Dans mon sondage réalisé à l’occasion du 1000ème article de ce blog, mes lectrices et mes lecteurs me disaient apprécier particulièrement ma rubrique Irritants. Je dois reconnaître que je ne publie pas assez de billets piquants à propos de mes expériences. C’est donc le moment d’une petite mise à jour pour tous les amateurs de bonnes histoires.
Etre à la hauteur de la promesse dans les rares occasions de contact
Dans un hôtel 5 étoiles. S’il y a bien un moment que j’affectionne, en dehors de l’apéritif avec mes pistaches comme vous l’avez compris, c’est le petit déjeuner dans un grand hôtel. J’en fais un véritable repas qui m’affranchit souvent du déjeuner et enchante ma journée. J’arrive détendu dans la salle dédiée de cet hôtel 5 étoiles et je balaye du regard le superbe buffet tel le chat qui approche de sa gamelle, à pas feutrés sur la moquette épaisse. Premier contact de la journée avec un employé, deuxième expérience après celle de l’enregistrement la veille, introduction de mon meilleur moment : la fameuse, l’universelle, la tragique, la terrible, la piquante phrase arrive à mes oreilles. « Quel est votre numéro de chambre ? » Je ne vais pas détailler cet irritant dont j’ai fait un billet complet à relire en suivant ce lien. Je réponds docilement et je me dirige vers le buffet, en tâchant d’évacuer cet irritant, concentré sur les choix importants qui m’attendent. Oeufs au plat ou oeufs brouillés ? Saucisses ou bacon ? Jus d’orange ou jus d’ananas ? Toast ou pain frais ? C’est à ce moment qu’une jeune femme pleine d’allant vient vers moi et me demande « Quel est votre numéro de chambre ? ». L’assiette en main, l’estomac qui m’implore, les papilles qui s’affolent, me voilà douché pour la seconde fois, comme si le monde du service me rappelait de bon matin ma mission. Convaincre, inciter, motiver, répéter inlassablement sur mon blog depuis 17 ans que l’expérience client est une affaire de longue haleine, une histoire qui se répète. Visiblement touché et ostensiblement agacé et muet, mon comportement alerte la cheffe de salle qui vient vers nous en disant « C’est bon, monsieur a déjà donné son numéro de chambre ». Puis elle m’accompagne autour du buffet et me fait comme une visite guidée de mon parc d’attractions miniature et personnel. Elle sait que c’est un irritant, et je pense à son travail quotidien qui consiste à apprendre, transmettre les codes de son métier et les gestes de son établissement.
Cet irritant me fait penser que le fait de demander le numéro de la chambre est une partie du process du monde de l’hôtellerie, mais cette étape obligée (pour des raisons que j’évoque dans un précédent billet) devrait être adaptée selon le niveau de service. On ne peut pas poser cette question dans un hôtel 5 étoiles de la même façon avec les mêmes mots que dans un hôtel très bas de gamme. Dans l’expérience client, les standards peuvent être les mêmes, mais la façon de les opérer doit être le reflet de la promesse faite au client.
L’absence de réponse à un client : irritant de base.
Avec le service client d’une chaîne de cinémas. On pourrait penser que peu d’entreprises de premier plan ne répondent pas au client, et pourtant, j’ai un bel exemple. Me voilà au cinéma, vous savez l’expérience mise à mal par les plateformes en continu, l’expérience qui doit se réinventer, s’enrichir, faire vivre de bons moments ? Chez Pathé Gaumont, la dernière campagne de communication affiche le slogan : « Les plus belles histoires commencent ici ». En voici une. Le 25 août je vais voir le film « Anatomie d’une chute », la palme d’or de Cannes (ça pourrait donner un bon titre pour un billet dans quelques années sur l’expérience au cinéma).
8,80 la place, avec une carte de 5 places, soit un mois et demi d’abonnement à Netflix (la formule avec publicité). Même avec la réduction, si on compare aux cinémas à moins de 20 minutes de celui dans lequel je suis allé, c’est le tarif le plus cher autour de moi.
Un des deux sièges réservés pour la séance est cassé. Vous avez connu cette sensation certainement… Il n’y a presque plus de mousse dans le fauteuil et le mécanisme grinçant vous bascule en arrière lorsque vous vous asseyez, le fauteuil est branlant. Je note aussi un trou dans l’écran qui provoque une tâche lumineuse qui ne cesse de m’obséder pendant la projection. Je décide de faire une réclamation. Je cherche la rubrique « nous contacter » du site et je découvre qu’il faut être connecté à un compte client. Je n’ai pas envie de rechercher mes identifiants, je vais sur X (anciennement Twitter) et j’adresse une photo de mon billet avec un texte factuel et bien senti avec une petite touche d’humour pour leur indiquer que mon canapé est plus confortable que la salle de cinéma. Message envoyé le 4 septembre, réponse le lendemain. « Bonjour, Nous avons transféré votre demande à votre cinéma. Bonne journée. » Sans réponse le mercredi, je relance. Réponse « Nous ne connaissons pas les délais de traitement de l’ensemble de nos cinémas. Elle vous parviendra par mail dans les meilleurs délais. Bonne journée. » Quand je lis « meilleur délai », je crains souvent le pire. Vendredi, je fais une relance qui reste sans réponse. Jeudi 28 septembre, soit 24 jours après ma première demande, et sans nouvelle de mon cinéma, je relance. Réponse sur X : « Bonsoir, Nous n’avons pas accès à votre historique de messages donc merci de préciser quelle était la demande. Merci d’avance ! ». A ce stade, je ne peux pas conclure sur cette irritante expérience. J’attends encore. On pourrait penser, comme je le disais en introduction, que les marques de premier plan ont à cœur de faire le minimum attendu, à savoir répondre au client dans des délais acceptables.
La seule leçon à tirer de cet irritant est qu’il existe des fondamentaux auxquels les grandes marques, et toute personne bien intentionnée dans le commerce, doivent être attentives. Le système semble ici peu vertueux. La réponse est faite en 24h, le dossier est clos. L’historique est supprimé. La demande est transmise au cinéma qui ne répond pas. Peut-être que personne ne suit les réponses aux clients, personne ne mesure la satisfaction des réclamants… La poussière est poussée sous le tapis.
Eroder la confiance du client : l’irritant des irritants.
A l’atelier d’un grand constructeur automobile. Dernier irritant et insatisfaction majeure qui me fait presque perdre mon humour : passage en atelier d’un constructeur automobile. Nous sommes en pleine canicule cet été et la climatisation de mon antique Renault Clio tombe en panne. Premier reflexe : je me tourne vers les champions de la satisfaction. Je vais chez Norauto les yeux fermés et la personne qui m’accueille me pose plusieurs questions au sujet de ma panne. Il me conseille d’aller chez le concessionnaire de la marque. Je m’exécute, conforté dans l’idée que je trouve toujours les meilleurs conseils chez Norauto. J’ai confiance en eux.
Je prends rendez-vous par téléphone pour dans 20 jours et je me mets à penser à ces trajets en pleine transpiration la fenêtre ouverte qui m’attendent. Le jour du rendez-vous arrive. Première question : « C’est quoi le modèle de votre voiture ? ». Ma réponse : « Bah une clio ». « Oui mais c’est quel modèle ? » me demande-t-il. Ma voix de client idiot entonne : « Je ne sais pas. ». « Vous ne connaissez pas le modèle de votre voiture ? » finit-il sur le ton de l’expert à qui personne n’a dit que beaucoup de clients ne s’intéressent pas comme lui aux modèles des véhicules. Cet échange est un signe que le monde de l’automobile n’a pas fait sa transformation profonde. Des experts parlent aux idiots qui viennent faire réparer leur moyen de transport au tarif le plus élevé.
Puis l’homme en charge de l’accueil de l’atelier me pose sensiblement les mêmes questions que celui de Norauto et me dit qu’il va m’envoyer un devis par mail dans quelques heures. Je reçois le devis d’un montant de plus de 800 euros. A la transpiration de mes trajets s’ajoute celle de devoir payer pour réparer la climatisation. Bien que le réchauffement climatique me pousse à faire l’investissement, je lui dis que je ne vais pas faire les travaux et que je vais venir chercher ma voiture (Je passe sur le fait qu’on ne m’a pas proposé de voiture de prêt pour la journée, ce qui est un vrai service en région lorsqu’il n’y a pas de transport en commun disponible). Retour à l’atelier pour la réalisation de la promesse « longue vie aux voitures à vivre ».
L’employé me rend les clés et me présente une facture de 110 euros. Je lui demande à quoi ça correspond. Il me dit « Ben c’est le diagnostic ! ». « Mais je n’ai jamais demandé un diagnostic ! ». « C’est comme ça, c’est payant. Sinon tout le monde viendrait faire un diagnostic gratuit et ferait réparer ailleurs ! » Plutôt ulcéré par cet échange et décidé à investiguer le bien fondé de cette facture plus tard, je paye. Je reçois un questionnaire de satisfaction et j’autorise le constructeur a publier mon avis sur internet. Je mets zéro et j’explique mon insatisfaction. J’ajoute que je vais demander à la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) son avis sur ma facture. Quand on dit DGCCRF à un professionnel, c’est comme si on disait Elise Lucet à un PDG. Le responsable de l’atelier m’appelle pour en savoir plus. Je lui explique en détail mon expérience en précisant qu’à aucun moment on ne m’a dit que le diagnostic était payant et qu’aucun document en ma possession ne le précise. Il me rappelle quelques heures pour tard pour me demander mon RIB afin de me rembourser, présenter ses excuses sincères et m’inviter à changer mon avis. Ce que je ne fais pas. Pour votre information, et comme par magie, mon avis n’est pas publié. L’affaire est enterrée. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Avec une petite manipulation, la réputation est intacte et les affaires reprennent.
Je repars à zéro et je m’inquiète de cette climatisation en panne. Le garagiste indépendant de mon village m’alerte sur le fait que ce n’est pas la climatisation qui est en panne mais le refroidissement du moteur. Glups. Il faut donc faire réparer. Et lui ne peut pas le faire. Je prends rendez-vous dans un autre garage de la même grande marque qui m’indique qu’un diagnostic de 40 euros sera fait. Puis il m’envoie un devis à 400 euros pour faire la réparation. On prend rendez-vous pour l’intervention et il me demande si j’ai besoin d’une voiture de prêt. Deux fois moins cher, deux fois plus clair, deux fois plus satisfaisant. Je suis stupéfait.
Moralité : gagner la confiance des clients lorsqu’on vend des produits à 35.000 euros (en moyenne) est essentiel pour la survie de la marque. Comme je l’ai déjà écrit sur mon blog, si la marque consacrait ne serait-ce que 5% de son budget publicitaire à l’amélioration de l’expérience client (soit près de 21 millions d’euros au total et 38000 euros par concession selon mes calculs), elle favoriserait un meilleur équilibre entre sa promesse et ses preuves. Le secteur automobile se transforme et va poursuivre dans les années qui viennent ses évolutions profondes qui donneront une place encore plus importante au service, à l’expérience. J’ai le sentiment que certaines marques sont en retard.
Les irritants valent la peine d’être partagés comme source de réflexion et de débat entre personnes en charge de l’expérience client. Je ne cesserai de m’indigner car l’indignation est à la base du sens du client comme je le disais dans mon billet du mois de juin dernier.
1084ème billet signé Thierry Spencer, conférencier, créateur du blog Sens du client, co-fondateur de KPAM Next.