18 novembre 2017

Florence Désert (Air France) et le Sens du client

Je suis heureux de vous proposer aujourd'hui les réponses au questionnaire du Sens du client de Florence Désert, Directrice de la Culture Client d'Air France. C'est une femme de conviction, une professionnelle de la relation client dont la fonction originale indique la volonté de la compagnie de se distinguer dans le domaine de la relation client en agissant sur la culture de l'entreprise.
Je me souviens qu'elle a accepté un jour de faire une intervention devant près de 1500 personnes chez un des clients de l'Académie du service, lors du lancement d'un grand projet. Ce qui m'a frappé, c'est son bon sens et son humilité. Le public s'attendait à un discours convenu sur l'expérience client, formaté et sans saveur, il a eu l'inverse. Florence Désert a cette capacité de partager simplement la réalité de son métier, de ne pas occulter ses difficultés et de partager ses convictions. Son discours porté par la passion n'en est que plus fort et nous fait aimer davantage Air France, une entreprise récompensée de nombreuses fois dans le domaine de la relation client (Palme de l'AFRC 2016, cinq fois premier au Podium KantarTNS BearingPoint,...).
Florence Désert est une personnalité qui compte dans le monde de la relation client et je me réjouis de partager avec vous l'interview qu'elle a bien voulu m'accorder.

Qui êtes-vous ?

Je suis Directeur de la Culture Client pour Air France depuis 2015. Cette fonction consiste à développer la culture client au sein de l’organisation Air France, du Comex aux collaborateurs frontline en passant par les supports. C’est en quelque sorte pour moi, l’aboutissement de 30 années au sein de la Compagnie, entièrement dédiée au service du client, entre autres en escale où j’ai pris des responsabilités managériales au Terminal 2B de CDG, aux Grands Comptes, puis dans les centres de relation client d’Air France avec la création du numéro 3654 et de l’interconnexion des centres,  ainsi que dans le monde B2B du Cargo comme Directeur de marché en Grande Bretagne puis des marchés Français, Africains et DomTom .

Selon vous, pour une entreprise, qu’est-ce qu’ « avoir le sens du client » ?

C’est une entreprise dont la finalité systématique et permanente est le client.
Cette entreprise sait traduire sa raison d’être, son ambition et donc ses produits et sa relation client en bénéfices tangibles et clairement compris par ses clients. Très concrètement, j’ai pu le mesurer quand j’exerçais le métier de chargé d’affaires grand-comptes. Quand un produit avait été mal pensé, ou disons pensé sous un angle exclusivement producteur, quelle énergie à rechercher désespérément l’angle bénéfique pour le client et quelle frustration  parfois de ne pas le trouver ….
Comment repérer la sensibilité client d’une entreprise ? On peut la mesurer là où le contact entre l’entreprise et le client va avoir lieu, par exemple, là où la relation client s’opère, c’est-à-dire à distance - téléphone, média sociaux, assistance web -  en face à face, dans la conception du produit lui-même. Ce n’est pas un hasard si toutes les entreprises montent des enquêtes de satisfaction jusqu’à l’overdose sur chacun de ces points de contact car le ‘rendu’ de l’expérience que l’on veut faire vivre au client se passe à ce moment crucial où un représentant de l’entreprise va entrer en relation avec son client. Si ce représentant  n’a pas d’appétence pour son client ou pour le service, il détruit de la valeur immédiatement, et l’entreprise concernée, à moins d’être en milieu non concurrentiel, ne survivra pas.
On comprend donc pourquoi la majorité des entreprises se lancent dans l’écoute client à 200%.
Mais cela ne suffit pas à mon sens.
Pour juger de la profondeur du sens du client d’une entreprise, il faut aussi aller chercher du côté des fonctions support. Lorsque ces derniers ont des objectifs directement rattachés à des bénéfices clients alors on peut dire que oui, cette entreprise a le sens du client.
Enfin et bien évidemment, l’obsession du client doit être orchestrée, portée par les dirigeants de l’entreprise qui donnent le ton, l’exemple, et fixent le cadre. A Air France par exemple, nous avons fait entrer le client au sein d’un Comex au départ plutôt « ingénieur » par le biais du baromètre client systématiquement discuté et commenté, de la symbolique de la chaise du client repérable et censée marquer la présence du client au plus haut niveau de l’entreprise, mais aussi des appels de clients plutôt détracteurs de la marque par ses dirigeants. C’est déjà un bon début.
Mais on peut perdre le sens du client : une crise de croissance, une crise tout court, et tout peut être à recommencer….

Que pensez-vous de l’évolution de la relation client en France ? 

La relation client est traversée par des secousses telluriques depuis quelques années ; Elle est à la croisée des chemins : si l’on a compris que la relation client est un investissement et non un coût, alors l’humain dans la relation client trouvera sa partition à jouer, celle de l’émotion en général et de la réassurance en particulier ;
Si elle n’est vue que comme un coût, l’humain sera réduit au strict minimum et encore, en laissant place à des dispositifs exclusivement digitalisés qui appauvriront la relation client et les entreprises qui suivront ce schéma à l’excès.

Ce dernier scénario n’est malheureusement pas inévitable car la gestion purement comptable des entreprises est une réalité. On le constate encore en tant que client, dernièrement dans le parking où je suis abonnée, l’obstruction du local de service avec une vitrophanie opaque, nous a fait comprendre à nous clients, qu’il ne fallait plus s’adresser aux représentants de la société de parking, et donc que ces personnes n’étaient plus à notre service. Aucune information officielle mais du jour au lendemain, impossibilité de parler à quelqu’un et unique recours au digital pour exprimer une insatisfaction sur une plateforme sibylline, où la possibilité de faire des commentaires ou signaler quelque chose est un vrai parcours du combattant. Clairement, cette – très- grande entreprise n’est absolument pas intéressée par ses clients. C’est pour moi une régression absolue, « une fin du monde » en quelque sorte en matière de service ….

La digitalisation doit créer de la valeur pour le client : de la fluidité, de la personnalisation, du confort, de l’autonomie et pour l’entreprise du confort aussi, en la délestant des tâches répétitives pour réorienter ses collaborateurs vers des missions plus complexes ou plus émotionnelles.
Bien des entreprises ne focalisent que sur de la productivité absolue, en oubliant le bénéfice client. A Air France, nous pensons que le digital doit se fondre dans le parcours client en laissant la place à l’humain dès lors qu’il y a un besoin de réassurance ou de problème complexe à résoudre et à l’automatisation ou la digitalisation quand le client y trouve son compte.

Avez-vous une anecdote, un exemple de relation client remarquable ?

Je réalise que chaque anecdote que je considère comme exemplaire dans la relation client, est toujours associée à un problème que j’ai rencontré et à la confiance que l’entreprise m’a accordée.
Que ce soit pour le rosier commandé sur le web à la société « David Austin Roses », rosier arrivé mort à mon domicile ou le blouson Swildens livré dans une mauvaise taille, j’ai été à chaque fois impressionnée par la façon dont ces deux entreprises ont su réparer le dommage
Dans le 1er cas, aucune vérification, aucune demande de preuve de ma bonne foi, et surtout, la promesse de me renvoyer un nouveau rosier, en me conseillant d’attendre 6 mois, pour avoir une bien meilleure qualité de rosier. Et 6 mois plus tard, sans même avoir eu besoin de me rappeler à l’entreprise, je suis livrée. Fin de l’histoire mais confiance et suivi ont été là les ingrédients qui m’ont donné un goût de « revenez-y ».
Dans le 2ème cas, une conseillère au téléphone sincèrement désolée, qui ne veut pas que j’attende et qui m’envoie immédiatement un coursier avec ma commande à la bonne taille, sans même que je ne le lui réclame. Réception du blouson, avec petit mot personnalisé, là encore les mêmes ingrédients que dans le cas précédent avec en plus la personnalisation finale, le petit mot d’excuse qui fait plaisir.
A Air France, nous nous rendons compte tous les jours que nos clients, même ceux qui passent plus de temps dans nos avions qu’avec leur famille, ceux-là mêmes que l’on pourrait croire un peu blasés, peuvent être profondément touchés par un petit mot , tout simple écrit à la main sur un siège, par une hôtesse ou un steward qui aura pris l’initiative de le remercier de voyager avec nous.

Aimer le service n’est pas donné à tout le monde. Le recrutement est clé pour que l’entreprise soit orientée client le plus possible en essayant d’attirer des passionnés du service, que ces collaborateurs soient sur des postes en contact ou non avec le client. Mais cela n’empêche pas, bien au contraire, le travail sans relâche sur la culture client au sein d’une organisation car ce travail ouvre les chakras et les consciences et l’on obtient de belles victoires au quotidien.

149ème interview réalisée par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service. Retrouvez les autres interviews dans la rubrique dédiée.

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