Il se trouve que j’adore les rapprochements impossibles et l’iconoclasme. J’avais déjà fait le parallèle improbable entre Steve Jobs et Mylène Farmer, alors pourquoi pas le lien entre le ketchup Heinz et un livre de Paul Auster ?
Je vous soumets ces deux photos : l’une prise dans mon réfrigérateur, l’autre à la FNAC.
J’adore rehausser certains de mes plats de tomate et certains moments de ma vie de Paul Auster. Quand j’observe ces photos, je me dis que le sens du client est parfois un sens de lecture et une lisibilité derrière lesquels se cachent des intentions marketing.
HEINZ vs MONOPRIX
Dans le cas du ketchup face à la mayonnaise de marque de distributeur Monoprix, Heinz a choisi de concilier le merchandising et la vie du produit chez le client. Le tube est en effet présenté dans les rayons comme dans mon réfrigérateur, l’ouverture en bas pour faciliter la sortie du produit lorsqu’il y en a peu dans le tube. Pour Monoprix, la présentation en rayon est à l’inverse de celle de mon intimité de client face au frigo. On pense d’abord à la vente vs la vie du produit. Or, si le packaging et le « facing » sont capitaux pour attirer l’œil et se distinguer dans les rayons (Monoprix est très bon dans ce domaine comme le prouve leur récente initiative dont j’ai parlé ici), la réflexion sur l’usage est importante. Le client est exposé bien plus longtemps au produit chez lui que dans un rayon.
La question que je pose est simple : combien de décision de packaging de produits se prennent sans prendre en compte la vie du produit chez le client ? « Marketing is design », comme dit mon amie Alice Blondel (lire aussi mon récent billet à propos de design).
LIVRE US vs LIVRE FRANCAIS
S’agissant du pauvre Paul Auster, qui n’a pas demandé à figurer sur un blog de marketing, je prends son exemple car la FNAC a eu la bonne idée de commercialiser son dernier opus dans certains points de vente en version américaine (à gauche) et en version française (à droite). J’ai posé les deux côte à côte et à plat pour vous montrer une chose qui m’a toujours frappé. Observez bien le sens de lecture du dos du livre (la tranche).
Aux Etats Unis, quand vous posez le livre sur une table couverture apparente, vous pouvez lire son titre sur la tranche. En France, c’est l’inverse (on ne voit pas sur la photo le titre, mais c’est le cas, vérifiez dans votre librairie). Est-ce parce que l’hémisphère gauche du cerveau est plus lourd en France et la tête penche naturellement à gauche, pour l’inverse aux Etats-Unis ? Est-ce parce que les moines copistes des premiers codex partaient du sol vers Dieu pour écrire ? Rien de tout cela !
La réponse est que cette vieille habitude devenue stérile querelle d’experts (qu’on appelle les codicologues) montre encore à quel point le livre n’est pas considéré en France comme un produit qui doit se vendre (en tous cas visiblement pas autant qu’outre-Atlantique ou le travail de packaging des couvertures est toujours remarquable). Là-bas, on vend des livres, on les expose sur des tables, en pile et on les met entre les mains des clients. En France, dans les librairies traditionnelles, avant la vague de démocratisation des cinquante dernières années (livre de poche, grande distribution), le livre était ce bien culturel précieux, cette œuvre de papier que seules les personnes autorisées, les connaisseurs pouvaient prétendre toucher et apprécier. Le marketing du livre est une discipline honteuse dans notre pays, une abomination, et les éditeurs se garderont bien de changer une bonne vieille habitude telle que le sens de lecture sur le dos du livre. Je voudrais les rassurer, bientôt avec le livre électronique, on ne se posera plus la question pour une grande partie de la production (lire mon billet à ce propos).
Ayons une pensée émue aujourd’hui 16 avril, décrété Disquaire day (une bonne idée américaine de fête de la musique enregistrée qui date de 2007). C’est une sympathique initiative qui me fait penser à une fête de la digue du port entre survivants après le tsunami. Bravo, je vous aime bien et je vous soutiens, mais c'est un peu tard les amis !
Nos amis libraires, trop contents de soulever des tonnes de livres dans leurs rayons, tamponner des cartes de fidélité en carton et se cacher derrière leurs comptoirs endormis par leurs subventions et leur Loi Lang, ne fêteront pas cette année encore la Journée Mondiale du livre qui aura lieu le 23 avril prochain. Ils ont tort car ils vont bientôt mourir (comme les disquaires) faute de ne pas animer leur point de vente, écouter leurs clients, repenser, élargir leur offre et faire des piles de livres avec des titres qui se lisent à l’horizontale…
Billet un poil acide écrit par Thierry Spencer du blog du Sens du client, le blog des professionnels du marketing client et de la relation client.
2 commentaires:
un biller peut-être acide mais Ô combien pertinent. le bon sens a encore bien des choses à expliquer aux responsables marketing Cher Thierry !
J'écrivais quelques notes au sujet du design il y a peu, du haut de de ma TRES petite & modeste expérience. Je pense réellement que la valeur du design n'est résolument pas assez considérée par les marques de grande distribution. Alors que leurs produits entrent dans notre intimité, voire, sont invités à notre table, dans le cas de plats individuels sous barquette, du moins de temps en temps. Pourtant, c'est l'occasion ou jamais pour elles, loin des concurrentes et surtout des MDD, de raconter une histoire, de nous marquer l'esprit par l'expression cohérente de leur identité, véhiculée par ses signes. Sans compter les questions de praticité comme vous le disiez dans votre commentaire. La fourchette dans la salade préparée, très agréable pour un bain de fraîcheur au coeur...du coeur de laitue ! Sans compter les blisters impossibles à ouvrir sur les boîtes de thé notamment, le lait en poudre dont le quart reste au fond de la boîte à bec verseur, bref...le design est le meilleur ami des marques qui veulent se rendre utiles aux yeux de leurs publics et plus encore, démontrer qu'elles sont encore inventives, à l'écoute du mode de vie des individus qu'elles ciblent. Tôt ou tard, les prosumers finiront de les convaincre de prendre le temps de savoir comment la promesse de leur marque, ou plutôt les promesses, car les attentes sont multiples, peuvent être exprimées au niveau de leur plateforme design.
A propos du sens de lecture des dos de livres, votre argument du livre à plat est imparable. Maintenant, sauf à disposer de beaucoup de surface plane (et d'une femme de ménage dévouée pour faire les poussières), ou de très peu de livres, vient un moment où, pour gagner de la place, on range les livres verticalement sur des rayonnages. A ce moment-là, l'orientation "anglo-saxonnne", qui vous fait pencher la tête sur l'épaule droite pour déchiffrer les dos, ne vous permettra de voir que la 4eme de couverture si vous extrayez le livre de sa rangée - quand le "système latin", tête à gauche, vous offrira naturellement la page de couverture dans sa pleine splendeur chromatique. Après, est-ce qu'une couverture est plus intéressante à regarder qu'un dos d'ouvrage, c'est une autre question...
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