Si on avait demandé aux contemporains de Thomas Edison ou Joseph Swan comment faire plus de lumière la nuit, ils auraient répondu « faire de plus grandes bougies » ou « fabriquer des lampes à pétrole plus grosses ».
J’ai déjà entendu ce raccourci drolatique à propos des génies de l’invention.
Steve Jobs serait un de ces génies, « un patron atypique, génial et visionnaire » selon la Tribune, « un homme magique » d’après le co-fondateur d’Apple Steve Wozniak.
Et pourtant, Steve Jobs, dont l’hagiographie fait la une de nos journaux cette semaine après l’annonce de son départ, n’a pas cité une seule fois le mot « client » dans sa lettre de démission.

Le parcours et le comportement de cet homme sont une source d’enseignement pour les professionnels du marketing client. Observons trois idées répandues qui sont autant de paradoxes :

Steve Jobs, l’homme qui répond mal à ses clients
Dans cet article de la Harvard Business Review « la théorie des relations clients de Steve Jobs », l’auteur analyse les emails envoyés par des clients qui reçoivent une réponse du patron d’Apple lui-même. Questions courtes, réponses courtes. Questions embarrassantes, réponses désobligeantes et péremptoires. Steve Jobs a toujours raison comme le notait le magazine les Inrockuptibles dans son article du mois de décembre dernier « Apple : le côté obscur ». « Changez le nom de votre application, c’est pas sorcier, non ? » ou « On dirait que vous cherchez une excuse pour ne pas vous en prendre à vous-même. », autant de réponses parfois croustillantes de Steve Jobs qu’on peut trouver sur le site « Emails from Steve Jobs ».
Et pourtant…le premier paradoxe est là. Combien de patrons de grandes entreprises répondent directement aux clients ? La démarche prouve bien que Steve Jobs s’intéresse au client dans ses requêtes les plus simples et les plus concrètes. Sachant que ses réponses vont être diffusées, il en joue et celles-ci font parfois office de position officielle de la société. Et pourtant lors même qu’il fait preuve d’une étonnante curiosité, d’un véritable sens du client pourrais-je dire, il semble dans ses réponses mépriser ses clients. Ce comportement traduit bien sa détermination et sa terrible assurance, qui sont autant de gages de réussites.

Steve Jobs, l’horrible manager
Cet homme qualifié « d’arrogant et impétueux » (selon ses collègues d’Atari cités par Le Figaro) fait souvent que « chaque salarié est anxieux à l’idée de satisfaire les demandes impossibles de Jobs, ou de subir sa colère. Apple n’est pas une entreprise où il est agréable de travailler. » déclare Saul Hansell sur Techcrunch (rapporté par la Tribune d’hier). Capable de réveiller ses collaborateurs la nuit, cultivant le secret et la paranoïa, Steve Jobs est souvent qualifié de totalitaire et tyrannique.
Et pourtant… Apple a créé des produits révolutionnaires qui ont changé le monde, amélioré le quotidien de millions de personnes et obligé un secteur d’activité entier à se remettre en question et à rivaliser de créativité.
Comment ces innovations ont elles pu être possibles dans une entreprise avec un tel homme à sa tête ?
Je pense que la réussite de Steve Jobs a suscité des jalousies, et quel que fut son caractère comme manager, il n’a pas redressé si spectaculairement cette entreprise sans une organisation orientée client.
Selon le consultant Thierry Charles cité par la Tribune « il n’y a que 5 niveaux hiérarchiques entre l’employé de base et le PDG. Cela permet de faire remonter tout problème en quelques heures. Apple est constitué en petites unités de quelques dizaines de personnes, et fonctionne donc encore d’une certaine façon comme une start-up ».
Le succès d’Apple tiendrait à son management et à son mode d’organisation. Si je réprouve son comportement humain, je reconnais que c’est le niveau d’exigence de Steve Jobs qui fait de lui un manager difficile à suivre. Et pourtant, c’est bien cette recherche de l’excellence qui a conduit la réussite des produits d’Apple.

Steve Jobs, l’homme qui n’écoute pas ses clients
Dans de nombreux domaines concurrentiels, l’innovation est un impératif. Le terme même de « marketing » est un verbe, qui signifie littéralement « avoir une action sur un marché » (lire un de mes billets à ce propos et sur l’écoute du client).
Pour créer de nouveaux besoins, pour prendre les clients à contre pied, pour faire la différence sur un marché, il faut savoir surprendre ses clients. Les enchanter, comme le dit Guy Kawasaki dans son livre « L’art de l’enchantement » (lire ma chronique à ce sujet ici).
L’auteur de ce livre, ex employé d’Apple, vient de déclarer « Steve a surtout montré que les clients ne savent pas formuler ce qu’ils veulent. Le pire serait qu’Apple se concentre désormais sur les demandes des clients, et se mette à faire des études marketing et des « focus groups ».
Jacques Séguéla connu pour ses formules disait aussi « moins de tests, plus de testicules », une citation que j’aime assez.
Voilà donc le plus grand paradoxe de Steve Jobs. Apple, sous sa conduite, a imaginé des produits qui se distinguent par leur « sens du client », leur formidable ergonomie, leur design remarquable et leurs performances inédites. Avec des convictions, avec une vision extraordinaire. Et tout ça sans « écouter » le client.
Mais le fait de ne pas l’écouter ne signifie pas qu’on ne fait rien pour lui. Apple a une véritable orientation client, une capacité à penser à sa place, imaginer des usages nouveaux, de nouvelles façons de vivre avec des produits électroniques et connectés.

Le sens du client, c’est d’abord avoir des convictions fortes, un positionnement clair (lire mon billet inconoclaste « Steve Jobs et Mylène Farmer, même combat ») et délivrer un service et un produit à la hauteur de la promesse. Ajoutez à cela un dirigeant qui a une vision et un haut niveau d’exigence tel que ceux de Steve Jobs, et vous connaîtrez la réussite comme Apple.

Billet écrit par Thierry Spencer du Sens du client, le blog des professionnels du marketing client et de la relation client.

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