De mon expérience comme acteur de la relation client dans l'entreprise et depuis peu en tant que conseil, je tire une leçon essentielle à propos du sens du client, c'est à dire l'orientation client des entreprises : la conviction n'est rien sans la preuve et inversement.
Je distingue donc quatre catégories d'entreprises :
LES DÉCONNECTÉES, entreprises pas convaincues et sans preuves ni moyens de prouver la rentabilité d'un investissement.
Il y a quelque temps, le patron d'une entreprise employant quelques centaines de salariés m'invite à déjeuner pour faire connaissance et me proposer d'intervenir comme conférencier. Il me fait part de son intérêt pour la relation client, ayant lu quelques articles et observé des concurrents prendre des initiatives dans le domaine. Je lui pose un certain nombre de questions, le confronte à son expérience de client à titre personnel et il me répond "Je vois que vous ne connaissez pas bien notre métier, il est si particulier qu'on ne peut pas le comparer à celui de n'importe quelle autre entreprise". Je lui demande alors s'il mesure la satisfaction des clients par exemple, et s'il est en capacité de trouver dans son entreprise la preuve de la rentabilité d'un investissement. "Je connais très bien mes clients même si nous n'avons jamais mesuré leur satisfaction, nous nous portons très bien d'un point de vue économique et pour moi c'est la meilleure preuve". Je ne peux pas donner tort à cet homme qui dirige son entreprise et la fait prospérer. Après tout, ses collaborateurs font certainement très bien leur métier au quotidien, son produit et son service sont certainement de qualité, peut-être est-ce un bon manager. Finalement, il n'a pas retenu ma proposition de conférence.
Qu'adviendra-t-il lorsque l'un de ses concurrents offrira un meilleur service et que ses clients le quitteront sans qu'il s'en aperçoive ?
LES SUIVEUSES, entreprises pas convaincues, mais disposant de preuves de l'intérêt de s'orienter client.
J'ai connu des entreprises de cette catégorie dans mes rencontres et mes missions. Chaque jour et à chaque comité de direction, les personnes en charge de la relation client -ou s'y intéressant- savent y apporter la preuve qu'il faut maintenir les investissements, surveiller les indicateurs car ils sont le fragile argument de la conviction toute rationnelle des dirigeants et des actionnaires. Mais la relation client n'a rien d'un projet d'entreprise ni d'une source de motivation, le Président base ses discours sur les résultats financiers et glisse ici ou là une jolie phrase telle que "le client est au cœur de nos préoccupations" (c'est d'ailleurs dans le rapport annuel depuis 10 ans). C'est le genre d'entreprises ou les décisions sont prises par obligation de se conformer avec les standards du marché, mais pas de nature à se différencier. Chaque décision est une bataille pour les personnes qui défendent le point de vue du client, car ils doivent compenser cette absence de vision par des tonnes d'arguments rationnels. Les preuves seront toujours insuffisantes à convaincre les plus rétifs à l'orientation client, et les personnes convaincues finiront par s'épuiser ou quitter l'entreprise.
Lorsqu'il m'arrive de faire une conférence dans une de ces entreprises, on me dit parfois "c'est dommage que le Président n'était pas là pour vous entendre !".
LES INTUITIVES, entreprises convaincues mais sans preuves ni moyens de prouver la rentabilité d'un investissement dans le domaine de la relation client.
Dans ce type d'entreprise, tout le monde s'accorde à bien servir le client et se démener pour le satisfaire. Le client y est Roi mais pas R.O.I. (retour sur investissement). Ce sont les entreprises dont les salariés imaginent que les clients sont satisfaits, étant donné les efforts qui sont faits au quotidien. Le Baromètre Cultures Services montre d'ailleurs qu'il existe un écart très important entre la satisfaction réelle des clients et l'idée que les collaborateurs s'en font. Les collaborateurs s'investissent tellement dans la relation client qu'ils surestiment la réalité du client pour la simple et bonne raison qu'ils ne la connaissent pas bien. Dans ce genre d'entreprises, on ne sait pas ce que signifie exactement satisfaire un client, quels sont ses irritants, quels sont les moments clés de la relation. On produit et on sert avec passion, guidé par un management convaincu des efforts à faire, on arrive à résoudre les problèmes des clients, on investit dans tout ce qui peut améliorer l'expérience du client. C'est dans ce genre d'entreprises que les réclamations sont bien traitées, avec zèle et application, mais on n'y mesure pas le retour sur investissement précisément. On agit par conviction, de façon intuitive. Cette situation peut durer et les entreprises de cette catégorie ont du succès et connaissent la croissance. Mais cette situation peut s'avérer fragile lorsqu'un nouveau venu pénètre le marché et le bouleverse, ou bien lorsqu'un nouveau dirigeant est nommé, ou encore lorsque les actionnaires changent. Les passionnés du client trop naïfs vont alors souffrir car il faudra comprendre la nouvelle situation, il faudra apporter des preuves de la rentabilité des investissements, et la conviction ne fera pas tout.
LES EXIGEANTES, entreprises convaincues de l'intérêt de l'orientation client et disposant de preuves pour l'affirmer et la faire vivre.
Généralement, on trouve certaines de ces entreprises parmi celles qui sont chaque année distinguées dans les différents prix ou trophées de la relation client. J'en fais la liste dans mon billet annuel intitulé Le prix des prix. Il suffit d'écouter la personne qui vient sur scène, en général un(e) dirigeant(e), prendre son prix pour détecter la conviction profonde et le plaisir de mesurer les efforts. Dans ce genre d'entreprise, on ne se contente pas des discours, on évalue chaque décision et on fait preuve d'une grande exigence envers tous ceux qui sont passionnés par la relation client. Par exemple, les investissements dans le CRM y sont maintenus dans le temps et leur rentabilité est prouvée, les études de satisfaction servent à toute l'entreprise, le service client évolue avec les attentes du client, les réclamations sont une source d'amélioration, le positionnement et la promesse sont clairs pour tous les collaborateurs et les clients. Chaque dirigeant est capable de justifier les investissements au bénéfice du client ; les collaborateurs et les prestataires sont responsabilisés et heureux d'apporter une contribution à la réussite de l'entreprise.
Ces entreprises ne sont pas si rares qu'on l'imagine et leur réussite tient au fait qu'elles ont de fortes convictions combinées à la farouche volonté de les prouver.
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