- Storytelling et chanson de geste. Voilà que les clients s'appliquent à eux-mêmes les recettes du story-telling réservées aux professionnels de la communication ! Dave Carroll est un chanteur dont United Airlines a cassé sa guitare en transit. Excédé par la façon dont il a été traité, il décide d'écrire une chanson, d'en faire une video postée sur Youtube le 6 juillet 2009. Le résultat : elle a été vue depuis plus de 12 millions de fois, et Dave Carroll a été interviewé des centaines de fois, de CNN aux journaux chinois, en moins de trois ans. Les médias sociaux remettent au goût du jour la chanson de geste du XIème siècle, quand le troubadour composait un "poème narratif chanté traitant de hauts faits du passé". Gentes dames et damoiseaux, après la chanson, voici le manuscrit qui nous vient d'outre-Atlantique !
- Une simple histoire d'indifférence et de manque de considération. On le lira dans mes tendances 2012, dans les résultats du baromètre services clients 2012 ou encore dans l'étude de la Saint Fidèle : les clients souffrent de mépris et de manque d'attention. L'histoire de Dave Carroll est édifiante. Ses 3 premiers interlocuteurs refusent de l'écouter et de prendre en charge son problème. Pendant sept mois, de comptoirs canadiens en services américains, du centre d'appel en Inde au service client central, United Airlines gardera une position vis-à-vis de lui empreinte de mépris et de manque total d'empathie ; la compagnie maintiendra une position de refus de compensation ou de remboursement.
- Le manque total de savoir-faire dans la gestion de crise. United Airlines attendra que la video soit en ligne pour reprendre contact et quelques semaines pour que 3 Vice-Présidents de United Airlines lui consacrent un rendez-vous. Le compteur des vues de la video s'emballait et United Airlines ne faisait rien d'autre que d'observer la vague montante. Il semble, d'après ce que raconte Dave Carroll, qu'il n'aient jamais vraiment imaginé le succès de la video. On relira avec attention l'excellent livre "Communication de crise et médias sociaux" pour comprendre les ressorts et les solutions possibles à une telle crise.
- Sorry seems to be the hardest word. Comme dit (l'autre) chanson, écrite par Elton John, "Pardon semble être le mot le plus difficile". C'est un point sur lequel Dave Carroll insiste. Il a attendu sept mois pour avoir de la bouche d'un des Vice-Présidents de United Airlines un "pardon" oral et assez timide. Ce simple mot, cette formule n'est pas naturellement utilisée car, aux Etats-Unis (comme ailleurs), son usage écrit pourrait valoir reconnaissance d'une responsabilité. On peut comprendre la précaution du service client, mais rétrospectivement, en lisant les aventures de Dave Carroll, on imagine que si une seule personne avait présenté des excuses dès le départ ou fait preuve d'empathie, le chanteur n'aurait pas été si motivé à partager son irritation.
- Les occasions ratées de United Airlines. Ce qu'on apprend avec stupéfaction, c'est que Dave Carroll, alors que sa gloire grandissait, a proposé aux 3 Vice-Présidents de United Airlines de faire ensemble une intervention dans l'émission d'Oprah Winfrey (émission à très forte audience aux USA dont ils étaient sponsors) pour régler une fois pour toutes leur différent avec humour, et en tirer le meilleur pour inverser le "bad buzz" naissant. Ils ont refusé et l'un d'entre eux à ce moment "lui lança un regard de colère et d'agacement".
- L'absence de points de contacts efficaces. Un des points soulevés par Dave Carroll est le fait qu'il a eu les plus grandes peines du monde à trouver un interlocuteur, à tel point que lorsqu'il a obtenu un numéro de téléphone d'une personne du service client, celle-ci lui a demandé comment il avait eu son numéro ! La leçon à retenir est que si vous n'offrez pas à vos clients le moyen de s'exprimer chez vous, via un canal ouvert et disponible, il pourrait bien être encore plus irrité et très motivé pour partager sa mésaventure avec le plus grand nombre et par d'autres moyens que ceux que vous offrez.
- La vidéo du nouvel âge de la relation client. C'est la video de Dave Carroll qui m'a donné le plus bel exemple de ce que j'ai appelé le Nouvel âge de la relation client en juillet 2009. Notre célèbre client mécontent raconte dans son livre qu'en plein milieu de ce qu'il appelle son cauchemar, il a demandé à son interlocutrice (Madame Irlweg devenue célèbre elle aussi) de reconsidérer sa position car il avait l'intention de faire trois chansons et de les poster sur Youtube. Avant même de les écrire, il considérait avoir plus de succès en tant que chanteur diffusé sur les medias sociaux, que s'il était un avocat lui-même et qu'il faisait un procès à United Airlines. Les clients ont conscience que le fait de partager leur insatisfaction leur donne du pouvoir (relire mon billet sur les chiffres essentiels du bouche-à-oreille).
- Le client statistiquement insignifiant. Répondant à l'invitation d'une sénatrice pour discuter à Washington du Customer bill of rights (lire mon billet de 2007 à ce sujet), Dave Carroll est tombé de sa chaise en entendant un ancien PDG d'une compagnie aérienne qualifier de "statistiquement insignifiant" les mésaventures des passagers. Il touche du doigt l'horreur d'une relation client qui se base cyniquement, comme lors d'un conflit, sur un taux de perte fondé statistiquement, auquel il ajoute le caractère insignifiant (un adjectif à double sens). Ce PDG n'a pas tort dans un sens économique ou financier, mais sa vision confrontée à des clients mécontents ayant vécu un cauchemar plusieurs heures sans boire ou manger dans un avion pas chauffé, ne tient pas. Les marques ne sont pas égales face aux médias sociaux : le niveau d'expérience qu'elles offrent aux clients, leur notoriété les exposent lors d'un mauvais traitement à une réponse des clients touchant leur réputation. Le risque d'un client mécontent qui prend la parole et s'adresse à 12 millions de personnes n'est plus si "statistiquement insignifiant" avec les médias sociaux. Le sous-titre du livre de Dave Carroll n'est-il pas "Le pouvoir d'une voix à l'âge des médias sociaux" ?
- Tout n'est pas perdu pour tout le monde. United Airlines a beaucoup souffert de cette mésaventure. L'année de la sortie de la video, la capitalisation boursière a chuté de 10% (soit 180 millions de dollars), les guitares de la marque Taylor (celle de Dave Carroll) ont battu leur record de vente en 2011 à 25% au dessus de leur meilleure année, offrant au chanteur deux nouvelles guitares, des visites d'usine et une nouvelle visibilité. Dave Carroll est devenu un conférencier sur la relation client et les média sociaux, il vend les droits d'exploitation de sa video pour des formations internes. United Airlines est un de ses clients.
- La morale de l'histoire. A la question "comment expliquez-vous ce succès ?", Dave Carroll a toujours répondu que sa chanson est l'histoire universelle de tous les clients à qui on manque de respect, maltraités par des sociétés cyniques et insensibles. Lors de ses rencontres avec les dirigeants de United, et dans la conclusion de son livre, il défend l'idée que les clients seront bien traités si les employés le sont par leur société. Ou l'on reparle encore de symétrie des attentions...
Continuez la découverte de l'aventure de Dave Carroll et les sujets afférents avec les liens suivants :
- Le site de Dave Carroll
- Mon premier billet sur United Breaks Guitars
- L'histoire d'une autre cliente célèbre : Beckie Williams.
- La blague des clients belges en video.
- Mon billet sur le Nouvel âge de la relation client
- Mon billet sur Marques et médias sociaux, 7 critères stratégiques pour s'y investir
- Mon billet sur les Chiffres essentiels du bouche-à-oreille
- Lisez le livre Communication de crise et médias sociaux
Billet écrit par Thierry Spencer du Sens du client, le blog des professionnels de la relation client.
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