02 mai 2015

L'excellence de la relation client par les compétences : un livre blanc et une conférence (1/2)

C'est dans les locaux de l'ENA le 8 avril dernier que s'est tenue la conférence de lancement du livre blanc de l'Institut National de la Relation Client. Au cours de cette soirée, j'ai eu la charge d'animer les deux tables rondes réunissant de grands témoins, dont la plupart étaient participants du livre blanc. Je vous propose dans ce billet la première partie du compte-rendu avec les témoignages d'Orange, de Teleperformance et du Secrétariat Général à la modernisation de l'action publique.

La symétrie des attentions en introduction
Christian Pierret (ancien ministre et Président d'honneur de l'INRC), très inspiré, déclarait en introduction "Il faut élargir la prise de conscience de la nécessité d'une qualité dans la relation client dans la culture profonde de toutes nos entreprises et dans celles de nos décideurs" et ajoutait "Etre compétent c'est la rencontre équilibrée entre un savoir, un savoir-faire, un savoir-être d'une part et les attentes de nos clients d'autre part. Le défi réside dans la composition de cet équilibre au bénéfice du client, de l'entreprise, mais évidemment au bénéfice des salariés et des partenaires de l'entreprise.". A propos de Symétrie des attentions, il ajoutait : "La relation client évolue pour passer d'une bonne ou moyenne relation pour tous -à laquelle nous sommes habitués- à l'excellente expérience pour chacun de nos clients et chacun de nos collaborateurs." (...)"Prendre la mesure de l'importance du bien-être de ses collaborateurs, de ses partenaires autant que de la satisfaction des clients, c'est un principe clé d'un équilibre humain : ce que l'on peut appeler la Symétrie des attentions."
Eric Lestanguet, président de l'INRC présentait un rapide bilan de l'INRC ainsi que ses perspectives : "Nous avons élaboré ensemble une feuille de route de l’INRC « compétences 2020 » qui doit nous permettre de faire en sorte que la relation client soit durablement perçue comme un investissement essentiel pour l’excellence de nos entreprises. Pour trop d’entreprises la relation client est considérée comme un coût et pas comme un levier d'excellence et de business".


La genèse du livre blanc
Les deux livres blancs de l'INRC qui ont mobilisé une vingtaine d’entreprises sont issus de think tanks dont le deuxième "L'excellence de la relation client par les compétences" a été conduit par Eurogroup consulting. Dans son introduction, cette société de conseil rappelait l'origine de ce second opuscule. Le constat fait par l'INRC lors de sa création montrait la faiblesse de la France dans sa capacité à délivrer un niveau de relation client d'excellence. La France, selon l'analyse d'Eurogroup (par la voix de Martin Dufourcq), est capable de délivrer une relation client dans la compréhension, dans la conformité et parfois même en dépassant les attentes, mais réussi plus rarement à être dans l'effet "wahou", l'excellence, la connivence et délivrer au delà des espérances.
Sur la base de ce constat, le think tank a été créé avec les entreprises suivantes : Orange, BNP Paribas, Teleperformance, Engie (GDF Suez), SNCF, CDiscount, Accor et Babylou.
La publication répond en somme à la question "quelles doivent être les compétences pour franchir ce palier qualitatif de l'excellence ?", au delà de la relation à distance, en prenant en compte la relation physique, le B2B et le B2C.

A l'occasion de sa sortie, l'INRC a voulu faire témoigner des représentants des sociétés contributrices mais aussi d'autres témoins à propos de l'excellence de la relation client par les compétences.

Orange vers le "digital humanisé"
Interrogé sur la stratégie de l'opérateur, Philippe Bernard, Executive Vice President Group Sales and Care d'ORANGE répondait : "Notre nouveau plan Essentiel 2020 vise à mettre au cœur de la stratégie la relation client et l'excellence client. L'important, c'est que cela soit porté par le Président, que cette excellence soit également portée par l'ensemble du management, et ce, pour que les employés se sentent reconnus dans ce qu'on leur demande, qu'ils se sentent soutenus".
"Tous nos clients demandent à être accompagnés dans cette évolution digitale. Le succès de cette transformation sera de mettre l'humain dans une posture de "premiumisation", c'est à dire apporter un accompagnement différent, une vraie valeur ajoutée."
Les détails du plan Essentiel 2020
Philippe Bernard a rappelé les points essentiels du nouveau plan annoncé le 17 mars dernier : "Des points ont été définis comme les éléments de gravité du plan : réinventer l'expérience du réseau en visant le zéro défaut. Le réseau doit reconnaître l'utilisateur comme unique. Par exemple les directeurs techniques ont un objectif de dropcall (la rupture d'appel) à 0,47 et ils obtiennent 0,45. La sensibilisation passe par la vision du nombre d'appels vs le pourcentage. Par exemple, en Angleterre, on dénombre 10 millions de ruptures par semaine. 
Nous voulons réinventer la relation client, aller vers le "digital humanisé".
Nous allons concevoir de nouvelles boutiques, de nouveaux plateaux, avec des postures d'employés beaucoup plus ouvertes.
Nous avons comme ambition de construire un nouveau modèle d'employeur, digital et humain.
Et enfin nous menons la transformation du client entreprise et la diversification (mobile banking, objets connectés)"
Concevoir des "smart stores"
Réagissant à ma question relative aux annonces faites par le Président d'Orange qui envisage la création de "smart stores", Philippe Bernard répondait "Aujourd'hui, un client qui rentre dans une boutique sait exactement ce qu'il veut, comme quand il rentre chez un concessionnaire auto. Ce n'est plus un problème d'information mais d'aide au choix. Nous passons, dans notre nouveau concept de boutique, d'un lieu de placement avec des experts de la vente, à un lieu avec des personnes capables d'écouter, de comprendre, d'apporter une valeur ajoutée par rapport à ce qu'on peut trouver sur internet et conseiller. On est dans une logique de découverte, de test, d'accompagnement. 
A l'avenir, il y aura moins de boutiques mais elles seront plus grandes. Les employés vont changer, on ne va pas recruter les mêmes, on va former les employés davantage autour de l'empathie de l'approche, autour de la déclinaison de la promesse Orange dans des attributs d'attitude (ce qui est fait en Roumanie actuellement). Dans la symétrie des attentions, le parcours employé va devenir plus important que le parcours client. Le management va évoluer lui aussi avec une part conséquente du bonus pour accompagner les employés dans cette transformation."
On voit au travers de ce témoignage que l'opérateur, face à une concurrence plus forte, a fait le choix de se distinguer par la qualité du service rendu. Je note que dans cette transformation, il est question principalement d'un plus grand focus sur les collaborateurs et de Symétrie des attentions (quand la qualité de la relation entre les personnels et les clients est égale à la qualité de la relation entre les personnels et l’entreprise).

L'appel de Teleperformance
Autre intervenant de la table ronde, Lucio Appolonj Ghetti Président de Teleperformance France partageait son point de vue en tant que prestataire, et lançait une forme de requête : "Souvent le prestataire est le maillon faible. On parle d'excellence, mais si on veut vraiment avoir de l'excellence, il faut mettre les moyens pour l'obtenir. On demande de plus en plus aux conseillers clients ; il y a vint ans, on leur demandait de parler 30 minutes par heure, aujourd'hui avec des moyens informatiques évolués, on leur demande de produire beaucoup plus, soit environ 45 minutes par heure. On leur demande de parler de plus en plus et de plus en plus vite, de répondre à plus d'appels et en plus d'enchanter les clients. C'est difficile ! L'excellence, c'est permettre de mieux former ceux qui répondent aux clients, leur donner plus de temps et réduire les rythmes de travail."
Répondant à ma question sur l'évolution des attentes des collaborateurs, Lucio Appolonj Ghetti déclarait : "Jusqu'en 2009, du fait de la situation économique et des investissements des entreprises dans la relation client, les débouchés étaient intéressants pour ceux qui entraient dans les métiers de la relation client à distance. Après cette période, la grande insatisfaction des collaborateurs tient à ce sujet."
A propos de l'évolution des compétences, il ajoutait : "Le réflexe du client dans le cas d'un besoin d'assistance technique par exemple est de chercher la solution en ligne puis d'appeler ensuite. Aujourd'hui le conseiller client au téléphone doit être mieux formé pour être capable de répondre à un client plus compétent."
Dans sa contribution, le Président de Teleperformance rappelle que les déclarations des entreprises s'agissant de l'excellence de la relation ne sont souvent pas suivi par des actes. La relation client souffre encore d'une vision financière, court-termiste et industrielle. Faire des économies chez son prestataire revient à dégrader la qualité de la relation client. Mais, comme l'avait signalé l'INRC dans son premier livre blanc, on parle encore de "donneur d'ordres" quand on parle d'entreprise cliente. Une telle acception illustre bien l'idée selon laquelle les prestataires ne sont pas considérés comme des partenaires au service d'une seule ambition, la satisfaction du client final, mais comme des exécutants générateurs de coûts.

L'évolution des services publics
Nicolas Conso, Chef du service Innovation et Service aux usagers au Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique, s'exprimait à propos de son intérêt pour ce livre blanc : "Nous avons les mêmes clients et les mêmes attentes dans les services publics que dans les entreprises participantes au livre blanc. Nous avons beaucoup d'intérêt dans la valorisation des métiers, car dans les services publics et l'Administration, ce n'est pas un réflexe premier que de valoriser les métiers de l'accueil et du service. Les services publics sont un service pré-payé par l'impôt, et la notion de service est cruciale pour le regain de confiance nécessaire."
"Nous impulsons une orientation que l'on retrouve dans le livre blanc dans les témoignages d'entreprises privées, c'est à dire repenser le parcours usager. Nous avons bâti l'action de simplification autour des événements de vie et non pas autour des services et administrations. Par exemple : sur la perte d'un proche, un événement tragique sur lequel nous avons en cinq ans divisé par deux la complexité perçue." 
Le modèle inversé du service public
"Une de nos caractéristiques est que nous ne choisissons pas nos clients, et nous devons rendre un service à la fois massif et personnalisé.
Je dirais que nous avons un modèle inversé, car les services premium pour nous, ce sont ceux que l'on délivre aux personnes en difficulté. Nous développons des outils digitaux pour permettre à ceux qui en ont les moyens d'être autonomes, et nous voulons apporter le plus d'attention et d'excellence du service à ceux qui en ont vraiment besoin."
Les initiatives dans le secteur public
"Nous avons monté une filière pour valoriser les métiers, favoriser les évolutions. Nous avons lancé un programme de formation comportementale pour faire monter en compétence les agents dans la détection des moments critiques, notamment au Ministère de l'Intérieur et à l'Education nationale.
A propos de sensibilisation du top management (les politiques et les directeurs chez nous), je note que les élèves de l'ENA doivent désormais faire un stage au contact de l'usager pour développer leur sensibilité à ce moment de vérité."
Nicolas Conso admet que les services publics ont beaucoup à apprendre des initiatives privées, mais il suggérait que la réciproque pouvait être vraie. Sa notion de "modèle inversé" est à cet égard tout à fait intéressante car elle peut être mise en parallèle avec le développement du self care pour les clients étant capables d'être autonomes et le soin apporté à la relation humaine qui se fait rare et concerne les clients qui ont besoin d'accompagnement.

La suite de mon compte rendu dans un prochain billet.
Pour télécharger ce livre blanc, rendez-vous sur le site de l'INRC
Pour lire mon précédent billet écrit à l'occasion du lancement de l'INRC, suivez ce lien.
Photos en illustration de ce billet réalisées par Philippe Labit.


Billet écrit par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service. 

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