08 février 2009

La grande distribution réinvente l'arabe du coin


J'aurais pu dire le magasin-de-produits-alimentaires-de-proximité-géré-par-des-personnes-d'origine-nord-africaine-de-type-non-caucasien-au-sens-du-client-développé, mais vous voyez mieux de quoi il s'agit lorsque je dis "l'arabe du coin". Sous cette appellation triviale se cache un concept assez simple : une épicerie de quartier à l'ancienne aux prix très élevés, une gamme qui s'étend du paquet de cigarettes sous le comptoir à la couche-culotte, en passant par le kilo de tomates et le Journal du dimanche, des horaires très flexibles jusque très tard le soir, une ouverture 7 jours sur 7 et surtout un sens du client extraordinaire pour la majorité d'entre eux.

C'est d'ailleurs ce qui avait inspiré le groupe Les Nuls à l'époque dans un sketch (faisant référence au slogan de la SNCF à l'époque) mettant en scène le fameux épicier arabe Hassan Céhef qui disait "c'est possible !".

Le premier Carrefour city (au logo vert, lire mon billet à ce propos), vient d'ouvrir à la mi-janvier dernier à quelques centaines de mètres de chez moi sur une surface de 410 m2 et propose de l'alimentation en vente à emporter (sandwichs et plats préparés) ainsi que l'assortiment traditionnel de l'épicerie avec des produits frais et secs.
Système U lance U Express (une centaine d'enseignes sous 3 ans), Casino s'associe à Relay et crée l'enseigne "Chez Jean" qui ressemble davantage au Delicatessen cher aux américains, le typique "convenience store" (magasin de dépannage) qui propose en outre des journaux, des fleurs, du pain, des tickets de Loto, l'accès wi-fi gratuit et quelques services en plus. Objectif pour ces derniers : 10 cette année et 100 à terme à Paris sur un total de 1000 pour la France.

Depuis 2004, ce concept de distribution connait une croissance en surfaces de près de 30% avec des enseignes telles que Daily Monop' et Monop'.
Avec la Loi de modernisation de l'économie de juillet 2008, les contraintes administratives sont allégées pour les surfaces inférieures à 1000 m2 et les ouvertures vont donc s'accélerer.

Ce qu'on peut voir dans cette tendance :
- une nouvelle concurrence pour les fast food fait son apparition. La nourriture de ces petites épiceries serait-elle meilleure pour la santé des clients ?
- les 18000 à 20000 épiceries indépendantes, dont les prix seront plus élevés que celui de ces chaines, vont souffrir (et leurs fournisseurs avec, dont Métro). Comment pourraient-elles lutter ? Selon Alexis Roux de Bézieux, auteur du livre "L'arabe du coin", cité par France Soir "50% des fonds de commerce sont en vente".
- les bars et bureaux de tabac, déjà touchés par l'interdiction du fumer, risquent de perdre encore de leur attractivité.
- selon Philippe Moati du CREDOC cité par le magazine Challenges à propos des hypermarchés : "Leur modèle ne correspond plus aux attentes de notre société. Notre économie ne repose plus sur la consommation de masse, mais sur les services." D'autant que le vieillissement de la population et l'essor des familles monoparentales sont des éléments démographiques favorables au commerce de proximité pour les années qui viennent.
- dans le premier Observatoire du commerce indépendant réalisé par Metro Cash and Carry et rendu publique le 22 janvier dans le magazine LSA, le principal atout du commerce alimentaire indépendant par rapport aux hypers et supermarchés est, sans surprise, la convivialité avec 57% des réponses. Les produits reccueillent un tiers des suffrages quant à eux, ce à quoi on peut ajouter que 6% des clients les trouvent plus frais par exemple. Preuve que le client achète un service avant tout.

Les grandes enseignes auront des emplacements aussi bons, des prix plus bas, des gammes de produits plus large, des services nouveaux, une plage quasi équivalente sur les horaires, des facilités de paiement et des programmes de fidélité avec leurs cartes privatives. Mais avec un beau concept franchisé ou pas, et des employés aux 35 heures, sauront-elles reproduire ce que je nommais "l'arabe du coin", ce véritable acteur du lien social ? En gros, la personnalisation du service, l'hospitalité, la convivialité, la politesse, la capacité d'adaptation au client, la souplesse dans l'éxécution... Je trouve très justes les mots de Pascal Gayrard, DG du grossiste Métro France (rapportés par LSA que je cite) : "Ne relevant d'aucune hiérarchie, les commerçants alimentaires indépendants sont leur propres patrons et disposent d'une totale liberté pour apporter tout service utile à leurs clients et tisser les relations les plus étroites avec eux. Alors que les commerçants de proximité sous enseigne, dépendants de grands groupes, n'ont pas forcément la même disponibilité pour leur clientèle."

Tout est dit ici. L'évolution de ce marché et ses enjeux sur la relation client me font dire que nous sommes ici dans la plus parfaite illustration de ce qui anime chaque jour les spécialistes du marketing client : "comment industrialiser la relation client ?", "Comment faire du sens du client de l'arabe du coin un concept applicable ?". C'est possible ?

Publié par Thierry Spencer - Le blog Sensduclient.com

1 commentaire:

Guenot-Delmas a dit…

Bonjour,

Votre billet est tellement dans le vrai. La relation client est généralement (et malheureusement) mieux véhiculée par des indépendants qui sont animés d'une passion et/ou qui ont fait le choix de leur métier. Que ce soit dans le commerce, la restauration, le bâtiment........

Je réagis d'autant plus que ce matin même je viens de voir mon "épicerie du coin" fermer rideau.

Pour autant je n'en suis pas surprise, depuis 2 ans il est cerné par 2 Proxi à 50 m de part et d'autre de son emplacement. Ils l'ont eu... En même temps, son épicerie était minuscule, les produits pas très alléchants, le service plutôt très passable. Pour son cas, ce n'est pas une grande perte. Les Proxi et autres concurrents proposent tout de même des concepts très "léchés" (surtout pour les autres, Proxi n'est pas encore très au point). Tous les pans du concept sont bien conçus, mais en effet le seul sur lequel les enseignes peuvent difficilement agir reste la dimension humaine.

Bon courage à tous et bon week-end à vous.

Sophie