29 janvier 2006

L'usager, le voyageur et le client


Comme le souligne l’excellent News magazine Le Point dans son édition du 5 janvier 2006 dans un billet confidentiel intitulé «le juste mot», nos trois personnalités ci-dessus ont exploité la richesse de la langue de Molière.
En effet, selon Le Point, Anne-Marie IDRAC (à droite sur la photo), Présidente de la RATP a employé le mot « voyageurs » lors d’une réunion sur le thème des transports publics, alors que Dominique Perben, Ministre des transports (au centre de la photo) usait du terme « usagers » et enfin Louis Gallois, Président de la SNCF (à gauche sur la photo) a préféré parler de "clients".
Il est vrai que chez Colgate Palmolive, à qui j’ai envoyé un tube cassé de lessive Génie samedi dernier (voir leur réponse très bientôt sur ce blog), on parle de consommateurs.
Le consommateur désigne l’informe petite unité dans une grande stratégie de mass-marketing (il est vrai que Colgate vend à des distributeurs qui sont ses clients). On parle ici de la ménagère de moins de 50 ans par exemple, dont je suis une des représentations, tel un avatar de la religion hindoue.
Le voyageur, pour reprendre Madame Idrac est celui qui est véhiculé, et dont l’expérience se limite au passage d’un point géographique à un autre, un peu comme un voyageur astral libéré de son corps matériel.
L’usager, dans la bouche du Ministre, est celui qui paye ses impôts, lesquels servent à construire et entretenir des équipements publics dont il a l’usage. Un peu comme un castor qui paye de sa denture les bûches qui feront sa maison. Vous noterez ici que les castors ne sont pas doués de la faculté de parler.

Le client, en revanche, est un être qui fait l’expérience de plusieurs vies (7 au total).
Tout d’abord, il prend connaissance des offres de transport qui s’offrent à lui, influencé par des milliers de stimuli (pour en citer quelques uns : son corps au pied droit, une affiche de 4 mètres par 3, une campagne de marketing viral, le plaisir de l’auto stop, le bonheur du vélo, la nécessité d’amortir sa voiture…) .
Dans la deuxième vie, il choisit en son âme et conscience, aidé de ses pieds et de son porte-monnaie, un moyen de transport.
Ensuite, il décide d’en faire l’expérience en commençant par la transaction financière au guichet, sur internet ou par téléphone.
Dans l’étape d’après, il doit composter (passage obligé) et se réjouir de l’accusé de validation sonore : "Shklong", "Vlak" ou bien "Ding Dong" (avec le passe Navigo).
Il prend place dans le véhicule (lorsqu’il a réservé ou bien en cas de faible affluence). A ce moment, il est transporté et profite pleinement de la prestation.
En arrivant à destination, il tire un bilan de son expérience et compare mentalement la promesse initiale à la réalité.
Dans la dernière étape, que nous appellerons ici la septième incarnation, il va faire un choix pour le futur (pas trop lointain) et donc arbitrer pour ses prochains déplacements. Il pourra témoigner de son expérience à son entourage, à un enquêteur lors d’une étude, au service clients ou sur son blog. Le client atteint la sérénité au terme de ses incarnations.
Pour atteindre cette sagesse "nirvanesque", ma recommandation est de ne pas trop faire de poésie, de ne pas trop utiliser des termes proches ou désuets pour qualifier le «client», même si l'on se fâche avec les défenseurs du service public et les amoureux de la langue française. La raison en est simple : lorsqu’on dirige des milliers de personnes comme Président ou Directeur général, il vaut mieux parler avec les mots qui correspondent à la réalité (un voyageur est un client, et un usager est un client). De cette façon, on inculque plus facilement à ses employés le sens du client ! J'ajoute un élément qui vous donnera une idée du chemin à parcourir : dans les 7 petites lignes de l'article du magazine Le Point, le journaliste qualifie le terme employé par Louis Gallois, c'est à dire "client", de "vocable très commercial". C'est le seul point de vue exprimé dans ce billet ; dommage pour les clients -oops pardon-, je voulais dire les lecteurs du Point.

4 commentaires:

bruno a dit…

Intéressant le concept des sept vies.
Pourquoi le préférer au très évocateur "parcours client" qui, à mon sens, prend mieux en compte l'expérience que représente pour un client la fréquentation d'un service?
N'oublions pas que ce concept a révolutionné le marketing des services en conduisant les entreprises de services à raisonner en termes de prise en charge globale du client.
Evouons à titre d'illustration la création et le développement de l'escale à la SNCF.

Quant à la distinction "usager, voyageur, client", elle prouve que le vocabulaire employé par les entreprises signifie parfois bien plus que ce que l'on croit.
L'usager a peu de droits au contraire du client et cela prend tout son sens dans la logique marketing.

Anonyme a dit…

Chacun son rêve, chacun son destin marketing... si les 3 personnes utilisent chacune un vocable différent pour désigner finalement une même chose, ce n'est pas un hasard : la patronne de la RATP rêve d'offrir de l'évasion (du voyage) à des gens pour qui metro et RER sont une contrainte beaucoup plus souvent qu'un choix ; le patron de la SNCF aimerait pouvoir plus souvent rendre des comptes à l'externe qu'à l'interne, à des clients plutôt qu'à des syndicats ; quant au ministre, l'intitulé de son portefeuille (qui comporte aussi "tourisme") l'aurait bien incité à dire voyageurs, mais au rique de passer pour un glandeur... et sa passion pour l'histoire lui a rappelé l'origine latine du mot client, et même si on lorgne sur la capitale des Gaules, ça n'est pas un mot très cool... donc par défaut, usager ça fait l'affaire.

Anonyme a dit…

Je suis complètement d'accord. Chaque mot porte sa propre valeur et précise l'état d'esprit d'une entité vis-à-vis de ses "clients".
Par exemple, j'ai pris l'avion jeudi soir dernier et le commandant de bord nous a indiqué que nous aurions du retard à cause d'un "no show".

Pourquoi ne pas lancer un concours sur "la plus belle appellation" ?

Thierry Spencer a dit…

Bonne idée Jean-Pierre !
J'adore les concours. Et puis il y en a marre des blagues de blondes, je préfère les blagues de client...
A propos de sens du client dans les compagnies aériennes, avez-vous remarqué que lorsqu'on prend le TGV on vous annonce le retard et on s'en excuse ? Alors que rares sont les "captain an his crew" qui se fendent d'un mot d'excuses en cas de retard. Comme si le niveau d'exigence avait tendance à baisser avec l'altitude !