22 mai 2011

Les employés d'abord, les clients ensuite : le livre capital de Vineet Nayar

Vineet Nayar, le Président de HCLT (55 000 collaborateurs, 2,5 milliards de $ de CA), est l'homme qui est à l'origine -selon le magazine Fortune- du "management le plus moderne du monde". De passage à Paris cette semaine, j'ai eu l'occasion de le rencontrer grâce à Dominique Gibert de Diateino, l'éditeur français du livre "Les employés d'abord, les clients ensuite". J'attendais la sortie en français de son livre, que j'ai lu dans sa version originale à sa sortie, pour en faire la chronique. Pourquoi j'aime ce livre ?
  1. Parce que son auteur est un homme bon. Vineet Nayar est un indien qui me rappelle un de mes anciens patrons, le directeur marketing monde du Groupe Yum! (Pizza Hut, KFC...), Micky Pant. Ces deux hommes ont en commun une humilité dont peu de patrons font montre de nos jours. Cette humilité se double d'une qualité d'écoute remarquable et d'une insatiable curiosité, qui les poussent à développer la créativité autour d'eux. Pas de propos péremptoires dans ce livre, pas de grandes leçons d'un chef imbu de sa personne. Vous ne trouverez que des pistes de réflexions, des doutes, des questionnements de la part d'un PDG tourné exclusivement vers l'avenir, à l'image de son pays.
  2. Parce que le sujet de ce livre est d'actualité. Je le prétendais dans mon premier billet de l'année 2011 (et dans un plus ancien en 2008) et je l'ai entendu plus d'une fois cette semaine lors d'un séminaire auquel je participais chez EDF. La façon la plus efficace -et la plus puissante- d'améliorer la relation client est de se préoccuper des gens qui sont en relation avec eux. C'est ce que Vineet Nayar appelle "la zone de valeur", le pivot de toute son organisation. Les personnes en relation avec le client sont les vrais créateurs de valeur, et la hiérarchie ne doit pas peser sur eux comme une contrainte ou un frein mais comme un facilitateur, un environnement favorable et épanouissant.
  3. Parce que chaque initiative vit grâce à un outil. On objectera que ce livre ne concerne que les sociétés de service dans le domaine B2B (on s'amusera d'y trouver des tonnes d'acronymes, une des caractéristiques du métier...), sauf que, pour y avoir moi aussi travaillé dans le passé, c'est un secteur parfois peu orienté vers ses collaborateurs, où les femmes et les hommes sont qualifiés d'ETP et facturés au TJM. On qualifie même certaines de ces SSII de "viandards" (vendeurs de collaborateurs au kilo). L'intérêt des expérimentations de Vineet Nayar est que celles-ci sont toutes accompagnées d'outils modernes et technologiques que nous verrons un jour dans nos entreprises ; je pense notamment au réseau social d'entreprise, aux outils de gestion des connaissances, forums et autres solutions de "crowd sourcing" interne dont il parle longuement.
  4. Parce qu'il traite de la transparence indispensable. Il y a dans ce livre des vraies leçons de management moderne et on ne s'étonnera pas que le patron de Zappos (mon entreprise américaine "orientée client" favorite) ait fait partie des premiers à en faire l'éloge ; "Le livre nous raconte comment le management peut laisser la place au leadership des employés pour favoriser l'émergence de l'engagement et de la productivité" déclarait Tony Hsieh. Un des points clefs que Vineet Nayar développe est la transparence totale avec tous les collaborateurs, au point de partager avec eux par exemple sa propre revue de performance (le "360"), et les inciter à noter son orientation client.
  5. Parce qu'il écoute la nouvelle génération d'employés et de clients. Vineet Nayar, dans son analyse "Mirror Mirror" (référence à la sorcière dans Blanche Neige ; l'auteur trouve les bonnes formules dans le style des livres américains), observe ses collaborateurs et en fait trois groupes : les transformeurs, les âmes perdues et les attentistes ("assis sur la barrière"). Plutôt que de se concentrer sur le "ventre mou" de l'opinion générale interne et ses suiveurs, il décide d'écouter plus attentivement la minorité la plus exigeante, la moins impliquée et parfois la plus visionnaire. Il constate que la génération Y est très représentée parmi les "transformeurs". Les nouveaux collaborateurs dont on ne sait quoi faire dans certaines entreprises tant ils n'adhérent pas aux cultures d'entreprises qui favorisent une hiérarchie pesante et une concentration des pouvoirs et de l'information au sommet. Ce sont eux qui montrent la voie du partage, de l'échange, de la transparence et de l'engagement. Selon l'auteur, c'est vers eux qu'il faut se tourner car ils incarnent l'avenir et adoptent les comportements des clients les plus exigeants. Pour ces collaborateurs comme pour beaucoup de clients, la transparence est la condition de la confiance.
  6. Parce qu'il cherche à se défaire des schémas traditionnels. Vineet Nayar a expliqué lors de sa conférence un point développé dans son livre -à l'aide de nombreuses anecdotes- : la conception de la hiérarchie telle qu'on l'applique est révolue. Les dirigeants ne peuvent plus être ceux qui retiennent les informations et concentrent tous les pouvoirs. La conduite de projet, l'innovation, le service rendu au client s'améliorent quand les employés ont une plus grande liberté d'action, quand on leur fait confiance. Il force en outre son organisation et sa vision marketing à se défaire de l'obsession du "what" ("Ce que je produis") pour se concentrer sur le "how" ("De quelle manière je délivre ma prestation au client." ou "quelles relations j'entretiens avec lui").
  7. Parce qu'il fait le pari de l'engagement des employés. Le patron d'HCLT raconte comment il a lancé les comités "employés d'abord", véritables communautés internes à l'entreprise sur des sujets libres, animés par des personnes élues. 2500 leaders de ces comités aident les collaborateurs à partager leurs passions avec les autres, à se rapprocher. A la manière de Zappos; dont j'ai visité le siège aux Etats-Unis, HCLT part du principe que les employés doivent s'épanouir au bureau et ne pas être une personne différente que celle qu'ils sont à la maison. Dans cette logique, il ne mesure plus la satisfaction des employés mais leur engagement. Dans sa conférence, il insistait sur ce point en déclarant : "un employé responsabilisé et écouté sera mieux dans son travail, son attachement à l'entreprise grandira et il aura fatalement une meilleure relation avec les clients."
  8. Parce qu'il défend la conversation. Pouvoir s'exprimer, faire part de ses difficultés, de son désaccord à haute voix et sans être jugé : un des paris de Vineet Nayar depuis qu'il a pris les commandes de l'entreprise en 2005. Les clients s'expriment de plus en plus ? Ils veulent entrer en conversation avec les marques ? Les employés doivent pourvoir le faire aussi librement. Là encore il s'agit du concept de "symétrie des attentions" : réserver à ses collaborateurs le même traitement qu'aux clients.
  9. Parce qu'il repense le rôle du dirigeant. L'obsession de Vineet Nayar est de mettre en cause tous les attributs du plus haut responsable de l'entreprise et d'inverser la pyramide. Il veut voir son organisation comme une étoile de mer, plutôt qu'en araignée qui meurt quand on lui coupe la tête. Pour lui le PDG n'est pas dans la zone de valeur (cf mon point 2), il souffre d'éloignement avec le client final, il handicape la rapidité d'action et il concentre trop d'informations. Pour lui, les 8000 managers de sa société doivent partager la stratégie, l'enrichir, la faire vivre auprès de tous leurs collaborateurs. Et il énumère dans son livre les nombreux "Yes, but..." ("oui, mais...") qu'il a pu entendre ces six dernières années en réponse à cette décision.
  10. Parce qu'on a tous à y gagner. Vineet Nayar raconte à la fin de son livre sa rencontre avec le patron d'une chaîne d'hôtels qui ne saisissait pas le concept des "employés d'abord". Trop tourné sur lui-même, trop effrayé par l'idée de partager son pouvoir, trop sûr de sa croissance, trop figé dans son organisation et de ses effets durables sur les clients. Une "âme perdue" comme dirait l'auteur. Ce livre, qui est une démonstration par l'exemple, défend un point de vue qui est malheureusement trop considéré comme l'agitation d'une baguette de sorcier dérisoire par des managers qui n'ont pas le sens du client ! Comme il est de tradition sur ce blog, vous pouvez gagner un exemplaire de ce livre en laissant un commentaire (non anonyme et jusqu'au 29 mai) à la suite de ce billet à propos des employés d'abord. Deux commentaires seront tirés au sort lundi 30 mai pour deux personnes à qui les Editions Diateino offriront un exemplaire du livre "les employés d'abord, les clients ensuite".
Billet écrit par Thierry Spencer, du Sens du client, le blog des professionnels de la relation client et du marketing client qui mettent les employés d'abord ! Merci à Nathalie Rémi Beaucé pour son aide lors de la conférence. Commandez ce livre en suivant ce lien.

15 commentaires:

Ludo a dit…

Bonjour,
merci pour cette découverte.

la partie "zone de valeur" me fait penser à la responsabilité donnée aux employés du service client par TIM FERISS.
(bon, dans un autre style a priori)

Et NON je ne ferai pas de commentaire sur le (non) 'management' des SSII, même si encore une fois, chacun est aussi moteur de son évolution et de sa relation avec son managé.

B.Stroh a dit…

Cette idée récurrente depuis quelques années qu'un salarié heureux sera fier de l'endroit ou il travaille et donc promoteur implicites des produits qu'il vend rejoint une tendance finalement de bon sens de "reinjecter" de l'humain dans un univers économique devenu finalement tres codifié et planifié surtout dans les grandes entreprises.
La vision de Vineet Nayar est a confronter/rapprocher avec celle de Henry Mintzberg (professeur a l'unversité McGill au Canada) qui demande aux managers/gestionnaires depuis des années de revenir au sens final du travail au lieu d'appliquer des recettes toutes faites apprises sur les bancs de l'université.
Merci donc de nous avoir fait partagé cette rencontre avec ce chef d'entreprise.... en souhaitant que ce qu'il ecrit dans son livre ne soit pas qu'une nouvelle stratégie de management mais reellement sa vision.
B.Stroh
Consultante

Anthony a dit…

Bonjour,
Merci pour l'article, cela donne envie de lire le livre! Je suis tout à fait en phase avec le point 6? Il est vrai que le schéma traditionnel de management est révolu, notamment vis à vis des nouvelles générations (génération Y).
Merci!
Anthony
www.reportingbusiness.fr

Dr Brahms a dit…

Je trouve ce post très enrichissant et j'attends avec impatience de pouvoir le lire.

Anonyme a dit…

Ce livre a l'air effectivement très intéressant. Un de plus ajouté dans ma liste "to read".
Merci pour cet article.

Skand a dit…

Ah le management des SSII... J'ai passé 10 ans dans l'informatique à produire (pisser du code dans le jargon) et chaque soir j'avais la sensation de ne rien avoir fait en finissant ma journée, parce que je n'étais qu'un rouage dans une grosse machine...
Un livre à découvrir me semble-t-il ! Merci d'en avoir fait la chronique !

Marie Content a dit…

Bonjour,
Je trouve cet article très intéressant. Je pilote une structure de vente sur internet avec un conseil apporté par téléphone et je suis convaincue qu'il n'y a pas de clients satisfaits sans collaborateurs heureux. Je vous recommande, si vous ne le connaissez pas, la lecture d'un des livre de Chip Conley, "Peak". Chip est un chef d'entreprise californien qui a créé une chaîne d'hôtels qui s'appelle "joie de vivre". Cela ne s'invente pas... Sa philosophie est très proche de celle de Zappos.

Marie Content a dit…

Bonjour,
Je trouve cet article très intéressant. Je pilote une structure de vente sur internet avec une assistance téléphonique et je suis convaincue qu'il n'y a pas de clients satisfaits sans collaborateurs heureux. Je vous recommande, si vous ne le connaissez pas, la lecture d'un des livre de Chip Conley, "Peak". Chip est un chef d'entreprise californien qui a créé une chaîne d'hôtels qui s'appelle "joie de vivre". Cela ne s'invente pas... Sa philosophie est très proche de celle de Zappos.

Alexandre Nizieux a dit…

Bonjour,

Lorsque j’ai lu votre article, j’ai immédiatement fait le lien avec mon entreprise et la dernière application web que nous venons de sortir. Sans faire de publicité gratuite (je vous laisse modérer mon commentaire), je travaille pour Interview SA, une société qui édite des logiciels d’enquête en ligne et qui comprend en même temps un Département Etudes. Nous venons de lancer sur le marché une application, openview?!, qui permet de gérer de A à Z une enquête qualitative en ligne, du recrutement des participants jusqu’à la rédaction du rapport d’analyse. L’utilisateur peut donc organiser des forums ou des chats, modérer la discussion, collecter les réponses, les analyser (avec plusieurs outils différents), et enfin rédiger son rapport final, en utilisant les citations des répondants, en rajoutant des commentaires, des graphiques etc.
Cette application ouvre la voie à de nombreux usages, particulièrement pour l'un des thèmes qui nous intéresse dans votre article, l’écoute salariés. Nous croyons profondément à ce que vous rapportez du livre de M. Nayar. Qu’en écoutant ses salariés, en leur donnant la parole, en les impliquant dans les décisions managériales, on augmente leur engagement envers l’entreprise, leur satisfaction, et donc la satisfaction de ses clients. Cette logique, c’est l’Enterprise Feedback Management, caractérisée par le Gartner Group, et que nous appliquons depuis 10 ans chez Interview SA et pour nos clients.
Par ailleurs, si vous êtes d’accord, j’aimerais reprendre votre article sur notre blog (http://blogs.interview-efm.fr/fr/) car son contenu est vraiment en phase avec les idées qui sont nos valeurs d’entreprise. Bien entendu, votre blog sera cité en tant que source etc, loin de moi l’envie de vous plagier !
Si vous souhaitez me contacter : alexandre.nizieux@interview-efm.com. N’hésitez pas !
Le site d’Interview SA : www.interview-efm.fr
Cordialement,

Alexandre Nizieux

. a dit…

Merci pour ce livre...
le souci souvent n'est point les managers mais plutôt le top management...

Jérôme a dit…

Merci pour ce billet qui donne vraiment envie de lire le livre. Evoluant dans le monde des centres d'appels, je suis persuadé qu'un conseiller responsabilisé, écouté et disposant de quelques marges de manoeuvre est un conseiller plus impliqué, plus motivé et plus attentif aux besoins du client. Bref, tout le monde y gagne !

Thierry Spencer a dit…

Le tirage au sort vient d'être fait sur ma page perso Facebook. Les commentaires 7 et 8 gagnent un exemplaire du livre de Vineet Nayar. Il s'agit de Marie Content et Alexandre Nizieux. Merci à tous pour votre intérêt et vos commentaires. Merci à l'éditeur Diateino pour les livres offerts.
Ce sujet est passionnant. J'invite les gagnants à m'envoyer leurs coordonnées postales à l'adresse suivante contact(at)sensduclient(point)com

ludo a dit…

Bonjour,
juste pour dire que n'ayant pas gagné le livre ici, he bien je l'ai acheté et lu !
Merci encore pour cette belle découverte pleine de bon sens et jouissive à lire.
Dans la foulée, je me suis permis d'acquérir et de lire l'Art de l'enchantement. Merci aussi pour cette découverte.
Me laisserai-je tenter par le livre sur la CAMIF ?...

en résumé et en conséquence, il FAUT que je retravaille dans la relation clients. :o)

Bonne continuation.

Espoir a dit…

Bonjour,
Maintenant cinq jours que je ne dors plus à cause de votre blog; consultant en marketing client, je viens de lancer un cabinet en Afrique au Bénin où le client n'a aucun pouvoir, n'a aucune valeur...le problème c'est que même les consommateurs béninois ne se rendent pas comptent qu'ils ont un pouvoir de négociation (Porter) et qu'il faut absolument qu' ils s'organisent...c'est le message que véhicule votre blog que je ne cesse de conter à mes étudiants d'écoles de commerce et aux entreprises que je forme...Bref, comment n'ai je pas connu votre blog depuis ?moi qui me targuais d'être un webivore!il y a quelques jours après une nouvelle expérience dégoutante que j'ai vécue dans une société de télécom leader de la place, je décide de lancer un mouvement ; je voulais être direct; comme une insight, j'ai pensé à ce slogan choc, "les clients d'abord"; je le tape sur google et voilà comment je tombe sur une mine de diamants d'informations qu'est votre blog;depuis j'essaie de tout extraire...ce livre, je le lirai absolument dès que je rentre sur Paris; mais juste une question, ne pensez-vous pas , que pour une entreprise qui a une vraie stratégie du sens du client , "les employés d'abord" et "les clients d'abord" veulent dire exactement la même chose...

Nri Arl a dit…

Après avoir lu votre post, je l'ai enfin acheté et ai commencé sa lecture.
Encore une réflexion de fond qui ne se limite pas au secteur des SSII, mais qui pourrait -enfin- faire tache d'huile dans tout un pan de l'économie !
Encore Merci !