalise pas, mais j’en prends note.
Les cheveux en pétard, je m’assois sur le siège dont le pied est couvert des chutes de la coupe précédente. Un autre petit signe qui me semble être un standard de propreté dans la coiffure, pas respecté ici. La tablette face à moi est encombrée et tout aussi sale. J’y pose mon téléphone, mon portefeuille et les clés de ma voiture dans le coin disponible et le moins couvert des résidus capillaires des autres clients.
Le coiffeur me passe la grande cape de coiffure qui me fait ressembler pendant 30 minutes chaque mois à un élève de Poudlard, ce qui n’est pas pour me déplaire. Nom d’un sorcier ! Ma cape est mouillée et colle sur mes genoux. Je fais la remarque au coiffeur qui l’empoigne et la reprend en me disant « elle n’est pas mouillée, elle est fraîche ! », puis la passe 20 secondes au sèche cheveux pour un effet assez limité. Cet irritant n’a pas de quoi réveiller Touffu, le chien à trois têtes, me direz vous. Certainement, mais cette situation illustre le thème récurrent et source d’insatisfaction : mettre en doute la parole du client, une pratique assez répandue dans les entreprises en bas de classement de la satisfaction client.
 
Au supermarché. La première histoire me fait penser à un autre épisode dans le supermarché à côté de chez moi où j’ai l’habitude d’acheter mes pistaches grillées. Je décide de faire une entorse à mes habitudes, à savoir acheter un paquet de Wonderful pistachios, ma marque préférée, pour acheter des pistaches en vrac. Malheur, elles sont molles à la première dégustation ! Très remonté sur un sujet majeur affectant la réussite d’un apéritif de week-end (il y a des questions sur lesquelles il faut être sérieux), je rapporte mon paquet de pistaches à l’accueil. L’employée, sans délégation sur le sujet du retour des pistaches, et vraisemblablement sur rien, appelle le directeur qui arrive l’air emprunt de la personne en charge d’arbitrer les grands conflits de ce monde. Je lui expose mon problème et ma remarque avec soin, calme et gentillesse. Il me prend le paquet des mains, il l’ouvre, sort lentement une pistache puis défait la coque avec délicatesse pour entamer un examen d’expert. Il avale la pistache, puis, comme un sommelier le grand cru en bouche, il active sa mâchoire l’air concentré avant de me dire « Je ne suis pas d’accord avec vous ». Je lui réponds en lui reprenant le paquet, ce n’est pas grave, je vais l’envoyer au président de votre groupe pour son apéritif du week-end et je lui demanderai son avis. Plutôt fâché, il se tourne vers l’employée de l’accueil qui me montre toutes ses dents disponibles pour afficher le sourire le plus large et le plus compatissant. Puis il lui dit avant de tourner les talons « Remboursez monsieur ».
Au restaurant. Vous connaissez cette petite fierté de trouver une pépite dans le dédale des adresses de restaurant, tous aussi bons les uns que les autres sur Tripadvisor. Nous allons donc diner à plusieurs dans « le meilleur restaurant » d’une petite ville de Provence. L’accueil est chaleureux, les plats généreux, le prix raisonnable, la terrasse ombragée sympathique. Les glaçons peuvent s’entrechoquer dans le seau à glace pour signaler le début d’un bon moment. Puis, comme très souvent dans ma vie, je m’apprête à entendre de la bouche de mes plus proches : « Il faut toujours que ça tombe sur toi ! ».
Ma salade est croquante, mais la sensation ne doit rien aux ingrédients sélectionnés par la cheffe. Un morceau de verre dans ma salade que je venais de finir. Je le sors de ma bouche doucement pour vérifier qu’il n’y pas un message enroulé dans un biscuit sur lequel je pourrais lire « Avec les compliments de la cheffe, pour le client le plus pénible du sud de la France ». Non, il s’agit bien d’un morceau de verre.
Pour avoir travaillé dans ce secteur plusieurs années et traité avec mon équipe des dizaines de cas comme celui-ci, je me dis que ça arrive. J’appelle le serveur et je lui expose ma trouvaille. Il me répond « Vous avez trouvé ça où ? (sic) Alors ça, ça m’étonnerait, je vois vraiment pas comment un morceau de verre peut se trouver là, je suis désolé ». Puis il tourne les talons. A la fin du repas, je vais à l’intérieur du restaurant pour payer. Je veille à faire un feedback équilibré au patron en commençant par ce que j’ai aimé. Puis je lui dis que le morceau de verre dans la salade n’était pas fameux et que la réaction du serveur encore moins. Il me dit que ce n’est pas possible que ça arrive car il n’y a pas de verre dans la cuisine. Il me propose de m’offrir les cafés. Je lui dis gentiment qu’il devrait prendre le sujet plus au sérieux et que les cafés offerts sont une bien piètre compensation. Moralité : le service parfait n’existe pas, la cuisine sans faille non plus. Mais la façon de régler les problèmes change tout.
Trois exemples simples pour illustrer le même irritant, une expérience qui malheureusement est le quotidien de milliers de client : ne pas être pris au sérieux, voir sa parole remise en question.
Je sais que tous les clients n’ont pas tous raison, mais dans les trois cas, il s’agit vraiment d’une posture d’écoute, de prise en compte de l’avis du client et du respect qu’on a de sa parole et de sa perception. Sans volonté sincère de résoudre les problèmes et faire face à l’inattendu du service, il n’y a pas de satisfaction client durable.

Etre à la hauteur de la promesse dans les rares occasions de contact

Dans un hôtel 5 étoiles. S’il y a bien un moment que j’affectionne, en dehors de l’apéritif avec mes pistaches comme vous l’avez compris, c’est le petit déjeuner dans un grand hôtel. J’en fais un véritable repas qui m’affranchit souvent du déjeuner et enchante ma journée. J’arrive détendu dans la salle dédiée de cet hôtel 5 étoiles et je balaye du regard le superbe buffet tel le chat qui approche de sa gamelle, à pas feutrés sur la moquette épaisse. Premier contact de la journée avec un employé, deuxième expérience après celle de l’enregistrement la veille, introduction de mon meilleur moment : la fameuse, l’universelle, la tragique, la terrible, la piquante phrase arrive à mes oreilles. « Quel est votre numéro de chambre ? » Je ne vais pas détailler cet irritant dont j’ai fait un billet complet à relire en suivant ce lien. Je réponds docilement et je me dirige vers le buffet, en tâchant d’évacuer cet irritant, concentré sur les choix importants qui m’attendent. Oeufs au plat ou oeufs brouillés ? Saucisses ou bacon ? Jus d’orange ou jus d’ananas ? Toast ou pain frais ? C’est à ce moment qu’une jeune femme pleine d’allant vient vers moi et me demande « Quel est votre numéro de chambre ? ». L’assiette en main, l’estomac qui m’implore, les papilles qui s’affolent, me voilà douché pour la seconde fois, comme si le monde du service me rappelait de bon matin ma mission. Convaincre, inciter, motiver, répéter inlassablement sur mon blog depuis 17 ans que l’expérience client est une affaire de longue haleine, une histoire qui se répète. Visiblement touché et ostensiblement agacé et muet, mon comportement alerte la cheffe de salle qui vient vers nous en disant « C’est bon, monsieur a déjà donné son numéro de chambre ». Puis elle m’accompagne autour du buffet et me fait comme une visite guidée de mon parc d’attractions miniature et personnel. Elle sait que c’est un irritant, et je pense à son travail quotidien qui consiste à apprendre, transmettre les codes de son métier et les gestes de son établissement.

Cet irritant me fait penser que le fait de demander le numéro de la chambre est une partie du process du monde de l’hôtellerie, mais cette étape obligée (pour des raisons que j’évoque dans un précédent billet) devrait être adaptée selon le niveau de service. On ne peut pas poser cette question dans un hôtel 5 étoiles de la même façon avec les mêmes mots que dans un hôtel très bas de gamme. Dans l’expérience client, les standards peuvent être les mêmes, mais la façon de les opérer doit être le reflet de la promesse faite au client.

L’absence de réponse à un client : irritant de base.

Avec le service client d’une chaîne de cinémas. On pourrait penser que peu d’entreprises de premier plan ne répondent pas au client, et pourtant, j’ai un bel exemple. Me voilà au cinéma, vous savez l’expérience mise à mal par les plateformes en continu, l’expérience qui doit se réinventer, s’enrichir, faire vivre de bons moments ? Chez Pathé Gaumont, la dernière campagne de communication affiche le slogan : « Les plus belles histoires commencent ici ». En voici une. Le 25 août je vais voir le film « Anatomie d’une chute », la palme d’or de Cannes (ça pourrait donner un bon titre pour un billet dans quelques années sur l’expérience au cinéma).

8,80 la place, avec une carte de 5 places, soit un mois et demi d’abonnement à Netflix (la formule avec publicité). Même avec la réduction, si on compare aux cinémas à moins de 20 minutes de celui dans lequel je suis allé, c’est le tarif le plus cher autour de moi.

Un des deux sièges réservés pour la séance est cassé. Vous avez connu cette sensation certainement… Il n’y a presque plus de mousse dans le fauteuil et le mécanisme grinçant vous bascule en arrière lorsque vous vous asseyez, le fauteuil est branlant. Je note aussi un trou dans l’écran qui provoque une tâche lumineuse qui ne cesse de m’obséder pendant la projection. Je décide de faire une réclamation. Je cherche la rubrique « nous contacter » du site et je découvre qu’il faut être connecté à un compte client. Je n’ai pas envie de rechercher mes identifiants, je vais sur X (anciennement Twitter) et j’adresse une photo de mon billet avec un texte factuel et bien senti avec une petite touche d’humour pour leur indiquer que mon canapé est plus confortable que la salle de cinéma. Message envoyé le 4 septembre, réponse le lendemain. « Bonjour, Nous avons transféré votre demande à votre cinéma. Bonne journée. » Sans réponse le mercredi, je relance. Réponse « Nous ne connaissons pas les délais de traitement de l’ensemble de nos cinémas. Elle vous parviendra par mail dans les meilleurs délais. Bonne journée. » Quand je lis « meilleur délai », je crains souvent le pire. Vendredi, je fais une relance qui reste sans réponse. Jeudi 28 septembre, soit 24 jours après ma première demande, et sans nouvelle de mon cinéma, je relance. Réponse sur X : « Bonsoir, Nous n’avons pas accès à votre historique de messages donc merci de préciser quelle était la demande. Merci d’avance ! ». A ce stade, je ne peux pas conclure sur cette irritante expérience. J’attends encore. On pourrait penser, comme je le disais en introduction, que les marques de premier plan ont à cœur de faire le minimum attendu, à savoir répondre au client dans des délais acceptables.

La seule leçon à tirer de cet irritant est qu’il existe des fondamentaux auxquels les grandes marques, et toute personne bien intentionnée dans le commerce, doivent être attentives. Le système semble ici peu vertueux. La réponse est faite en 24h, le dossier est clos. L’historique est supprimé. La demande est transmise au cinéma qui ne répond pas. Peut-être que personne ne suit les réponses aux clients, personne ne mesure la satisfaction des réclamants… La poussière est poussée sous le tapis.

Eroder la confiance du client : l’irritant des irritants.

A l’atelier d’un grand constructeur automobile. Dernier irritant et insatisfaction majeure qui me fait presque perdre mon humour : passage en atelier d’un constructeur automobile. Nous sommes en pleine canicule cet été et la climatisation de mon antique Renault Clio tombe en panne. Premier reflexe : je me tourne vers les champions de la satisfaction. Je vais chez Norauto les yeux fermés et la personne qui m’accueille me pose plusieurs questions au sujet de ma panne. Il me conseille d’aller chez le concessionnaire de la marque. Je m’exécute, conforté dans l’idée que je trouve toujours les meilleurs conseils chez Norauto. J’ai confiance en eux.

Je prends rendez-vous par téléphone pour dans 20 jours et je me mets à penser à ces trajets en pleine transpiration la fenêtre ouverte qui m’attendent. Le jour du rendez-vous arrive. Première question : « C’est quoi le modèle de votre voiture ? ». Ma réponse : « Bah une clio ». « Oui mais c’est quel modèle ? » me demande-t-il. Ma voix de client idiot entonne : « Je ne sais pas. ». « Vous ne connaissez pas le modèle de votre voiture ? » finit-il sur le ton de l’expert à qui personne n’a dit que beaucoup de clients ne s’intéressent pas comme lui aux modèles des véhicules. Cet échange est un signe que le monde de l’automobile n’a pas fait sa transformation profonde. Des experts parlent aux idiots qui viennent faire réparer leur moyen de transport au tarif le plus élevé.

Puis l’homme en charge de l’accueil de l’atelier me pose sensiblement les mêmes questions que celui de Norauto et me dit qu’il va m’envoyer un devis par mail dans quelques heures. Je reçois le devis d’un montant de plus de 800 euros. A la transpiration de mes trajets s’ajoute celle de devoir payer pour réparer la climatisation. Bien que le réchauffement climatique me pousse à faire l’investissement, je lui dis que je ne vais pas faire les travaux et que je vais venir chercher ma voiture (Je passe sur le fait qu’on ne m’a pas proposé de voiture de prêt pour la journée, ce qui est un vrai service en région lorsqu’il n’y a pas de transport en commun disponible). Retour à l’atelier pour la réalisation de la promesse « longue vie aux voitures à vivre ».

L’employé me rend les clés et me présente une facture de 110 euros. Je lui demande à quoi ça correspond. Il me dit « Ben c’est le diagnostic ! ». « Mais je n’ai jamais demandé un diagnostic ! ». « C’est comme ça, c’est payant. Sinon tout le monde viendrait faire un diagnostic gratuit et ferait réparer ailleurs ! » Plutôt ulcéré par cet échange et décidé à investiguer le bien fondé de cette facture plus tard, je paye. Je reçois un questionnaire de satisfaction et j’autorise le constructeur a publier mon avis sur internet. Je mets zéro et j’explique mon insatisfaction. J’ajoute que je vais demander à la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) son avis sur ma facture. Quand on dit DGCCRF à un professionnel, c’est comme si on disait Elise Lucet à un PDG. Le responsable de l’atelier m’appelle pour en savoir plus. Je lui explique en détail mon expérience en précisant qu’à aucun moment on ne m’a dit que le diagnostic était payant et qu’aucun document en ma possession ne le précise. Il me rappelle quelques heures pour tard pour me demander mon RIB afin de me rembourser, présenter ses excuses sincères et m’inviter à changer mon avis. Ce que je ne fais pas. Pour votre information, et comme par magie, mon avis n’est pas publié. L’affaire est enterrée. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Avec une petite manipulation, la réputation est intacte et les affaires reprennent.

Je repars à zéro et je m’inquiète de cette climatisation en panne. Le garagiste indépendant de mon village m’alerte sur le fait que ce n’est pas la climatisation qui est en panne mais le refroidissement du moteur. Glups. Il faut donc faire réparer. Et lui ne peut pas le faire. Je prends rendez-vous dans un autre garage de la même grande marque qui m’indique qu’un diagnostic de 40 euros sera fait. Puis il m’envoie un devis à 400 euros pour faire la réparation. On prend rendez-vous pour l’intervention et il me demande si j’ai besoin d’une voiture de prêt. Deux fois moins cher, deux fois plus clair, deux fois plus satisfaisant. Je suis stupéfait.

Moralité : gagner la confiance des clients lorsqu’on vend des produits à 35.000 euros (en moyenne) est essentiel pour la survie de la marque. Comme je l’ai déjà écrit sur mon blog, si la marque consacrait ne serait-ce que 5% de son budget publicitaire à l’amélioration de l’expérience client (soit près de 21 millions d’euros au total et 38000 euros par concession selon mes calculs), elle favoriserait un meilleur équilibre entre sa promesse et ses preuves. Le secteur automobile se transforme et va poursuivre dans les années qui viennent ses évolutions profondes qui donneront une place encore plus importante au service, à l’expérience. J’ai le sentiment que certaines marques sont en retard.

Les irritants valent la peine d’être partagés comme source de réflexion et de débat entre personnes en charge de l’expérience client. Je ne cesserai de m’indigner car l’indignation est à la base du sens du client comme je le disais dans mon billet du mois de juin dernier.

1084ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du clientco-fondateur de KPAM Next.