10 octobre 2015

Comment les nouveaux modes de consommation du client impactent le management

La 9ème conférence des Talents de la Relation Clients, portée par la Fondation Service Lab avait pour thème cette année « Métamorphoses : les modes de vie qui font les nouveaux services ». Le vendredi 25 septembre dernier, plus de 230 personnes se sont retrouvées pour assister à plusieurs interventions dont je vous livre une synthèse personnelle.
Economie collaborative : nouveaux modes de vie et de consommation

Gilles Lipovetsky, philosophe et sociologue, s'exprimait à propos des métamorphoses des modes de vie contemporains : "L’Hyper consommation est centrale dans notre vie quotidienne. Elle est devenue le principal levier de la croissance et de l’économie de notre Société : nos gestes élémentaires sont aujourd’hui pris dans une logique marchande." 
Il fait état de quatre logiques de fond :
  1. L’Individualisation. L’hyper consommation engendre un hyper individualisme. Les pratiques sont délinéarisées et désynchronisées : aujourd’hui la consommation est éclatée, à la carte. A chacun son mode de vie, ses objets, son emploi du temps, sa mode, ses loisirs, son alimentation….
  2. L’évolution des pratiques de classes. L’identification à une classe est moins forte : la même consommatrice peut s’habiller chez Zara ou Gucci elle est nomade, volatile, imprévisible, fragmentée. Les attentes sont de plus en plus contradictoires : la forte attente de gratuité dans les produits culturels, de loisir (musique, films …) et le désir de posséder des marques, du luxe, premium. L’aspiration à mieux vivre, conscience de n’avoir qu’une seule vie, le souhait de pouvoir accéder à l’ensemble de l’offre malgré un pouvoir d’achat limité. On assiste ainsi à une dérégularisation de la consommation.
  3. Vers un modèle consommateur émotionnel. La société d’hyper consommation coïncide avec la recherche d’une expérience émotionnelle. Il s’agit dans cette expansion des services loisirs, du capitalisme culturel, du capitalisme de l’expérience, de vendre du moderne, de l’utile, du vécu, de l’inattendu, de l’affect, de la sensation, du dépaysement. L’individu devient collectionneur d’expériences.
  4. Nos modes de vie s’orientent vers des opposés : hyper vitesse, sms, fast food, speed meeting culture où tout doit aller toujours plus vite, l’urgence au bureau comme dans la vie privée d'un côté. Et de l'autre : lutte contre l’accélération, prendre son temps pour vivre, savourer les moments vécus, slow food, slow money … éloge de la lenteur. Eloge de la marche à pied, décélérer, lever le pied, décongestionner nos agendas, le mieux plutôt que le plus, l’être plutôt que avoir. C'est la civilisation du léger (en référence à son dernier ouvrage).
L’économie du partage et du collaboratif heurte de front la dynamique de l’hyper consommation. Fondée sur l’échange, le troc, le don, elle touche tout le monde, tous les milieux.
On pourrait penser que l’économie collaborative va changer le monde, les mentalités et va faire reculer la logique de l’hyper consommation. Le goût de la possession recule au profit du partage, du prêt, de la location. On loue au lieu d’acheter, on répare, on s’attache au service plutôt qu’au clinquant. C’est réel mais cela ne va pas faire disparaître l’hyper consommation. Renforcement des marques, du premium, le désir d’être propriétaire de son logement perdure. L’homme moderne a la religion du nouveau pour rompre la monotonie, faire oublier les soucis.
En fait le Collaboratif permet de pouvoir continuer de consommer quand le pouvoir d’achat baisse ; louer une chambre chez un particulier c’est continuer à voyager même si le budget est limité…"

Jean-Marc Willman, Directeur Délégué en charge des Opérations de la MAIF, la compagnie d'assurance 11 fois en tête du Podium de la relation client de TNS Sofres Bearing Point dans son secteur (lire mon billet à ce sujet), s'exprimait lors d'un débat au sujet des nouveaux modes de vie :
"L’économie collaborative, c’est la rencontre entre une communauté et la confiance, une des valeurs très fortes de la MAIF. Nous avons une structure très horizontale, par exemple des sociétaires peuvent bénéficier d’un entretien avec l’un des 800 « militants », qui sont aussi sociétaires. On passe d’une certaine rationalité à un monde plus sensible, plus émotionnel, d’une relation contractuelle à une relation plus affective et communautaire. La révolution numérique permet des interactions entre individus sans intermédiaires, grâce à la confiance. 
Il s’agit d’accompagner la transformation culturelle. Nous sommes 7000 personnes à la MAIF, et travailler avec un écosystème de start-ups en externe nous amène à évoluer rapidement. On co-construit aussi en interne avec les équipiers pour accélérer le changement. On multiplie les labs en interne : Labo Innovation, et maintenant Lab Agilité, Labo  multi-canal, et développement de partenariats en externe.
Cela nous amène à des réalisations comme le MAIF Social Club, avec des sites collaboratifs : les sociétaires adoptent de nouveaux usages, en toute confiance. Ils en viennent à dire « on est à la MAIF » plutôt qu’« on est assurés à la MAIF ». 30.000 comptes ont été ouverts par les sociétaires, 200,000 sont venus voir. Il y a eu 6.000 annonces, 150.000 visites sur ces annonces, et c’est en croissance. Nous avons un taux de transformation très élevé avec nos partenaires."

Nouveaux modes de management : comment favoriser l'orientation client.

Claire Bonniol, Secrétaire générale de la Fondation Service Lab et Directrice associée de l’Académie du Service introduisait le sujet en ces termes : "Si l’on veut réussir la mise en œuvre de nouveaux services, ou de nouveaux business modèles dans le service, il va de soi que les modes de management doivent être également repensés. La métamorphose se niche aussi à l’intérieur des entreprises, avec un effort : celui de réduire les paradoxes que peuvent rencontrer les collaborateurs et les aider à faire vivre aux clients la meilleure expérience possible. Que ce soit en milieu industriel et B2B, ou dans les métiers d’origine service et B2C, les questions de l’orientation client et l’engagement des collaborateurs sont à observer et faire évoluer très régulièrement."

Jean-Luc Imhof, Directeur Général KUKA Robotique France, s'exprimait à ce sujet : "On ne peut pas se différencier par notre produit, même s’il est très élaboré technologiquement. Notre proposition de valeur : apporter un service avec l’innovation technologique. Ce que l’on veut, ce n’est pas simplement vendre un robot, c’est créer une relation récurrente avec nos clients. Cela nous a conduit à créer un nouveau métier, celui d’ingénieur support client, pour rester en contact avec le client à toutes les phases de son parcours."

Olivier Furrer, Professeur de marketing à l’Université de Fribourg, intervenant de ce débat, donnait sa définition de l'orientation client : "L’orientation client pour moi c’est collecter de l’information à propos des clients, la diffuser au sein de l’entreprise, puis réagir à cette information. Cela permet de véritablement personnaliser le produit. C’est ce que font Nespresso par exemple, qui a créé deux formats de capsule selon que ce soit une cible Entreprises ou Particuliers, ou encore IBM qui vend non plus des logiciels mais des résultats. Tout l’enjeu sera de créer le mieux possible de la personnalisation."

L’indispensable engagement des collaborateurs

Robin Blondel, Directeur Produit et marketing, Exki était un des invités de ce colloque et rappelait la philosophie de son enseigne de restaurants : "Exki a 15 ans, c’est une enseigne née en Belgique, à l’époque où il n’y avait que des Quick ou des friteries. Sa promesse dès l’origine était d’offrir un moment de répit dans nos vies urbaines stressées, un « break from the rush », une pause de qualité. Exki porte très fortement 2 valeurs principales : l’honnêteté, et « servir le client comme j’aimerais être servi ». C’est aujourd’hui 78 magasins, 1000 collaborateurs, et 50 000 clients par jour. L’effort sur l’humain très important : on forme beaucoup les équipes, on croit dans la co-création, et on mesure l’engagement des collaborateurs en ligne, à tous les niveaux de la chaîne, en front et en back-office. Sur certaines questions, on mesure le NPS (par la question « est-ce que vous recommanderiez Exki, pour venir y travailler »), avec un résultat de 45 (lorsqu’un bon NPS est en moyenne de 10)."

Cécile Delcourt, Professeur de marketing à l’Université de Liège nous a apporté sa vision de l'engagement des collaborateurs et quelques chiffres et citations : "En France, selon une étude d’Isaac Getz, 11% des collaborateurs sont activement engagés, 18% désengagés, 71% viennent pour des raisons alimentaires. L’engagement, c’est à la fois du plaisir et l’énergie. En revanche, si un individu possède beaucoup d’énergie mais peu de plaisir, c’est un workaholic et s’il ne possède ni énergie, ni plaisir,  il court des risques de burn out. 
Vineet Nayar (dans son livre "Les employés d'abord les clients ensuite") parle bien de la façon d’avoir dans son entreprise une approche basée sur le comment plutôt que sur le quoi ; il évoque notamment l'action de renverser la pyramide et de placer les créateurs de valeur (c’est-à-dire les employés en contact du client) au sommet de la pyramide, et de voir ce que peuvent faire les managers pour servir au mieux leurs employés."

Elle posait dans sa conclusion les enjeux de l'empowerment (la responsabilisation et l'émancipation des collaborateurs) :
"En fait on est encore loin de l’empowerment « donner du pouvoir aux employés pour répondre aux clients » : la logique « command and control » est encore très présente dans les entreprises. Pourtant on trouve dans certaines entreprises l’empowerement. Par exemple un employé du Ritz Carlton dispose d’un montant de 2000 $ pour répondre à un problème du client, par jour, par incident client : pas besoin de remonter auprès de sa hiérarchie, vous êtes digne de confiance et responsable si vous estimez que cela est nécessaire. Quel que soit son rang, on peut prendre son rôle de créateur de valeur."

L’importance de la recherche et du partage

Jean-Jacques Gressier, Président de l’Académie du service, entreprise à l’origine de la Fondation Service Lab, rappelait l’importance de la recherche et du partage, à l'origine de ce colloque : "Les clients sont aussi les clients d’Apple, d’Amazon… qui chacun dans leur domaine fixent le niveau d’exigence, définissent des standards de qualité de service. L’univers concurrentiel d’une entreprise en est donc élargi, le client nous compare à toutes ses expériences d’achat. Dans le monde du conseil, face au client, on se doit d’être affuté, d’avoir un coup d’avance. Faire l’effort d’écrire, de publier est une occasion de partage. Le partage est indispensable pour observer et suivre le monde des services qui évoluent à toute vitesse".
Paul  Pietyra, Président Aktan, soutien de la Fondation, ajoutait :  "Les entreprises n’investissent pas assez dans le service, si on compare à la R&D dans l’industrie ou les produits. Regardons au contraire IBM ; ils réussissent à se réinventer, leur prisme toujours renouvelé, ils viennent d’investir 100 millions de dollars pour recruter des designers de service ; ils prennent un temps d’avance toujours au bon moment."

Retrouvez les compte rendus complets de ce colloque sur le blog de l'Académie du service, dont les verbatims de ce billet sont issus :
La recherche et le partage
Les métamorphoses des modes de vie contemporains
L'évolution des modèles de service
A nouveaux modes de consommation, nouveaux modes de management

Billet écrit par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service. 

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