Avant que le client ne soit "voix", ordonnant à ses outils connectés d’exécuter des tâches (à la manière de l'iphone 4S), il se sert de son doigt. Le philosophe Michel Serres qualifie la nouvelle génération de "petits poucets" qui utilisent leurs doigts pour communiquer et apprendre. L'utilisation du doigt est l'image qui illustre la tendance du développement des écrans tactiles et des smartphones (un mobile sur 2 vendu en France en 2011, le N°1 mondial de l'e-commerce Amazon annonce son smartphone pour 2012...), sans parler des tablettes qui vont précipiter certains professionnels dans l'embarras ou la mort (je pense aux libraires qui voient arriver tremblants et impuissants le tsunami annoncé de la dématérialisation). Avec la simplification croissante des consultations et des recherches grâce aux applications, le mode de consommation de l'information du client se modifie (et son cerveau avec). Le client apprend de nouvelles logiques, des chemins plus courts.
Enjeu pour les entreprises : raisonner différemment sur de nouveaux supports et se mettre à la place du doigt du client pour lui simplifier la vie.
LE CLIENT SERA BOUCHE
On ne pourrait réduire la parole du client et le client lui-même à un organe, mais la bouche, comme dans l'expression "bouche-à-oreille", est devenue symboliquement le lieu de naissance (ou de décès) de nombres de réputations et de recommandations. La portée de la parole du client dépasse le cercle des repas de famille et de la machine à café au bureau pour s'étendre au plus grand nombre possible grâce à Internet. Rappelons que plus de 8 consommateurs sur 10 ayant eu une mauvaise expérience en ont parlé autour d’eux au moins une fois dans les 12 derniers mois, quel bel organe !
2012 est l’année où la parole du client (nommée UGC sur Internet, "User Generated Content"), qui est grandissante, deviendra un enjeu du fait de sa force et de son retentissement. Le marché de l’analyse des verbatims, du NPS, de la mesure de la recommandation et du "buzz monitoring" étant devenus matures, on peut passer de la question "qu’est-ce que mes clients disent en ce moment ?" à "qu’est-ce que je vais faire pour leur répondre et/ou faire quelque chose avec eux ?".
Enjeu pour les entreprises : considérer comme un fait acquis que les clients vont s’exprimer, faire en sorte qu’ils s’expriment chez soi. Favoriser leur expression, leur montrer qu'on les écoute et leur prouver que leur voix porte.
LE CLIENT SERA MOINS
Année de crise, année d'élections en France, la tendance est à la contraction pour la consommation. L'arrivée de Free dans la téléphonie mobile aura un effet positif sur le pouvoir d'achat de millions de personnes et fera réfléchir le client sur la valeur des choses. Le client pourrait bien se demander "Ce que j’ai payé 10 pendant 5 ans vaut 4 maintenant ?" ou bien "Si je dois encore payer 10, j’en veux pour mon argent". 2012 signifiera moins de dépenses mais aussi moins de contraintes, moins de papier pour ses factures dématérialisées, moins de tickets pour les spectacles ou le transport, moins de cartes plastiques pour se faire reconnaitre comme client fidèle, moins d'engagement dans son contrat, moins de service pour un prix plus bas, moins de temps passé à faire la queue, moins d'emballages pour la planète...
Le client est "à la carte", et choisit "Amaguiz" comme dit Groupama. Pour illustrer le moins de contraintes on observe que la notion de club évolue : les "options négatives" avec obligation d'achat et les clubs fermés laissent la place à des clubs dans lesquels tout le monde peut bénéficier d'offres sans engagement, mais en quantité limitée et avec un bon service (cf le succès de Vente Privée). Les clients vont rechercher des "effets utiles" (comme le dit Philippe Moati de l'Obsoco), et seront dans la posture d'arbitrage sur un certain nombre de dépenses et de choix de fournisseurs.
Enjeu pour les entreprises : face au client "moins disant", adopter la posture du "vrai disant". Alléger les contraintes et les supports, valoriser ses engagements.
LE CLIENT SERA SINGULIER
J’emprunte ce qualificatif au titre du dernier livre d’un de mes auteurs préférés Seth Godin (l’auteur du fameux livre "Permission marketing"). Il prétend dans son nouvel ouvrage intitulé "Nous sommes tous singuliers" que le marketing de masse est bel et bien mort. Pour abonder dans le sens de ce gourou du marketing, reconnaissons que nous n’avons jamais eu autant d’outils pour servir un client unique, complexe, déroutant, mouvant qui chaque jour acquiert les moyens d'exprimer sa différence.
Le client a besoin de prise en compte de sa singularité, ce qui se traduit au mieux par une personnalisation plus poussée dans ses sollicitations et sa relation, et au minimum par un autocollant et une peinture spéciale sur votre Mini ou votre Twingo (reconnaissons que c'est un progrès pour le marché de l'automobile).
Les producteurs de la série TV MadMen nous annoncent que la dernière saison se passerait de nos jours. Don Draper, le publicitaire vedette, symbole d'une époque pas si ancienne, pourrait bien mourir en voyant sa religion des campagnes de masse piétinée par de nouveaux moyens de communiquer avec le client.
Enjeu pour les entreprises : repenser son rapport avec un client qui ne se retrouve plus dans la normalité, dans la masse et qui attend qu'on s'adresse à lui personnellement.
LE CLIENT SERA BIG DATA
Le BIG DATA désigne le défi de l'informatique de ces prochaines années, une avalanche de données non structurées issues de sources très variées, produites en temps réel dans un flot continu. Les données relatives aux clients : profil, comportement et expression deviennent gigantesques.
Les marketers sont priés d'en définir leur hiérarchie, leur pertinence pour un stockage intelligent et une meilleure exploitation. Mais l'exercice est techniquement complexe et les données proviennent de sources très différentes, souvent aux mains de sociétés privées qui obligent les entreprises à s'adapter. Je pense aux réseaux sociaux géants (Facebook, Twitter, Google+) qui imposent leur loi aux marketers et aux informaticiens en tenant entre leurs mains une part du capital client.
On distingue les marketers perdus face à l'avalanche et les marketers naïfs qui pensent tout savoir grâce à ces données disponibles. Ces derniers en viennent même à tourner le dos aux études les plus sérieuses, et ne retiennent que le mouvement de surface des données plutôt que la variété des approches.
Et pendant ce temps, le client se confie, se livre et attend un meilleur traitement et une plus grande reconnaissance.
Enjeu pour les entreprises : travailler plus (ses données) pour gagner plus (en performance) !
LE CLIENT SERA EMPLOYE
Le phénomène n’est pas neuf mais la tendance s’affirme : le client est devenu l’employé du mois. Que les entreprises favorisent le self service ("servez-vous je vous en prie") ou développent le self care ("tous nos conseillers sont actuellement occupés, merci de vous connecter à notre site"), il s’agit toujours de donner la main au client et lui permettre de gérer sa vie de client comme il l’entend (relire le livre "best service is no service"). Les entreprises se réjouissent de déléguer les tâches sans valeur ajoutée au client, mais là où le bât blesse, c’est lorsqu’il s’agit moins de lui rendre service que de faire des économies sur son dos. D’autant que le «tout self service» est aussi aberrant que le «zéro self service», il faut savoir doser selon le profil de ses clients. Ils n’ont pas tous les mêmes capacités, pas tous la même complexité dans leur demande et surtout : ils n’ont pas tous la même valeur.
Le client est prêt à participer, à co-créer, à aider les autres mais à la condition que cela lui soit profitable en retour. Peu de clients s’engagent dans la conversation pour la beauté du geste. Il faut avoir une communauté forte ou opérer dans un secteur particulier pour susciter l’engagement de la majorité des clients. La plupart du temps, les clients accepteront de gérer seuls leur relation si c’est dans leur intérêt ou de contribuer si ça peut leur rapporter quelque chose. Un peu comme un employé en somme…
Enjeu pour les entreprises : tirer partie de la collaboration avec le client, lui donner accès aux outils de gestion et d'aide en lui faisant percevoir son intérêt.
LE CLIENT SERA REBONDS
Par impatience, par commodité, sur une suggestion de l’entreprise elle-même, le client rebondit. Il change de canal selon sa situation, son besoin, son envie. Le client fait preuve d’un bon sens extraordinaire face aux choix qui lui sont proposés : il assigne à chaque canal une fonction selon sa situation personnelle.
La tendance 2012, c’est que de plus en plus de supports et de canaux permettent au client de faire des bonds et ne plus forcément rester enfermé dans un canal.
Du web, je passe au Tchat en ligne avec une personne humaine ou bien à un appel téléphonique. Du magasin, je me connecte seul avec mon smartphone sur Internet ou via une borne. D’Internet, je commande pour retirer une marchandise en point de vente.
C’est une des tendances les plus structurantes : alors qu'on raisonne "en tuyaux d'orgue" (cloisonnés), le client compose sa propre mélodie et fait une expérience riche de supports en supports, dans une logique qui lui appartient et qui échappe aux entreprises qui raisonnent multi-canal vs parcours du client.
Enjeu pour les entreprises : conjuguer pertinence et économie sur les points de contact (comme le suggère le livre "les paradoxes de la relation client"), traquer les ruptures pour éviter la fuite du client et lui offrir une expérience fluide et cohérente sur tous les canaux.
LE CLIENT SERA DEFIANT
Terrible phénomène qui ne va pas en s'améliorant : le client n'accorde plus sa confiance si facilement. Pire (selon le cabinet KPAM qui a beaucoup étudié le sujet), la posture à priori serait celle de la défiance. Une défiance vis-à-vis des discours publicitaires, journalistiques, politiques... Cette posture conduit le client à comparer plus attentivement, à exiger davantage, à demander de la transparence et globalement se radicaliser dans le rapport qu'il entretient avec les marques. Effet dramatique d'années de cynisme de certaines marques, la défiance est le prix à payer pour n'avoir pas su établir un rapport sain avec ses clients.
Deux exemples illustrent l'urgence de rétablir la confiance avec le consommateur et les initiatives récentes pour y parvenir :
- Le client est indisposé par des appels téléphoniques à son domicile qui nuisent à toute une profession ? Pacitel a vu le jour en 2011 pour répondre à ce fléau.
- 90% des consommateurs lisent les avis sur Internet et 3/4 d'entre eux savent qu'ils vont trouver des faux avis (étude Testntrust) ? Une norme française des avis consommateurs verra le jour en 2012.
Enjeu pour les entreprises : s'engager dans la transparence, regagner chaque jour la confiance par des preuves concrètes et faire preuve d'humilité.
LE CLIENT SERA EN JACHERE
Je tiens cette expression d'une des meilleures études de l'année dernière, réalisée par Nexstage.
Un quart des clients aurait un faible niveau d'intensité relationnelle et les clients en jachère pèseraient entre 1/4 et 1/3 du total. Réticents à la relation, méfiants, peu demandeurs de contact, cette armée de clients se trouve dans les études de satisfaction dans la case "satisfaits" (la majorité), cette espèce de ventre mou de la clientèle qui attend de trouver meilleure prestation ailleurs quand elle se présentera.
Les spécialistes des études de satisfaction vous le diront : seul le chiffre des "très satisfaits" vous dira quelque chose sur l'état de vos relations avec vos clients, le reste c'est de l'eau tiède !
Nombreuses sont les sociétés qui, par le cycle de vie de leur produit ou de leur service, n'entretiennent que peu de relations avec leurs clients, oubliant le rythme de la relation et sous-estimant le fameux moment de vérité.
Les clients sont de plus en plus en retrait, indifférents et n'attendent qu'une chose : être surpris et pourquoi pas enchantés.
Enjeu pour les entreprises : faire sortir les clients de la zone d'indifférence dans laquelle se trouve la majorité des clients. Comment ? Par la surprise, l'enchantement ou tout simplement par l'extraordinaire performance du quotidien qui consiste à remplir sa mission comme prévu, avec application et un petit "je ne sais quoi" qui va faire la différence.
LE CLIENT SERA STAKEHOLDER
La relation client est devenue ces dernières années une source de différenciation majeure. Cette tendance a affecté les marketers, les publicitaires, les commerciaux et certains dirigeants visionnaires. Les entreprises qui trustent les podiums des prix de la relation client en France sont celles qui généralement ont adopté cette orientation client, ce sont celles qui mettent à l'ordre du jour de leur comité de direction l'état des relations client (satisfaction, fidélisation, dialogue, réclamations...) sous forme de KPI's (chiffres clés). J'ai relevé plus d'une fois dans la littérature de la relation client, le fait que le client est désormais partie prenante ("stakeholder" en anglais), un terme aux accents financiers. La tendance nouvelle, le mouvement qui s'annonce est de réserver une place au comité de direction au client et de juger la performance d'une entreprise sur de nouveaux indicateurs liés à la prise en compte des attentes de ce dernier. C'est ce que révèle le récent baromètre de la relation client, et ce qu'annonce la cartographie des services réclamations de l'AMARC.
Enjeu pour les entreprises : convaincre les actionnaires et le top management d'intégrer les données essentielles relatives au client dans la mesure de la performance globale.
Billet écrit par Thierry Spencer du Sens du client, le blog des professionnels de la relation client et du marketing client.
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